Le moment de flottement après l’orgasme était vite retombé. Simon détourna le visage quand le gars qui le lui avait donné se releva pour l’embrasser. Il lui avait suffisamment plu pour qu’il parvienne à repousser une de ses limites, mais pas au point de mélanger leurs fluides dans ce sens-là. Simon avait beaucoup de mal avec le sexe rapide et anonyme. Il était peureux et avait toujours eu peur de tomber sur des gars louches. Des histoires qui finissaient mal, il en avait entendu des tas, certaines contées par des amis à lui. Mais c’était peut-être aussi le danger de ces situations qui l’excitait parfois. Son angoisse de performance le paralysait souvent également. Et puis s’il donnait rendez-vous à un type et que celui-ci ne lui plaisait plus une fois le moment venu ? Il se retrouverait à devoir gérer l’excitation d’un tiers, sa déception aussi, et qui savait ce qui pouvait en découler ?

Mais ce soir, la chaleur écrasante de cette chambre vide de la nouvelle maison de ses parents, le bilan sentimentalo-sexuel qu’il faisait de l’année qui venait de passer, l’ennui conjugué au manque d’affection et de contact l’avaient décidé à sauter le pas. Il avait été contacté sur Grindr. Le gars n’était pas tout à fait du coin, mais il acceptait de se déplacer. Simon n’avait pas de moyen de locomotion, perdu dans cette campagne, et n’allait sûrement pas demander à ses parents s’il pouvait aller visiter le coin à minuit passé. L’échange sur l’application fut très bref. Après les politesses de base, Simon indiqua qu’il n’était là que pour quelques jours. Un bon indicateur pour comprendre qu’il n’était pas à la recherche d’une relation suivie. Ça convenait tout à fait à l’autre. Il voulait quelque chose de discret. Évidemment. Petite ville oblige.

Simon avait hésité longuement. Mais sur ses photos, le gars lui plaisait. Il était un peu plus jeune que lui, légèrement barbu, et avait vraiment l’air fun sur les quelques photos qu’il lui avait envoyées. Qui plus est, il semblait avoir de la conversation et de l’humour. Son instinct soufflait à Simon de se faire confiance pour une fois ; qu’Antoine, si c’était son nom, ne pouvait pas être bien dangereux. Et il avait fini par accepter la rencontre. Les enjeux étaient clairs. Il s’agissait de marcher un peu, histoire de briser la glace, puis de trouver un coin tranquille pour s’explorer tranquillement si l’envie leur en disait toujours. La possibilité de cette porte de sortie, que Simon avait réussi à poser comme une condition, l’avait beaucoup rassuré.

Antoine vivait dans une des petites villes d’à-côté. Il ne lui avait ainsi pas fallu bien longtemps pour le rejoindre sur l’une des places du village. Il l’avait trouvé moins beau qu’en photo, puis s’était souvenu que c’était quelque chose de récurrent chez lui. Il idéalisait tellement ses rencontres qu’il ne pouvait qu’être déçu à chaque fois. C’est pour ça qu’il avait même fini par ne plus faire de dates : il préférait de loin fantasmer et laisser gonfler son désir pour des êtres qu’il voyait dans le réel que perdre son temps à rencontrer des gars et être, au final, déçu. Il savait bien que c’était lui le problème, qu’il attendait beaucoup trop de l’autre, le poussant à imaginer mériter une histoire si puissante qu’elle ravagerait tout sur son passage et qu’elle s’imposerait envers et contre tout, annihilant tout ce qu’il avait pu connaître par le passé.

Et elle n’arrivait jamais. Il s’était construit tout un film, tout un désir irréalisable car il ne se donnait même pas la chance que ça se produise. Il ne se rendait pas disponible. L’année qu’il venait de passer, dans un tout nouveau pays, un tout nouveau contexte, avec de nouvelles personnes et la possibilité de pouvoir être qui il voulait le lui avait bien prouvé, s’il le fallait encore. Et c’est ainsi qu’il en était à nouveau parvenu à la conclusion qu’il devait sortir de sa zone de confort, qu’il ne pouvait continuer d’attendre et de fantasmer sur des situations, imaginer que les seuls contacts physiques qu’il aurait lui viendraient d’une rencontre naturelle menant à une histoire alors qu’il avait d’autres désirs à assouvir.

