Paraboles

« Lorsque nous mettons des mots sur les maux,
lesdits maux deviennent des mots dits et cessent d’être maudits ».
Guy Corneau

Le devoir

Joseph, professeur à l’Université du Québec à Rimouski, dans le cadre du cours partage de sens et dialogue, distribue des enveloppes aux élèves tout en donnant ses instructions sur le travail à produire. Le cours s’adresse à des gens âgés de 50 ans et plus. Chaque élève doit rédiger un texte sur ce que l’image lui inspire. Le thème à aborder : la spiritualité. La deuxième règle est le nombre de mots, entre 3 000 et 5 000, rien de moins. Le travail se commence en classe et les étudiants ont deux semaines pour pondre leur œuvre.

« À mon signal, vous pourrez sortir l’image de l’enveloppe. L’exercice débute maintenant. » dit Joseph.

Marie-Madeleine s’exécute. Le prof observe la réaction des élèves lorsqu’ils découvrent un à un leur image. Il peut détecter un air différent sur chacun des visages des étudiants. Il croit entendre des déceptions « Ouah, mais qu’est-ce que cette image? » ou encore il peut voir l’expression de la joie « oh la belle image inspirante ! ». Pour d’autres, on peut sentir leur désarroi. Ce qu’ils ne savent pas, ils ont tous la même!

Assise à l’auditorium, seule dans sa rangée, Marie-Madeleine se sent prise dans de beaux draps. Certaine d’échouer, son stress monte. Elle ne peut pas se permettre un échec, en élève parfaite, elle vise la note A+, rien de moins. Note qu’elle obtient dans la majorité de ses cours. "Mais qu’est-ce que Joseph a pensé de mettre une telle image dans son enveloppe?" Elle se sent visée et pense ironiquement « Merci, monsieur le professeur, on ne vous oubliera jamais ».

Elle continue en murmurant « Rien à signaler, rien à dire : une église, un clocher, un perron, des marches et des lampadaires. C’est la brunante, en été. Une déduction parce qu’il y a des feuilles dans les arbres. Merci, bonsoir, mon histoire est terminée, mesdames, messieurs applaudissez ».

Elle regarde autour d’elle, surprise et rassurée de voir quelques camarades aussi embarrassés qu’elle. Certains sont couchés sur leur tablette écritoire, d’autres se grattent la tête ou ont les yeux fermés attendant que l’inspiration se manifeste. Le prof, quant à lui, semble rire dans sa barbe! « OK, cela me rassure de voir les autres! » se dit-elle.

Une fois son délire et sa déception passés, la tête penchée, Marie-Madeleine fixe son regard sur l’image et réfléchit sérieusement. Eurêka, son crayon s’active, ça y est, une inspiration monte. Vite, il faut la garder, elle risque de ne pas repasser avec une telle image qui l’afflige de mélancolie.

Pas plus tard que dimanche dernier, dans le Paris Match, elle a lu un article à-propos de l’auteur Edgar Morin. Le journaliste lui demandait « Avez-vous la foi? » L’auteur de 101 ans lui répond « Je ne crois pas en un Dieu créateur, extérieur au monde, je suis « spinoziste », la créature divine est dans la nature. Il y a pourtant un mystère qui dépasse tout : pourquoi ce monde existe, pourquoi la vie ne semble possible que sur cette petite planète Terre, avec une finalité : la destruction? Et pourquoi j’existe, moi? Saint-Jean-de-la-Croix avait raison, plus notre connaissance augmente, plus notre ignorance s’accroît! [1]»

Cette citation l’a touchée. Elle l’a notée dans son calepin de gratitude pour réfléchir à sa foi au moment opportun. Le moment opportun semble être venu. Drôle de hasard. D’abord la citation. Ensuite l'image de l'église qui invoque la religion. Que peut-il bien se passer en elle pour attirer ces éléments religieux, philosophiques et spirituels? C’est pourtant bien le but du cours! C’est ce qu’elle visait en s’inscrivant à la formation, le but semble atteint. Elle est à la bonne place, au bon moment. Cependant, elle n’avait pas pensé aux efforts que cela lui demanderait pour y parvenir. Aller fouiller dans la profondeur de ses sentiments et de sa sensibilité dans l’espoir que le feu de ses entrailles soit éteint afin qu'émerge le fruit. Ce n’était pas l’objectif envisagé. Absolument pas.

