Assis inconfortablement sur la banquette bleu poudre tout près du jukebox, j’écoutais Landslide de Fleetwood Mac. Un sentiment de tristesse m’envahissait toutes les fois que j’entendais cette chanson et je n’y pouvais rien. J’en étais rendu à mon troisième wagon-restaurant cette semaine. Pour faire changement, ils se ressemblaient tous, surtout ceux qui longeaient la route légendaire 66. J’étais à mi-chemin entre Albuquerque et Oklahoma City dans un petit bled nommé Adrian au Texas.

Pourtant, celui-là me semblait bien différent des autres. Ce n’était pourtant pas l’odeur de graisse de frites, car celle-ci était la même partout. C’était… oui, l’absence d’odeur de poussières, de sueurs et de vieilles antiquités qui traînaient un peu partout dans ces restaurants qui m’inquiétait. Le Midpoint Café sentait la voiture neuve, vous savez l’odeur du sapin, du cuir neuf et du désinfectant à l’orange. Et question d’odeurs je m’y connaissais, c’est mon travail.

- M’sieur vous prendrait quoi au menu ? me demanda soudain la serveuse. Je ne l’avais pas entendu arriver silencieusement derrière moi.

En jetant un coup d’œil vers son badge où était inscrit son nom, Gisèle avec sa poitrine proéminente se penchait vers moi pointant le menu. Elle sentait bon, elle devait faire dans les soixante ans, au moins, avec sa chevelure teinte en blond platine délavé. Gisèle s’impatientait un peu de la lenteur de ma réponse.

- Que me suggérez-vous ? prenant la peine de lui remettre le menu que je n’avais pas lu faute d’avoir mes lunettes.

Ravie, la serveuse me regarde avec un grand sourire édenté. Un peu surpris, j’auras cru qu’elle aurait perdu patience avec moi, mais non. Tout sourire, elle débuta à me décrire le menu du chef Rinaldo comme si ce dernier était un grand chef italien d’un restaurant Michelin 4 étoiles. On s’entend ici que j’étais bien dans un casse-croute au milieu du désert, rien à voir avec Rome et ou Naple.

- Je vous suggère le burger végé avec les chips aux patates douces à la mayonnaise de Dijon, c’est à mourir que c’est divin s’extasie-t-elle en décrivant sa proposition.

- Voyez, toutes les clientes ici ne jurent que par ce burger en lui montrant la salle à manger remplie à pleine capacité de jeunes filles manucurées à souhait.

- Pourquoi pas, allez-y avec ce choix lui répondis-je, rien à perdre dans ce bled.

Gisèle repartit avec son carnet de notes vers la cuisine pour signaler ma commande. Je devais être perdu dans mes pensées, car je n’avais pas remarqué toutes ces jeunes filles qui mangeaient avidement leur burger dans leur assiette. Elles étaient par groupes de 2-3 ou même 4 par banquettes, c’était la folie. Leurs yeux étaient comme en transe. En plus, elles avaient toutes un cellulaire à la main en train de se filmer ou filmer leurs copines. Les effluves de leur repas me parvenaient de tous les côtés, j’avais vraiment perdu le fil depuis mon entrée au casse-croute. À ma souvenance, il n’y avait presque pas de clients quand j’y suis arrivé. Et on s’entend qu’au milieu de nulle part, je ne m’attendais pas à voir cette foule délirante.

En attendant ma commande, je pris la peine de me remémorer mon arrivée au casse-croûte. En regardant l’heure sur ma montre, je constatais qu’il était presque onze heures de l’avant midi. Un peu plus de deux heures depuis mon arrivée. J’étais arrivé tôt. En entrant dans la salle à manger, il y avait cette odeur de cuir neuf. Un homme un peu plus jeune que moi habillé en veston- cravate était installé au comptoir en train de siroter un café et pas d’autres personnes. J’étais vraiment perdu dans mes pensées pour avoir manqué l’arrivée quand même massive de dizaines de jeunes filles âgées entre 18 et 30 ans. Ces dernières étaient volubiles, excitées et relativement très bruyantes.

- Vous avez pris quoi monsieur lui demanda tout à coup une des jeunes filles assises derrière lui. Elle me regardait avec un regard intense en attente de ma réponse.

- Pourquoi vous me demander mademoiselle ? Est-ce important ce que je mange !

- Bien sûr me répondit-elle, c’est important de bien manger pour votre santé et pour votre corps sinon cela aura un effet sur notre corps à nous, lui répondit-elle.

- Ah drôle de commentaire, en quoi ma nutrition vous concerne-t-elle ! Tout en remarquant que sa voisine de table lui décochait un coup de coude.

