Encore un dimanche comme tous les autres qui commençait par la messe paroissiale…

Je suivais mes parents, endimanchés (juste qualificatif…), mon père frais rasé, ma mère bien

coiffée, ma petite sœur et mon petit frère au garde-à-vous, impeccables dans leurs habits

presque neufs. Au milieu des années ’60, dans mon patelin, personne n’aurait pensé faire autre

chose le dimanche matin. Ne pas aller à la messe, à moins d’une très sérieuse raison, était

inimaginable. Je ne dirai même pas que de ne pas y aller aurait attiré l’opprobre des autres

paroissiens, non, on n’y songeait même pas. C’était comme ça, voilà tout.

Dans ma classe, de rares et louches individus se posaient la question de la pertinence de se

pointer à l’église une fois par semaine… Pourquoi même se poser la question? On y allait, et puis

voilà. Quant à croire ou non, encore là, ça allait de soi. On faisait tous partie du même groupe,

du même clan, on partageait tous les mêmes règles de base de vie en société. Bien sûr, on savait

tous que des gens ailleurs (très loin…) vivaient autrement, guidés par d’autres préceptes

religieux. Mais ils étaient dans l’erreur. Erreur dont ils se rendraient compte quand on leur

apporterait la révélation du fils de Dieu ressuscité pour nous donner à tous la vie éternelle.

Amen.

Mais, la messe, c’était plate… Bon, d’accord, on la disait en Français depuis quelques années, on

chantait même en Français, parfois dans des messes dites «À GoGo» que je m’efforçais de

trouver sympathiques, mais qui étaient minables. Guitares électriques, «set de drums» micros

rutilants et musiciens aux cheveux presque longs faisaient leur possible pour nous faire croire

que l’Église était dans le coup. Peine perdue. Liturgie chrétienne et musique rock étaient deux

univers bien distincts qu’il était dangereux de vouloir mixer. Un cocktail discordant.

Un jeune prêtre qui nous enseignait la catéchèse (une espèce de catéchisme À Go Go) m’avait

parlé un jour de sa vocation. Je trouvais son travail intéressant et j’étais persuadé que j’aurais

fait un bien meilleur curé que la plupart de ceux qui nous commentaient les saintes écritures en

chaire.

Mes chers amis, ce que Paul cherche à nous dire, dans la lettre aux Corinthiens, notre

lecture d’aujourd’hui, c’est que l’amour divin transcende tout et que, peu importe nos

péchés ou nos erreurs, la justice divine ne nous punit pas, elle nous aime avant tout.

Posons-nous la question : Qu’est-ce que la justice? On a souvent l’impression que justice

égale punition. Œil pour œil, dent pour dent. Comme dans l’ancien testament. Mais Jésus

serait-il venu pour rien? Lui qui tendit l’autre joue à celui qui le frappait? Etc. Etc….

C’est vrai qu’en cherchant un peu, on pouvait y trouver d’intéressantes leçons de vie, souvent

proches de la social-démocratie. Bref, le jeune prêtre m’avait raconté qu’une fois, lors de la

messe du dimanche, il s’était senti appelé par Jésus. Je trouvais ça fascinant. J’aurais bien aimé

que Jésus me parle à moi aussi, le temps aurait passé plus vite et la messe aurait été moins

plate.

Donc, je regardais intensément Jésus en espérant qu’il me parle (pas celui sur la croix, il était

trop souffrant, il avait autre chose à faire que me parler, je regardais celui en tunique, les bras

ouverts et qui semblait gentil).

Parlant de croix, je me suis souvent demandé ce qui se serait passé si Jésus avait été pendu au

lieu de crucifié. On aurait des bonhommes pendus dans les églises et les filles se feraient offrir

des chainettes avec des petites potences en or à Noël?

Toujours est-il que Jésus restait désespérément muet. Un petit bonjour, comme ça en passant,

j’aurais bien aimé. Ne serait-ce que pour me signaler que toute cette conception du monde

s’était bâtie sur autre chose qu’une belle légende. Je ne vous promets pas que je lui aurais obéi

s’il m’avait demandé de lui consacrer ma vie. J’aimais trop les filles pour renoncer à leurs

charmants charmes.

Mais, bon, il avait parlé au jeune prêtre et à bien d’autres, alors il devait bien exister…

À douze ans, quand les poussées de testostérone viennent troubler votre rapport au monde, on

ne pense plus qu’à ça (on y pense beaucoup, mettons…). Tant et si bien que, quand l’assemblée

chantait :

Saint, saint, saint, le seigneur, Dieu de l’univers

Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire!

Évidemment, j’entendais: seins, seins, seins… et on en voit partout, surtout ceux des jeunes filles

en fleurs qui feignent la piété virginale…

-Marcel…

Me parle-t-on? Qui me parle?

-Marcel…

C’est toi, Jésus? Ah ben ça parle au dia… Si je m’attendais à ça!

-Mais bien sûr que tu t’y attendais. Tu n’arrêtes pas de me solliciter : Parle-moi, Jésus!

Parle-moi! Eh bien me voilà.

OK. Mais pourquoi, là à ce moment précis?

-T’as pas une petite idée? Tu as des pensées impures en pleine liturgie! Seins, seins,

seins, non mais ça va pas la tête? Et la sainteté, qu’est-ce que t’en fais?

Les quoi? Les seins tétés?

-Petit obsédé… Bon, allez, je comprends. J’ai été Dieu fait homme après tout et où y’a de

l’homme y’a de l’hommerie. Mais pas à l’église… Pas pendant la liturgie… Tu imagines si

tout le monde dans l’église t’entendait penser?

Oups… Oui, mais toi qui es omniscient, tu dois savoir ce que tout le monde pense?

-Oui, bon, ça va, j’ai compris. Tu es loin d’être le pire. Si c’était le cas, je ne prendrais

même pas la peine de m’adresser à toi. Tu sais que c’est plein de jeunes filles ici qui ne

rêvent que de fonder une famille avec un garçon bon, fidèle et respectueux.

Mais je suis un bon garçon… Je veux bien fonder une famille, mais pas tout de suite quand

même. Mais on jase, on jase, tu ne me demandes pas de devenir prêtre pour me consacrer à

toi?

-Le ferais-tu si je te le demandais?

Euuhh…

-Bon, c’est bien ce que je pensais. Ça ne vaut même pas la peine d’essayer. Mais au

fond, je le savais d’avance puisque je suis omniscient. Tu n’as pas idée de comment ça

peut être embêtant de tout savoir sur tout le monde… Bon, arrête de fixer les jambes de

la petite Bouchard et fais un effort pour profiter du moment de recueillement du

dimanche matin…

Mais, Jésus, pourquoi les as-tu faites si jolies si tu voulais qu’on pense à autre chose?

-Croissez et multipliez-vous a dit mon père à Adam et Ève. Pour ça, il faut que vous soyez

attirés les uns aux autres…

Me reproduire, je veux bien, surtout si c’est avec la petite Bouchard. Mais, est-ce qu’on va

pouvoir se pratiquer un peu avant?

-…

Jésus?

-…

Jésus?

Il était sans doute allé parler à quelqu’un de plus réceptif que moi.

Soudain, tous se dirigèrent vers la sortie. La messe était finie, déjà?

Merci Jésus, à la prochaine.

À la sortie, je croisai la petite Bouchard. Aujourd’hui, nous avons trois enfants et cinq petits-

enfants. Nous nous sommes bien pratiqués.