Il finit par ranger ses préjugés dans un coin de sa tête pour aller au-devant du garçon. Quand ils se rencontrèrent, ils se firent la bise comme s’ils se connaissaient depuis des années, puis s’accommodèrent sur leur promenade nocturne. Ils marchèrent pendant quelques mètres, se contentant de faire le tour de la place, de déambuler un peu dans un petit parc seulement éclairé de la lumière lunaire. Il faisait lourd. Le temps ne devait pas tourner à l’orage avant le lendemain après-midi. Simon sentait ses vêtements lui coller à la peau et voyait le front d’Antoine luire quelque peu. En temps normal ça aurait pu le rebuter – il lui en fallait peu – tant son cerveau était entrainé à chercher le moindre défaut, la plus petite imperfection chez l’autre. Systématiquement, il était envahi par la honte. Pour qui se prenait-il ? Croyait-il qu’il était irrésistible ? Pensait-il que tous les mecs au monde lui bavaient dessus et ne rêvaient que de pouvoir le choper ? Si c’était le cas il n’essuierait jamais de refus ou ne serait jamais ignoré quand il décidait d’envoyer un message aux mecs qu’il trouvait à son goût sur Grindr. Et pourtant c’était presque systématiquement le cas. Alors quoi ? Il se faisait de plus en plus vieux, et sa jeunesse à rallonge commençait à se tarir : il n’avait pas un corps parfait, loin de là, ses cheveux n’étaient même plus ce qu’ils avaient été et se clairsemaient de plus en plus sur le sommet de son crâne. C’était encore plus ou moins discret, mais il cherchait à le cacher et ça lui faisait perdre beaucoup de confiance. Lui qui n’en possédait déjà que peu.

Pourquoi donc s’interdisait-il de lâcher prise et de simplement profiter des possibilités de son corps et de celui des autres ? Pourquoi tout devait-il systématiquement le ramener à un état de dénigrement, d’échec et de honte s’il ne jugeait pas l’autre digne de lui ? Ainsi, d’où lui venaient tous ces jugements de valeur ?

Peut-être des histoires qu’il avait vues ou lues et qui se trouvaient toutes de curieuses accointances. Peut-être des garçons avec qui il avait eu des histoires ou qu’il avait déjà réussi à mettre dans son lit et qui lui plaisaient tellement qu’il ne pouvait se résoudre à envisager quoi que ce soit avec quelqu’un pour qui il ne ressentirait rien, ou qu’il jugerait en deçà de ses attentes. Quoi qu’il en soit, il était toujours d’accord pour dire que dans l’histoire, c’était lui qui était fermé, bloqué, saturé de complexes, lui qui était jugeant, excluant, et qu’il méritait donc bien tout ce qui lui arrivait, ou ne lui arrivait pas. On avait tous une croix à porter, alors pourquoi cela ne pouvait-il pas être la sienne ?

La conversation avec Antoine s’était révélée très vite fluide. Il mettait Simon en confiance. Ce n’était clairement pas un mec qui ne s’intéressait qu’à sa bite et qui taperait une crise s’il devait repartir sans avoir obtenu satisfaction. Ils évoquèrent d’où ils venaient, leur métier, leurs aspirations. Simon avait cette capacité assez étonnante de se livrer facilement, parfois trop. Mais il avait remarqué, sans qu’aucune volonté de manipulation quelconque n’entre en jeu, que cette capacité touchait particulièrement les personnes à qui il racontait ses doutes et ses pensées. Il était sincère et le monde aimait ça.

Leurs pas les menèrent près d’une église, ils s’assoyèrent sur un des bancs qui longeaient le parvis menant à la façade avant. Malgré la chaleur, il était agréable de se retrouver dans cette situation imprévue. Après quelques minutes, la conversation se tarit et comme si quelque chose était en suspens, Antoine prit les devants.