Cette rédaction-ci sera différente, plus réflexive et introspective qu’intellectuelle ou pratique, elle ne fera pas de recherche, elle fera confiance à ce qui montera. En espérant que Joseph y trouve son compte, du moins assez pour la noter A+.

Les dictons devenus diktats

Jeune orpheline de père, la mère de Marie-Madeleine fut pensionnaire, dans les années 1940, au couvent des religieuses de la Congrégation de Notre-Dame, à Boucherville. L’église Sainte-Famille était située juste à côté de son couvent. D’ailleurs, l’image remise par Joseph ressemble drôlement à l’église Saint-Famille. Drôle de hasard!

Bien au fait qu’il est délicat de parler de religion sans blesser qui que ce soit, sa mère avait l’habitude de lui dire qu’il y avait trois sujets à proscrire en société : la religion, l’argent et la politique. Ces sujets sont demeurés tabous et controversés. Ils divisent alors qu’en finalité ils devraient unir les gens. Trois sujets qui donnent ou enlèvent du pouvoir, tout dépendant de quel côté est-on.

Les fameux dictons de sa mère l’ont beaucoup marquée. Certains de ces dictons sont devenus des diktats. Sa mère avait le don de trouver une phrase judéo-chrétienne « punchée » pour soutenir ses dires et faire peur à ses filles pour les protéger des malfaiteurs. À bien y penser, les hommes « n’avaient pas la cote » et il fallait s’en éloigner au risque d’y perdre sa peau de femme et d’être déshonnorée. Elle prêchait son interprétation de l’Évangile à ses pauvres filles qu’elle croyait dépourvues d’esprit. Utiliser la peur comme moyen de défense est assez primaire. Elle aurait pu envisager des solutions moins innées pour encourager des acquis positifs sur lesquels bâtir leur confiance en soi. Tel ne fut pas le cas. On ne peut pas donner ce qu’on n’a pas eu. Son intention était probablement noble, le résultat le fut moins. Ses filles ont souffert de la peur des hommes.

La soumission et le chaos

Enfant, Marie-Madeleine pratiquait la religion catholique, elle a appris le petit catéchisme, allait à l’église le dimanche, se confessait sans savoir quel mal elle avait causé. Elle priait sans en comprendre la signification des prières. Sa dévotion était mécanique. Elle a été punie, elle a puni et elle a pratiqué les 10 commandements de Dieu plus particulièrement le quatrième : Père et mère tu honoreras afin de vivre longuement. Les années passèrent. Elle est devenue non-pratiquante sans la conscience qu’elle portait en elle des croyances de culpabilité et d’interdiction, les fameux diktats. Ses portes d’accès à la vie étaient plus fermées qu’ouvertes.

Une lecture marquante lui a fait découvrir un Dieu aimant et différent de son Dieu rabaissant de la femme obligée à la soumission de l’autorité. Elle s’abreuvait des mots écrits par l’auteure, elle surlignait certains passages, elle annotait les marges de ses réflexions et tentait, tant bien que mal, de mettre en pratique ses connaissances acquises, ce qui lui demandait efforts et discipline. Elle prenait conscience du pouvoir créateur de sa pensée, de ses paroles et de l’influence qu’elle pouvait avoir sur les autres. D’unique à double, le sens venait de changer, elle existait enfin. Elle a ensuite souffert de boulimie de lecture, elle n’arrivait pas à sustenter son avidité. Elle lisait et remplissait ses cahiers de notes réflexives, de citations et d’aspirations. Les cahiers sont devenus ses confidents. Un jour, elle a tout brûlé. Il n’aurait pas fallu que quelqu’un lise les méchancetés contenues sur les lignes du cahier. Damnée, l’enfer aurait été sa destination, elle en est convaincue. Toute la noirceur de ses écrits est devenue cendre.