- Laissez tomber monsieur, ma copine est seulement enthousiaste depuis qu’elle a découvert ce casse-croûte. Elle est toute nouvelle ! me dit la jeune fille à côté de l’exubérante.

Les deux jeunes filles retournèrent à leur assiette tout en dévorant leurs frites et leur burger. J’étais étrangement inquiet, mais la jeunesse d’aujourd’hui était à mon avis drôlement fanatique dans leur obsession. Finalement après vingt minutes d’attente supplémentaires, je vis la serveuse sortir de la cuisine avec un plateau contenant ma commande. Elle s’approchait de moi avec son grand sourire édenté, un peu effrayant et à la fois charismatique. Je sentais les effluves du burger parvenir à mes narines, et j’étais relativement excité finalement à faire la découverte de ce plat. Gisèle déposa son plateau sur la table et me présenta mon assiette ainsi que mon breuvage. Elle reprit son plateau et me lança un regard admiratif. Je pris le temps de la remercier et je n’avais pas besoin d’autres choses. Elle continua toutefois à me dévisager d’une drôle de manière.

- Oui, Gisèle est-ce tout va de votre côté, pour moi c’est complet, je vous remercie lui dis-je.

- Oh, mais monsieur j’attends juste que vous preniez votre première bouchée pour m’indiquer si le goût vous convient afin de l’indiquer à mon chef me répondit-elle

- Ah d’accord ! légèrement surpris. Je pris donc une bouchée pour la satisfaire ainsi que de me débarrasser de sa présence.

- C’est excellent lui dis-je vous pouvez donner mes compliments au chef de ma part.

Gisèle sourit, reprit son plateau et partit vers la cuisine. Comme c’était étrange de sa part. Je continuais à déguster mon plat avec quand même enthousiaste, c’était vraiment le meilleur burger que j’avais mangé depuis des lunes. Je pris le temps de tout déguster jusqu’à la dernière frite. C’est à ce moment que Gisèle est revenue me voir avec, toujours, son grand sourire.

- Et puis, mon petit monsieur comment était votre plat demanda-t-elle pour une deuxième fois.

- Excellent Gisèle ! lui répondis-je en engouffrant la petite frite qui m’avait échappé dans mon assiette.

- Très bien! Aimeriez-vous venir donner vos compliments directement au chef me demanda-t-elle.

- Oh non! Ça va! Vous pouvez lui faire part par votre entremise lui dis-je en constatant étrangement le regard de l’adolescente assise devant moi.

- Oh monsieur! Voyez-vous le chef apprécierait vraiment vous voir me dis Gisèle en me prenant le bras et insistant à me faire lever.

- Allez-y monsieur cela vaut vraiment la peine me lança l’adolescente en sortant son téléphone pour me filmer.

- D’accord, d’accord, si vous insistez ! Je passerais par la cuisine à mon départ m’entendis-je leur répondre. J’avoue que j’étais abasourdi de tout cet engouement autour du plat et du chef.

- Super monsieur, je pars avertir le chef, il sera enchanté de vous rencontrer. C’est tellement peu fréquent que nous ayons un chef parfumier qui arrête dans notre bled m’indiqua Gisèle continuant toujours avec ce sourire.

Je pris, donc le temps de replacer mon veston et défriper mon pantalon surtout après tout ce temps assis. Je pris mon sac et mon portable pour finalement me diriger vers la cuisine tout en suivant Gisèle. Les jeunes filles autour de moi s’étaient toutes arrêtées pour me regarder. Il faut dire que du haut de mes 6,6 pieds de haut, je dégageais une aura perturbante auprès de mes voisines. Les Oh! et les Ah! d’extase se firent attendre de part et d’autre. Bizarre, je ne fais pas cet effet-là d’habitude. Je suis grand et musclé, mais pas particulièrement beau.

Finalement arrivé près de la cuisine, je commençais à détecter l’odeur particulière que j’avais sentie à mon arrivée et que j’avais mis de côté. L’odeur était très forte, musquée et aigre à la fois. Je poussais la porte pour entrevoir le comptoir tout en face de moi. Le chef releva la tête et me regarda d’un air approbateur.

- Entrez, entrez je suis heureux de vous rencontrer me lança une grande femme presque aussi grande que moi.

- C’est excellent, vous ferez l’affaire pour ce soir, me dit-elle avec un sourire mystérieux.

- Merci, mais je ferais l’affaire pour quoi lui demandais-je tout en portant un regard dans la cuisine. C’est à ce moment que j’aperçois un monticule de linge bien plié sur le coin du comptoir. Ce n’était pas l’ensemble que portais l’autre homme présent dans le casse-croûte

Gisèle venait également d’entrer dans la cuisine et barra la porte derrière moi…