« Je te trouve vraiment très beau »

Simon sourit. Il aimait qu’on le lui dise. Non pas que ce fut rare, mais il avait tendance à l’oublier, et à croire que son temps était passé. Il se rapprochait de la quarantaine et savait ce que cela signifiait au sein de sa communauté. S’il ne parvenait pas, non, s’il ne décidait pas de changer sa vision des choses, de déconstruire ses attentes, de se décharger d’un poids qu’il n’identifiait pas encore, ce n’était pas encore cinq ans qu’il passerait seul, mais ce qu’il lui restait à vivre. Il se savait pessimiste. Ses ami.e.s passaient leur temps à lui dire qu’il ne fallait pas penser en ces termes et qu’il était statistiquement impossible qu’il ne rencontre plus jamais personne, mais hé, s’il ne s’était presque rien passé pendant des années, qu’est-ce qui prouvait que ça ne pouvait pas être encore le cas ?

« Tu es pas mal aussi », finit-il par répondre.

Il le pensait. Avec la lumière des quelques lampadaires alentour, Antoine lui apparaissait très séduisant. Sans doute était-ce dû également au charme qu’il avait gagné par ses paroles et ses gestes. Simon avait envie de lui et comme à travers un code universel des corps, ils rapprochèrent leur visage l’un de l’autre. Ils savaient tous les deux qu’ils ne se reverraient pas, et que cet instant resterait unique. Le baiser au départ un peu timide s’était vite changé en un mélange de langues en bonne et due forme. Les mains exploraient doucement les corps, d’abord au-dessus des t-shirts, puis rapidement en-dessous, s’assurant à chaque mouvement que l’autre ne manifestait aucun signe de réticence. La sueur les rendait collants. Simon fut le premier à poser sa main sur l’entrejambe de l’autre.

« On peut pas rester ici, en pleine lumière. Faut qu’on s’éloigne un peu »

Simon acquiesça et rit un peu de la situation. Antoine le prit par la main et l’emmena un peu plus loin, sur le côté de l’église, à l’angle extérieur où la nef devient le transept. Ils continuèrent leur affaire là, Simon appuyé contre le mur de pierre centenaire et sacralisé, Antoine à ses pieds. Après que Simon eut joui, Antoine se finit rapidement. Ils rirent quelque peu de la situation, qui n’avait pourtant rien d’extraordinaire face à ce que ces morceaux de roc avaient dû voir pendant tous ces siècles, puis Simon raccompagna Antoine jusqu’à sa voiture. Il refusa un lift jusque chez lui. Il voulait marcher. Et réfléchir à ce qui venait de se passer.

Lorsque les feux arrière de la voiture ne furent plus visibles, Simon tourna la tête vers l’église qu’il trouva plus imposante que plus tôt. Il s’approcha un peu, intrigué par quelque chose qu’il n’avait pas vu d’abord. La double porte de bois, qui surmontait un large mais relativement court escalier de granit, était légèrement entrouverte et une lueur vacillante s’en échappait. Comme poussé par une main invisible, Simon avança. Il était de nature curieuse certes, mais bien souvent cela se manifestait plutôt par l’envie de connaître des détails sur la vie de ses ami.e.s ou sur ce qu’iels lui cachaient, jamais à vouloir pénétrer dans une église en pleine nuit. Tout au plus avait-il un petit côté voyeur qui faisait partie de ses kinks et qu’il n’assouvissait pas bien souvent.

Arrivé au pied des marches menant à l’entrée du lieu, il s’arrêta un instant. Aucun son ne lui parvenait de l’intérieur. Si quelqu’un avait pu en effet oublier de fermer les portes, il était pourtant peu probable qu’on laisse des chandelles se consumer à l’intérieur. Simon posa un pied sur la première marche. Après tout, si on le surprenait, il pourrait toujours inventer qu’il s’était inquiété d’un éventuel risque d’incendie. À mesure qu’il grimpait, il s’imaginait dans un film, et se voyait de l’extérieur, cadré en demi-ensemble et de dos, accompagné d’une musique de film d’horreur. Il connaissait les règles des récits surnaturalistes : on ne devait jamais outrepasser les limites, on ne devait jamais continuer d’avancer, de creuser, de questionner, de chercher quand tous les signes se transformaient en avertissements. Des pensées complètement irrationnelles traversaient son cerveau. Et s’il s’agissait d’un message envoyé par une puissance divine supérieure ? Peut-être avait-On quelque chose à lui dire ? Mais ça pouvait tout aussi bien être un piège tendu pour châtier l’engeance dont il faisait partie et qui n’avait pas hésité à blasphémer en forniquant contre ce sanctuaire. Non. S’il avait bien reçu une éducation catholique et qu’il vivait depuis avec ce formatage qui voulait qu’il porte constamment ce fardeau, Simon n’en croyait plus rien. Et il en était absolument convaincu, non ?