La mère morte

Un jour, sa mère est morte. Une mort subite, inattendue. Ce fut, pour Marie-Madeleine, une expérience énergétique hors du commun. À l’hôpital, le jour de la mort, tous étaient rassemblés autour d’elle pour attendre qu’elle reçoive le dernier sacrement. Ne pouvant communier ni faire pénitence, le prêtre ne lui a administré que l’extrême-onction pour la libérer de tout péché. Une semaine plus tard, sa mère fut exposée. À la vue de son corps dans le cercueil, Marie-Madeleine a senti qu’elle était partie alors qu’à l’hôpital l’énergie de sa mère était encore présente dans l’atmosphère malgré le refroidissement de son corps. Est-ce son âme ou sa personnalité? Elle ne sait trop ce qui est parti, mais ce qu’elle sait, c’est que dans le cercueil, le corps était vide. C’est alors que la croyance en l’énergie fut. Durant la semaine suivante, elle a fait bruler un cierge pendant sept jours pour favoriser le transit de l’âme de sa mère vers la lumière éternelle. Un rite de détachement. Les rituels ont pris de l’importance dans sa vie, ils l’apaisent.

Cette mort fut fracassante, bien que sa mère soit décédée, elle continuait d’envahir les pensées de Marie-Madeleine. Ce n'est pas parce qu'une personne disparaît qu'elle ne nous hante pas. Elle a fait appel à des psychologues pour l’aider à ne plus entendre sa mère. Elle a rencontré des maîtres, suivi leurs enseignements. Elle a fait des retraites en silence et assisté à des ateliers tout en continuant ses lectures. Elle a agrandi son cercle d’amis, une petite communauté est née. Elle était bien dans ce monde positif et doux. Une grande peur restait en filigrane, celle d’être happée par une secte. Cela ne s’est pas produit.

De l’évolution à la révolution

Avec ses nouveaux amis, elle partageait ses lectures, ses pensées, ses blessures, ses rituels et son grand désir d'évolution. Elle a consulté une coach durant plusieurs années. La raison de sa consultation : « Comment se fait-il qu’elle soit incapable de terminer ce qu’elle commence? » Dans les faits, elle avait un empêcheur d’aller de l’avant. Femme soumise, elle avait permis qu’on la possède alors que maintenant tel n'était plus le cas. Tristement, ce ne fut pas possible pour elle de déployer ses ailes aux côtés de son mari. À chaque tentative, il la ramenait, à sa place, dans sa cage dorée.

Elle s’est cachée, elle a évité, elle a menti, à elle-même plus qu’aux autres pour montrer un beau visage et ne pas perdre la face. Tels les soldats dans les tranchées, elle s’est camouflée pour ne pas être découverte. En cachant la turbulence et l’amertume de son soi intérieur et la violence qu’elle vivait dans son domicile, elle se croyait à l’abri des jugements, des regards accusateurs ou des rejets des personnes qui paraissaient mieux qu’elle.

Envahie par la culpabilité, elle se pensait pécheresse. Est-ce péché de cacher sa honte? Elle subissait, elle ne passait pas à l'acte. Elle souffrait, on lui faisait du mal, elle s’en faisait aussi. Elle devait sauver sa peau. L’autre avait péché, il manifestait sa colère. Quelque part, dans ses multiples lectures, il était écrit de fuir la violence et la manipulation. Prise d'un paradoxe entre la soumission et la liberté. Sa démarche fut longue. Elle s’est soldée par un divorce fracassant.

Elle est passée à l’action et elle a ruminé. Dieu qu’elle a ruminé! Se retrouver seule lui a fait voir ses défauts. Elle ne les avait jamais regardés, trop occupée à regarder l’autre pour se défendre du danger toujours présent. Elle était sa victime ou sa sauveuse, il était son bourreau. Un jour, elle a appris qu’elle était aussi un bourreau à ses heures. Après avoir eu honte, elle a admis ses torts.

