CONFESSION

Assis confortablement dans la chaise du prêtre, Edward appréciait le sentiment de pouvoir qu’il l’envahissait. Portant un regard circulaire sur la grande pièce dans laquelle il se trouvait, il comprit son vieux. Ce dernier, mort et enterré depuis des lustres lui manquait tout à coup. Le vieux n’était pourtant pas le plus sympathique, mais s’y connaissait drôlement dans ce type de situation. Il aurait été fier de son fils et du résultat, moins sa mère.

J’avais treize ans quand j’ai réalisé le type de travail que mon vieux pratiquait. Mon enquête d’enfant avait été fructueuse, car mon père était très discret. Il partait tous les matins avec sa boite à lunch à 6h00. Il revenait méthodiquement à tous les soirs à 17h00 comme un métronome. Ma mère ne s’inquiétait jamais de savoir si son mari serait en retard. Gérard, comme il s’appelait, était un homme de peu de mots et trouvait son travail gratifiant. Parfois, il glissait par surprise une remarque ou deux. Celles-ci étaient des indices que j’accumulais afin de comprendre le travail que mon vieux accomplissait à tous les jours. Mon vieux est devenu mon idole à cette période.

J’ai changé d’école à treize ans pour quitter le primaire et fréquenter l’école secondaire. Je devais marcher 2 km de plus que la petite école. Disons que j’avais le temps de m’égarer souvent entre la maison et l’école. Cette dernière n’étant pas mon endroit préféré. J’avais pris l’habitude de prendre un raccourci qui n’en n’était pas un, pour traverser la cour de l’église et du presbytère du quartier. Nous avions la plus grosse et la plus belle église de la ville. Elle datait des années 1800, elle avait beaucoup de vécus. Je m’y faufilais lors des services du matin, celui que seuls les petits vieux et petites vieilles se présentaient.

Comme j’arrivais toujours avant le service, le confessionnal était mon endroit préféré. Je m’y installais souvent pour écouter les péchés et les doléances des pauvres brebis ne se doutant pas que c’était un ado de 13 ans qui leur donnait l’absolution. C’est là que j’ai appris que Mme Bougie trompait son mari avec le laitier qui lui livrait son lait à tous les dimanches. M. Bougie n’était pas mieux, lui s’envoyait en l’air avec Mme Leblanc, la veuve du quartier. La plupart du temps, les péchés étaient véniels et non mortels et n’impliquait pas de graves conséquences pour les brebis égarés. J’arrivais toujours à leur donner une punition juste, du genre dite trois je vous salue marie afin de ne pas me faire repérer par le prêtre en service. J’ai pris beaucoup d’assurance avec les années, car j’avais décidé de m’informer à la bibliothèque afin que j’aie l’air convainquant. J’avais découvert que j’avais un certain pouvoir sur ces gens. En trente minutes j’arrivais à influencer le cours de la vie des gens, c’était exaltant.

C’est lors d’une de ces excursions que j’ai été surpris de voir mon père entrer dans l’église à 7h15 pile. Je croyais qu’il travaillait à cette heure-là. Cette fois-là, je n’ai pas fait de confessions à personne, car j’ai eu la frousse de ma vie. Et s’il m’attrapait, j’aurais passé un mauvais quart d’heure puisque je n’étais pas sur le chemin de l’école. Les jours suivants, j’ai évité d’entrer dans l’église et je me rendais directement à l’école. Le soir, j’essayais subtilement de lui glisser des questions pour savoir s’il avait l’habitude de se rendre à l’église. Comme à son habitude, ses réponses marmonnées au bout de ses lèvres incluaient que son travail ne me concernait pas, que j’étais encore trop jeune pour comprendre. Ma mère, toute patiente qu’elle était me disait de ne pas insister. Le travail de mon père nous permettait d’être à l’aise sans plus et que la curiosité était un péché véniel.

Après une semaine en retrait, j’ai repris mes arrêts à l’église tout en vérifiant que mon père n’y était pas, car ce dernier s’y présentait tous les jours à 7h15 pour rencontrer le curé et il ressortait au moins une heure plus tard. En connaissant son horaire, j’ai pu m’adapter. Heureusement, je m’étais rendu compte que cela occupait le prêtre me permettant d’écouter les confessions pendant 45 minutes à tous les matins.

C’est arrivé trois ans après que je faisais des confessions en secret pour le curé, je ne m’étais jamais fait prendre ce qui était relativement surprenant. J’y pense encore 10 ans plus tard de l’impossibilité de m’être permis cet accroc sans que le prêtre ou mon père le sachent. Et vous savez quoi, ils le savaient. Et comment je l’ai su, au moment ou je me suis rendu compte que les pénitences que je donnais aux brebis égarées arrivaient pour de vrai. J’avais pris confiance avec les années et je me permettais parfois de faire peur aux pêcheurs, vous savez ceux qui confessaient leur péché mortel et non les péchés véniels des brebis égarées. Ces dernières se repentaient rapidement et facilement. Je visais les menaces pour ceux qui je croyais dépassaient les bornes dans leurs péchés et croyaient s’en sortir en se confessant une fois par semaine.

Un jour, j’appris que le laitier s’était effondré dans son camion en allant voir Mme Bougie. Un peu surpris de la manière qu’il était mort, car je lui avais annoncé lors de sa confession qu’il allait mourir foudroyé par la main de dieu s’il n’arrêtait pas de voir ladite dame. Cela fut le premier épisode mais pas le dernier.

Mon père mourut un mois plus tard. Ma mère et moi étions très tristes et notre deuil m’arrêta pendant au moins un mois. Après m’être remis de mes émotions, je repris mon travail de confessions, c’est à ce moment que le prêtre est venu me voir. J’avais maintenant 16 ans et j’avais quitté l’école pour un petit travail au magasin général pour aider à subvenir aux besoins de ma mère depuis que mon père nous avait quitté. Le prêtre m’a proposé le travail de mon père. Étant donné que je faisais déjà les confessions, je pourrais être également la main de dieu également.

J’ai accepté et c’est là que j’ai compris le travail de mon père. Ma mère savait, mais ne dis rien comme au temps de mon père. Le quartier resterait donc dans le droit chemin, du moins entre 6h00 et 17h00 du lundi au vendredi.