Il posa la main droite contre la partie de la porte entrouverte. Il sentit d’abord une chaleur qui le fit l’ôter un instant. Se ressaisissant, il poussa légèrement la planche de bois et celle-ci pivota sur ses gonds, ne laissant échapper qu’un léger grincement.

Depuis qu’il couchait avec des gars il ne lui était pas arrivé souvent de se rendre dans des églises pour assister à des offices. Il aimait l’architecture, les œuvres et la mythologie des lieux, mais systématiquement, à chaque fois qu’il en franchissait le seuil il ne pouvait s’empêcher de s’imaginer le sol s’ouvrir sous ses pieds, son corps prendre soudainement feu ou être violemment propulsé en arrière et jeté à bas des escaliers. Dans ses scénarios les plus abusifs, il voyait soudainement le prêtre s’adresser à lui en latin et l’asperger de son goupillon. Sa peau se mettait alors à fumer, et tel un vampire, il battait en retraite pour retourner de là où il venait. C’était stupide. Il savait bien que rien de tout cela ne pouvait arriver. Mais les pensées étaient là.

Il resta un instant immobile, au milieu du narthrex avant de remonter la nef par son centre en en constatant la fraicheur quasi glaciale. Simon distinguait mal les vitraux et peintures qui ornaient les différentes parties des allées latérales tant les quelques cierges allumés n’éclairaient que peu. Tout au plus projetaient-ils des ombres menaçantes. Dans son esprit, de nouvelles images s’imprimaient. Il se voyait veuve remontant jusque l’autel et se demandait même ce que donnerait cette église si on y ajoutait tous les néons, les bougies, les objets baroques entourant le cercueil de Juliet dans le film de Lurhmann.

L’intérieur de l’église semblait plus étroit que sa vue extérieure ne semblait l’indiquer, si bien qu’il parvint rapidement jusqu’à la croisée du transept et qu’il se planta devant le chœur. Il repensa à un de ses amis, homosexuel et pourtant fervent catholique, qui ne pouvait s’empêcher de plier le genou, comme poussé au sol par la main de Dieu, à chaque fois qu’il passait devant l’autel. Simon l’avait vu ployer une bonne dizaine de fois un jour où cet ami lui avait fait visiter les différentes chapelles, églises et basiliques de sa ville. Ce côté fanatique des mystiques le fascinait et il nourrissait parfois l’espoir secret qu’il existait bien quelque chose, une puissance supérieure bienveillante, qui pourrait lui expliquer ce plan opaque qu’elle avait pour lui et les autres représentants de son espèce. Et qu’ainsi il comprendrait qu’il n’avait rien à se faire pardonner, que le poids qu’il avait pris sur ses épaules, que la violence des regards, des mots et des coups qui avait traversé les siècles n’étaient bien qu’une interprétation abusive d’un ordre séculairement décadent et dépassé qui cherchait par tous les moyens à s’acheter une raison d’être, à trouver une façon de conserver son pouvoir en contrôlant le corps des autres, de toutes celles et ceux qu’il était plus aisé de soumettre.

Ses yeux se posèrent enfin sur une imposant crucifix de bois sombre suspendu au-dessus de l’autel. Il repensa à toutes ces images du Christ sur la croix qu’il avait pu voir dans ses livres de catéchisme, cette histoire de rachat de péchés, cette réappropriation occidentale de son apparence, l’épuration de ses souffrances physiques sur toutes ces statuettes. Sans qu’il ne s’en rende compte, il recula doucement jusqu’à s’asseoir sur un des bancs en bois verni du premier rang. Et il resta là dans le silence fracassant de toutes ces pensées qui se mêlaient et dont il cherchait à comprendre le sens, à cet instant précis, dans cette ville qu’il ne connaissait pas, dans un pays qu’il ne connaissait plus.