Une faute avouée est à moitié pardonnée. Une autre parabole de sa mère.

L’espérance

« Est-ce le bon moment pour parler de la confession? »

L’endroit, le confessionnal, est étrange et épeurant pour une enfant. Attendre en ligne pour aller chercher l’absolution du pouvoir en réfléchissant à ses péchés : « J’ai menti trois fois à ma mère, je n’ai pas écouté deux fois mon père, j’ai été choquée envers ma petite sœur 15 fois, quoi d’autre? » L’espoir d’être graciée de ses péchés par la prière, alors qu'elle n'était qu’une enfant. « Allez en paix mon enfant, vous direz deux Je vous salue Marie, trois Notre-Père et ajoutons un Je crois en Dieu. » Dépourvue de compréhension, Marie-Madeleine n’allait pas en paix. Par soumission et non par dévotion, elle remplissait la commande qui lui avait été passée, elle récitait ce qui lui avait été prescrit par le prêtre.

Dire, nommer, dénoncer est salvateur. On a besoin d’un endroit pour exprimer sa violence pour s'en libérer. Ensuite, on peut passer à la prochaine étape : réfléchir, demander de l’aide, de l’accompagnement. Maintenant, Marie-Madeleine a appris à exprimer sa colère à Dieu, il n’y a plus de curé entre eux et elle ne se retourne plus contre elle-même, du moins, de moins en moins! Ce qui l’a maintenu en vie de la maltraitance c’est son lien au divin. Plus grand que soi, la foi qu’il y avait une force intérieure bienveillante. Cela pourrait aussi être de l'espoir. Marie-Madeleine vit d'espérance.

Les royaumes et leurs trésors

Grande voyageuse! Marie-Madeleine a visité plusieurs pays et leurs lieux de culte.

La visite marquante du Vatican l’a écœurée. Voir les richesses a fait monter une colère d’injustice la ramenant au « né pour un petit pain » prêché par les prêtres et endossé par beaucoup de familles québécoises. Eux-mêmes qui ont puni et blessé tant d’innocents. Elle venait de voir le résultat des quêtes, à la messe du dimanche, les pauvres citoyens qui paient leur dîme pour enrichir l’Église. Les gens peinaient à nourrir leur famille et devaient sauver leurs âmes par l’aumône. Sa révolte est toujours présente après toutes ces années. À ce jour, il est encore difficile pour elle de faire la différence entre la monarchie et le Vatican, un semble plus hypocrite que l’autre.

Visiter Israël l’a chamboulé. Jérusalem, l’appel à la prière, elle ouvre sa fenêtre pour l'entendre. La voici à faire un vœu devant le mur des Lamentations, il existe! Jésus est né ici! La culture juive orthodoxe, le mélange des religions, la violence, le parcours de Jésus, les saintes Écritures, le chemin de Croix, le désert, Bethléem, le tombeau de Marie, le lac de Tibériade, la mer Morte. Que croire? Un si beau pays où y règnent la violence et la terreur.

Charmée par la Turquie et par ses paysages, son passage de l’Asie à l’Europe en traversant le pont du Bosphore. Les mosquées, les multiples appels à la prière que plus personne n'écoute, l’islam, le soufisme, un autre Dieu, Allah!

Sans citer d’autres pays, les visites d’Abbaye, d’églises, de basiliques, de cathédrales, d’oratoires, de mosquées, de temples, ces lieux plus grandioses les uns des autres. Entendre l'écho du silence, sentir la cire des chandelles ou de l'encens qui brule. Chaque fois, Marie-Madeleine est habitée par une paix intérieure malgré les nombreux visiteurs qui, tout comme elle, sont curieux de voir ces lieux de recueillement et riches d’histoire.

Les chutes

Se reconstruire. Quelquefois, la vie nous éprouve et c’est ainsi. Marie-Madeleine a fait son chemin de croix. Tout comme Dieu, elle est tombée trois fois. Est-ce qu’on la punissait d'avoir pêché, d'avoir brisé sa famille?

