Il est déjà tard quand Kate verse son premier café. Elle regarde cette porte arrière défectueuse qui donne sur un petit jardin et pense à la réparation qu’elle espère faire plus tard dans la journée. Elle a mi du temps à trouver la pièce.

Il fait beau alors elle sourit, se dit que ce n’est pas si grave cette porte abîmée qui ne ferme pas bien depuis le début et qu il y a toujours quelque chose de positif dans chaque journée : Ce rayon de soleil matinal par exemple, qui lui fait un bien fou.

L’orientation de la maison est vraiment idéale.

Le quartier est calme, loin de tout, un peu paumé oui, sinistré même, mais calme. Elle n’a pas eu d’autre choix que de s’enterrer ici avec sa mère et sa fille il y a quelques mois. L’homme avec qui elle croyait construire quelque chose de simple et agréable a tout détruit. Un français, Michel, un bon gars de prime abord avec qui tout semblait tellement bien engagé. Elle n’a jamais rêvé de la grande vie, mais juste un toit chaleureux sous lequel élever des enfants plein de vie et préparer de bons petits plats à toute une tribu.… C’était ça “son kiff” comme disent les français. Mais un jour son français a vidé les comptes pris l’épargne et laissé Kate et sa fille se débrouiller avec beaucoup de dettes. Il est rentré en France, elle n’a plus eu de nouvelles du jour au lendemain.

Alors Kate s’est retrouvée engluée dans un gouffre financier… Elle a été expulsée, puis les services sociaux lui ont pris sa fille quelques semaines …Les pires de sa vie ! Mais grâce à cette pression énorme elle a du rebondir, trouver une solution rapide pour la récupérer. Elles ont alors logé dans le studio minuscule de sa mère. Cohabitation précaire et promiscuité. Intimité zéro mais solidarité familiale au top !

Et puis, à force de travail et d’acharnement elle a fini par trouver cette maison qu’elle partage désormais avec sa fille et sa mère qui est retraitée. Les aides sociales de Mam’ couplées à son salaire permettent de reconstruire une vie sereine ensemble. Trois femmes fortes qui s’en sortent et tout va finir par s’arranger. Parfois il suffit d’y croire et de vouloir très fort quelque chose pour l’obtenir se dit Kate. C’est une battante, elle se relèvera toujours ! Alors oui c’est un quartier un peu particulier, un peu dortoir, un peu “craignos” comme disent les français, mais c’est chez elle et elle a décidé d’y être bien.

Ce midi elle commence un nouveau travail au Harry’s Diner pas bien loin. Elle est enthousiaste car elle n’aura plus à parcourir ce long trajet en train de banlieue et bus glauque deux fois par jour. Et puis hier avec Mam’ elles ont gagné un petit paquet au Bingo du quartier ! C’est bien un signe que les éléments s’alignent vers de meilleurs lendemains ça non ? !

Sa mère est levée elle aussi, alors que la petite dort encore. C’est une très belle femme, ses cheveux gris sont magnifiques dans le soleil, ils reflètent la lumière du matin avec douceur.

Ni Kate si sa mère ne voient arriver le danger …

Par la porte non encore réparée passe une main gantée, un bras puissant, un homme cagoulé, grand, gros, imposant et visiblement très nerveux.

Kate est tellement surprise qu’elle reste bouche bée. Elle ne panique pas, elle espère juste que sa fille ne se réveille pas, pas tout de suite s’il vous plait supplie t-elle intérieurement … Qu’elle dorme encore malgré l’odeur du café, qu’elle dorme jusqu’à la fin de cet épisode.

Sa mère a le dos tourné et ne s’aperçoit toujours de rien semble t il.

L’homme tremble, mais se veut menaçant, il ne dit rien…

Un junky peut être ? De l’argent, oui il veut certainement de l’argent.

Le temps est suspendu. L’argent du bingo ! ça le calmera c’est certain ! …

On lui donne, il s’en va, et c’est presque comme s’il ne s’était rien passé, juste comme si on avait perdu au Bingo ! Plein de monde perd au Bingo !

Du coup c’est rien du tout, un petit incident à cause de la porte cassée rien de plus.

Sauf qu’il a une arme …oh non ! Une arme qu’on voit sans qu’il la montre vraiment, une arme avec laquelle il n’a pas l’air à l’aise !

On va lui donner gentiment cet argent. Qu’il le réclame et on lui donne ! Tout ira bien… Kate respire doucement. Pourquoi Mam’ est déjà levée?

Aujourd’hui Kate doit réparer la porte. Elle attend la pièce, elle est dégourdie et bricoleuse. Tous les voisins lui ont dit que c’était nécessaire, mais le quartier est tranquille...non pas tranquille sinistré lui ont ils dit ! … Mais où sont les voisins là tout de suite ?!

L’homme ne dit rien. Ce moment figé semble durer des heures. Kate est désemparée. Elle sait réparer une porte, elle sait surmonter un coup dur, mais là…

Le silence se brise enfin “Voilà ton colis Darling !…bah…. qu’est ce qu’il fout?!” C’est Mam qui parle.

Tout s’accélère alors. Tout s’accélère enfin !

Par la baie vitrée le livreur qu’aperçoit Mam’ a clairement compris la situation. Il s’est avancé puis il est retourné dans son camion pour attraper ce joujou offert par son père et dont il espérait ne jamais se servir.

Brutalement il est entré dans la maison en forçant la porte principale et l’individu a fui immédiatement par l’arrière, comme l’avait prévu le livreur.

Mam’ prend soudain conscience de la situation qu’elle n’avait jusqu’alors pas saisie, quelle chance elles ont eu ! Elle souffle un grand coup et sourit.

Le livreur est blessé sur l’avant bras. Le chambranle de la porte qui est désormais arraché lui a entaillé le bras sur quelques centimètres.

Je suis désolé, dit il penaud, je vais réparer votre porte
Vous nous avez sauvé la vie ! répond Kate enthousiaste en se précipitant vers lui avec le sourire. Vous êtes notre point positif de cette journée ! n’est ce pas Mam’?
Je suis désolé, reprend il, mais quand j’ai vu ce….j’ai compris et…mais je vais réparer et …

Il ne termine pas sa phrase.

On dirait un enfant, un gros nounours. Il regarde ses pieds tout gêné, il est touchant dans son gros corps, perdu dans cet uniforme trop grand.

Mam’ va vous soigner, montrez nous ça ! Elle n’a pas perdu la main vous verrez !

Bill se redresse, encore choqué de son acte. Il n’a écouté que son instinct. Lui le mou, lui le flasque, lui le pauvre gros invisible qui ne sert à rien et qui devait juste livrer un petit colis. Il est troublé par cette maison qui l’accueille en héros. Cette femme qui le regarde avec tant reconnaissance. Et cette autre, plus âgée qui s’approche avec sa trousse à pharmacie.

Vous êtes Betty ? lâche t il, blême.
Mais oui ! répond elle interloquée, Et vous, vous êtes bien pâle !

Kate rit malgré elle. Sa fille apparait, réveillée par ce raffut.

Vient là bichette, je te présente notre ange gardien qui passait par là !