Tandis que son esprit continuait de divaguer et de s’imaginer tout et n’importe quoi, un craquement attira son attention sur sa gauche. Une des longues colonnes de pierre qui soutenait la voute laissa échapper quelque chose. Simon se leva et s’en rapprocha. À nouveau le même bruit sourd se fit entendre, cette fois de l’autre côté du transept. Puis un autre, et encore un autre. Chacun des piliers semblait sur le point de s’abattre. La crainte, puis l’effroi saisirent Simon. De fines particules de poussière voletaient tout autour de lui, laissant une trace de leur passage dans les raies de lumières laissées par les quelques chandelles proches. Remontant des yeux les colonnes il ne put s’empêcher d’y voir des lézardes se former. Une seule pensée s’imposa dans son esprit, les blocs de pierre allaient s’effondrer et le poids du bâtiment l’avaler tout entier. Il redescendit brusquement l’allée centrale et s’arrêta devant le seuil qui le séparait de l’extérieur au moment même où il allait retrouver la chaleur infernale de l’été. Le silence était revenu. Seul son souffle, court et sifflant, le brisait. Il se retourna doucement pour constater que les colonnes étaient toujours debout. L’atmosphère qui s’était soudain chargé avait retrouvé son calme, la lumière des bougies ne vacillait plus et il n’y avait trace d’aucun résidu de granit voletant dans les airs.

Il laissa échapper une épaisse vapeur glacée d’une dernière expiration, et franchit le seuil vers le monde extérieur avant de descendre quatre à quatre les marches qui le ramenèrent sur le sol jonché de gravier. Simon avança encore quelques mètres et se retourna une dernière fois vers le temple. Les lampadaires autour avaient fini par s’éteindre à cette heure avancée de la nuit et il ne distinguait plus rien du fronton du bâtiment que les quelques moulures qui l’ornaient. Mais il était toujours debout et le resterait sans doute pour longtemps encore. Simon était perplexe : il ne pouvait pourtant simplement s’en être imaginé l’effondrement. Il entrevit alors en un instant le poids de tous ces ans réduire son corps à l’état d’une bouillie infâme dont le sang ne se répandrait même pas sur ce sol soi-disant saint puisqu’il serait immédiatement absorbé par la roche. Il envisagea qu’on n’aurait jamais retrouvé son corps ou qu’on aurait peiné à l’identifier. Et on se serait demandé longtemps ce que ce trentenaire était venu faire ici au milieu de la nuit. Antoine ne dirait rien, évidemment, de peur d’être accusé de quelque chose, voire d’être contraint de se dévoiler aux yeux de tous et toutes. Et on jugerait qu’un homosexuel, qui n’avait rien à faire dans une église la nuit, n’avait eu que ce qu’il méritait.

Simon reprit ses esprits et secoua la tête afin de se débarrasser de ces pensées qui ne cessaient de l’envahir fréquemment. Il fallait toujours qu’il se laisse envahir par son imagination angoissée et qu’il la laisse régir sa vie. Tout était châtiment. Il tremblait encore de la tête aux pieds lorsque ses yeux, enfin habitués à l’obscurité, distinguèrent deux mots sur le frontispice de l’église. Ses quelques connaissances en latin héritées du collège et de ses années d’université lui en donnèrent, sinon une traduction exacte, au moins une littérale. Il ne lui en fallait pas plus. Et alors, pour la première fois de son existence, il eut l’impression de voir enfin clair. Lui qui était habitué à vivre dans sa tête, à s’imaginer que tout ce qu’il représentait n’était que source de culpabilité, que honte à enfouir au plus profond de la nuit, venait enfin d’en comprendre le sens caché, quasi prophétique. C’était peut-être son imagination débordante qui l’avait poussé à sortir de l’église pour lui en interdire l’accès, pour lui signifier qu’il ne devait pas exister, mais ce qui était en train de se tramer en lui à cet instant-même était bien réel. L’inscription oxymorique du frontispice n’était pas une condamnation, bien au contraire, elle indiquait précisément qu’il était lui-même la source, l’origine et le créateur de sa honte.

Un sourire béat, quasiment extatique, s’imprima malgré lui sur son visage. Il ne luttait plus. Il avait enfin compris que la culpabilité qui l’avait écrasé toutes ces années était heureuse. Et qu’il en était le seul et unique maître.