La gratitude, un grand remède, l’a aidée à se relever. Elle s’est ouverte aux autres, elle a accepté leur aide, elle s’est débrouillée et, surtout, elle apprit à demander. Affaiblie dans sa structure osseuse, son estime de soi s’est renforcie. Elle a vu le bon et elle a accueilli la chaleur humaine.

Occasionnellement, un cauchemar récurrent vient déranger ses nuits. Ses yeux sont fermés, incapable de les ouvrir parce que la lumière est trop puissante, voire aveuglante. Quelle pouvait bien en être la signification? Depuis qu’elle accepte de montrer sa vulnérabilité et ose confier ses plus grands secrets, le rêve n’est plus. Malgré sa honte, elle a su appeler à l’aide et admettre ses torts au lieu de continuer à se cacher. Depuis l’aveu, le rêve n’est plus revenu. Se dévoiler lui a permis d’enlever le voile de ses paupières devant la lumière. Elle peut faire face à sa lumière intérieure, celle qu’elle a mis tant d’effort à nier.

La combattante range ses armes, accueille son sacré et rend grâce à l’amour pur.

Les dents-de-scies

Son parcours spirituel s’est construit en dents de scie, le fil conducteur n’est pas droit, même encore à ce jour. Ses pensées se sont assouplies, elle est plus flexible et elle se raconte avec humilité. Elle écoute ce qui résonne au lieu d’imposer sa raison avec ténacité. Elle a l’impression que tout ce qu’elle a vécu auparavant ne l’a pas préparée à sa vie de maintenant. C’est comme si elle ne savait pas dans quoi elle s’embarquait, à quoi sa vie allait ressembler. Elle n’avait pas de plan. Ce dont elle est certaine[2] c’est que son désir de liberté, d’autonomie et d’épanouissement est plus fort que tout. Elle a combattu pour vaincre les incohérences de sa vie, pour dénoncer les tabous et briser les diktats de sa famille, du moins ceux qu’elle peut reconnaître.

Son égo est fort, il veut montrer qu’il sait, qu’il peut. Il a sa propre quête du savoir et du pouvoir. Il arrive qu’il prenne le dessus et qui oublie de s’arrêter pour se centrer et écouter ce qui résonne. De plus en plus, elle l’intercepte. Elle n’aspire pas devenir dévots, mais elle aspire à connaître son essence.

L’ancien et le nouveau

En rédigeant son travail, elle constate avoir eu une vie "avant" et une vie "après" son long mariage religieux. Une scission marquée. Grande naïve, elle a cru à ses vœux prononcés à l’âge de 22 ans quand elle lui a promis solennellement de l’aimer, de lui être fidèle et … jusqu’à ce que la mort les sépare. Aujourd’hui, à l’âge de 66 ans, avec du recul, elle repense à ces vœux pieux, appris par cœur et énoncés sans en connaitre leur valeur. « Comment pouvait-elle l’aimer alors qu’elle ne s’aimait pas ? » En revanche, humblement, elle a répondu au grand commandement de l’amour : Vous aimerez votre prochain comme vous-même. Elle l’a aimé comme elle s’aimait.

L’Univers s’en occupe

Avez-vous déjà eu le goût de vous venger? C’est une rancunière qui vous pose la question. Est-ce que ce goût vous habite? En fait, une réponse positive de votre part la déculpabiliserait, Marie‑Madeleine se sentirait moins seule et méchante. Cette confession ne se fait pas de gaité de cœur. Elle fait partie toutefois du processus de guérison. Être une bonne personne est un désir cher et elle s’applique quotidiennement à s’améliorer pour atteindre cet objectif. Force est de constater qu’elle est juste humaine. L’espérance d’une mort sereine et accomplie flotte.

Certains jours, solitaire et enfermée chez elle à attendre que la vie passe, elle se ronge les sangs, s’arrache les peaux sur les doigts qui ont tendance à pleumer durant l’hiver. Tel un vice, elle s’acharne à arracher jusqu’à en être à fleur de peau. Une des solutions trouvée, pour éviter la sensation d’une peau cuticule qui se décolle est simple. Elle porte des gants blancs en regardant la télévision. Ainsi elle ne sent rien et ne touche à rien. Cela lui donne un air de gardienne de musée qui consulte des codex précieux, mais on s’en fout. Personne ne la voit. Par contre, elle se sent tout de même coupable. L’arrachage est un tic qui se transmet de générations en générations. Elle le tient de son père. Va-t-elle parvenir à libérer les générations futures de cette mauvaise habitude? Des doigts en sang, ce n’est pas très élégant pour une dame. Qu’est-ce qu’elle arrache au juste?

Durant ses temps libres, elle a effectué quelques recherches pour savoir comment libérer la rancœur et quels étaient ses contraires. Les voici : indulgence, clémence, tolérance, accommodement et manganisme. Tous des mots spirituels. La rancoeur provient d’une blessure psychologique, un sentiment d’injustice, une menace, un préjudice, une humiliation, une colère intérieure qui ne s’extériorise pas. Tous des mots religieux rattachés aux péchés.

Ouf, comment extérioriser cette colère? Avoir le désir que l’autre souffre autant que nous, une vengeance qu’on ronge de l’intérieur. Comment libère-t-on ces rancunes qui en même temps qu’elles nous font souffrir nous font croire qu’on doive les entretenir pour ne pas oublier ce qui nous a été fait. Il est mentionné comme solution de pardonner. Comment pardonner à ces monstres qui l’ont fait souffrir? En parlant de sa rage à une amie, cette dernière lui a dit que l’univers s’occuperait d’eux et lui conseillait de ne pas se préoccuper de leur malheur. Pour Marie‑Madeleine, souhaiter leur malheur lui crée un mal-être auquel elle est attachée.

À qui elle en veut? À lui, à elle, à eux, à tous ces gens qui l’ont fait souffrir.

En fermant ses yeux, elle imagine une marguerite et en épluche ses pétales. « J’en veux, je n’en veux pas, à lui à elle, à eux, j’en veux, je n’en veux pas à lui, à lui, à elle, à eux ». Arrivée à la fin, le rayon de la marguerite est épuisé. La conclusion : je n’en veux pas. Le blanc est parti, le jaune a taché ses doigts. Elle tient son disque, le fleuron, celui qui contient les gaines, la semence, la possibilité de se reproduire, de revenir en beauté. Elle a le choix, l’écraser ou le semer. Le goût de l’écraser est fort, la semence l’emporte. Elle sème la beauté dans son cœur en pensant au jeu de la marguerite et constate que le passage des gens à qui elle en veut était obligé.

La statue de sel – l’immobilisme

Tiens v’la la statue de sel qui se manifeste, l’incapable, la figée, la rigide! Celle qui lui fait croire que si elle bouge, elle sera en danger. Celle qui l’empêche de passer à l’action parce qu’elle n’est rien qu’une incapable, une bonne à rien. Son ennemi numéro un : l’empêcheur d’aller de l’avant, le grain de sable dans l’engrenage. Celui qui bousille tous ses objectifs et qui s’installe insidieusement en elle. Elle ne voit rien venir et, soudainement à un certain moment donné, la statue surgit. Ô secours, voici la coupable qui stagne, la pécheresse de la paresse.

Impressionnante cette histoire de statue de sel. La première fois qu’elle l’a entendue, c’est à la petite école. Hantée par la croyance d’être affublée par cette punition de la femme désobéissante. Statue, plus rien ne bouge. Le reste de la famille continue son chemin et laissent la statue derrière eux. « Eille, ils n’ont même pas de peine! » La crédulité et l’innocence lui ont nui. Peur de la punition et du châtiment. Soit une bonne fille, sage comme une image. Enfant, elle n’avait pas la capacité émotionnelle, encore moins intellectuelles, pour interpréter les paroles de la religieuse et elle n’a pas eu la chance d’être entourée de parents dignes de lui enseigner la signification de cette métaphore.

Elle a développé un comportement docile et soumis. Derrière cette apparence de docilité, se cachent de la frustration, de la tension et de la révolte. Elle a refoulé ses désirs les plus grands, sa scolarité, sa profession, sa famille. Elle a vécu sur le « retiens bien » à en user ses dents.

Décrocheuse scolaire, la coupure entre l’enfance et la vie adulte s’est faite drastiquement. Ressaisie-toi et marche. « Youhou vous êtes où mes parents? » N’êtes-vous pas supposé de me donner des ailes. Au lieu, vous me les avez coupées! « Arrête de voler, tu pourrais nous inquiéter. Ne parle pas, tu pourrais nous blesser. Ne t’excite pas tu pourrais être pointée du doigt. Ne bouge pas, tu déranges! Fais ce qu’on te dicte et tout ira pour le mieux. » Dès que la petite se manifestait, elle était dans le trouble. Chaque fois qu’elle s’épivardait, elle était punie. « Vas-tu finir par comprendre? Vas-tu finir par « fitter » dans le moule. Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu pour en arriver là? » La petite était une cause désespérée, rien à faire de bon avec elle. « Pas assez ceci, trop de cela, mange, ne mange pas, bois, ne bois pas. N’entre pas pour uriner, retiens-toi ce n’est pas l’heure d’entrer à la maison. Joue dehors mais ne te salit pas, ne brise pas tes vêtements, ne t’éloigne pas. » Rendue adulte, ces paroles passent encore en boucle dans sa tête, mais aujourd’hui, elle peut les entendre et les intercepter. Tranquillement elle s’en déleste.

Regarder en arrière la paralyse. Mais qu’est-ce qui peut bien l’attirer ou l’attacher au passé? Ce passé trouble et souffrant. Afin d’arrêter d’étouffer et de courir à sa perte par le châtiment, tout comme la statue de sel, elle a fui pour sauver ma vie. Elle ne serait pas morte mais elle aurait été éteinte de tous ses feux. Elle a coupé tout contact pour ne pas retourner derrière et revivre le seul cycle qu’elle connaissait, celui de la violence. Cette violence qui assaille les entrailles. Cette violence qui se joue à deux. Contrer la violence par la violence. Tracer son chemin en tentant de ne pas se retourner. Ce n’est pas sans écueils qu’elle y parviendra. En traversant vents et marées, en escaladant des monts et en descendant aux enfers. Chaque fois qu’elle retourne dans son passé, la statue de sel refait surface. Sa tête regrette sa fuite mais son cœur sait qu’il le fallait.

Quand la femme de Loth fait surface, elle vient lui rappeler la confrontation, la désobéissance, l’indignation ou son manque de confiance en l’autre. Un regard sur ses plus grandes blessures : la trahison, l’abandon, le rejet. Blessures qu’elle soignait avec le mauvais remède : la soumission et la pénitence. Comme la statue elle a renoncé à des choses qui l’empêchent d’avancer et qui la clouent sur place. Elle tente de ne pas ressasser le passé des choses qui lui ont fait mal, elle chasse le regret et encourage le pardon. Cela lui demande de l’accueil, de la bienveillance et de la compassion. Une meilleure médication.

Marcher en regardant droit devant. Aider les autres en les prenant par la main. Faire confiance en Dieu quelques soit les épreuves. Elle pratique le « croire en soi » pour ne pas se retourner sur sa foi.

Les promesses et l’espoir

Effacement d’une faute par le pardon.

Pourra-t-elle se pardonner de toutes ses fautes? Son diable intérieur a bien de la misère à la laisser partir pour l’aider à rejoindre sa lumière. Elle a longtemps dénié ses péchés.

Six ans après son divorce, malgré l’absence de contact, il lui arrive de rêver à son ex-mari. Elle le trouve beau et le désire. Elle souhaiterait être dans sa vie et elle chérit encore l’espoir qu’il est une bonne personne tout en sachant pertinemment qu’il doit rester loin d’elle. Dès qu’elle se retrouve à ses côtés, il se transforme en monstre. La réconciliation ne sera pas possible, c’est trop toxique.

Une nuit, il était devenu un conférencier émérite. Remplit d’assurance, il donnait sa conférence. Elle le regardait, l’admirait tout en se diminuant elle-même. Elle enviait son succès. Il a réussi sans elle alors qu’elle n’a pas réussi sans lui. C’est le triste constat qui lui vient à l’esprit. Elle cherche l’efface magique qui lui permettra d’expier ses péchés et de se pardonner enfin. Ses rêves, loin d’être merveilleux sont abominables. Son imagination fait défaut, elle espère à rêver à de belles choses : rêver à la lumière de Marie-Madeleine, à sa bonté et à son enthousiasme.

La solitude lui pèse. Elle a l’impression d’être une grosse patate sur son sofa. Ses journées sont routinières et plates. Elle s’ennuie et elle se convainc que si elle était restée mariée, elle ne s’ennuierait pas.

Le goût de retourner est fort, retourner vers le connu qui fait mail plutôt que de faire face à l’inconnu guérisseur. Donner de l’importance à l’autre, vivre pour l’autre, être dépouillée de tous pouvoirs. Rester dans l’enfer. Pas celui de la luxure et du plaisir, mais l’enfer de la colère, de l’envie et de l’orgueil. Ces mots étaient considérés comme des péchés mortels, il fallait les refouler ou au mieux honteusement les confesser pour éviter le jugement dernier et se ramasser en enfer à sa mort. On les refoulait et on devenait des êtres tordus ou malades. Avec les années et l’évolution, les pêchés sont devenus des sentiments qui occasionnent des émotions. Encore là, on a appris à focaliser sur le bonheur, le plaisir et la joie pensant que c’était le nirvana de la réussite et on taire les émotions pour éviter d’être vu comme une personne faible avec une étiquette de victime sur le cœur. Une victime ne réussit pas, elle coule.

L’acte de contrition

Son Dieu était son mari, lui si bon, si aimable et si pur. Si Marie-Madeleine résistait, elle l’offensait. Quand elle prenait la résolution de ne plus l’offenser et de faire pénitence, elle acceptant de se soumettre à ses demandes. Il continue d’hanter ses rêves. « Wouch wouch l’ex ». Elle l’a dans la peau tel un tatoue qu’on n’aime plus. Elle ne peut s’empêcher de le voir et d’avoir du regret. Il est toujours là pour me rappeler et susciter l’émotion. Ses pensées sont envahies alors qu’il n’existe plus dans son quotidien ni dans sa vie. Telle une tache sur un vêtement qu’on ne peut faire disparaître, même l’eau de javel n’agit pas.

Marie-Madeleine se souvient que sa grand-mère paternelle se parfumait à l’eau de javel La Parisienne, elle avait souvent l’habitude de dire que si elle pouvait en boire, elle le ferait. Avait-elle péché à ce point? Son besoin d’être purifié était grand. Elle fut enterrée avec ses secrets. Ironiquement, en pensant à sa grand-mère la chanson de La Chicane, « j’ai d’la misère oh calvaire, j’ai du ressentiment dans le sang, c’est comme d’la rage dans une cage... » « Wouch wouch la rage ». A-t-elle hérité de sa rage?

Si Dieu existe

Une amie lui a écrit, « pour haïr, il faut avoir aimer ». Cette phrase lui a confirmé qu’elle sait aimer. C’est déjà ça!

Marie-Madeleine termine son travail en fredonnant « Si Dieu existe ». Un mystère inconnu. Elle lira Spinoza, peut-être rejoindra-t-elle Edgar Morin dans sa pensée sur la foi.

[1] Citation de l’article du Paris Match paru dans le journal La Presse Plus – 24 juillet 2022. Les leçons de vie d’Edgar Morin. Journaliste : Sophie Des Déserts.

[2] Oprah Winfrey – Ce dont je suis certaine (2014), Édition du trésor caché