C’est en entrant dans le resto-motel à la devanture très typée années 60 qu’elle sentit quelque chose couler de sa culotte le long de sa cuisse.

Et merde ! Une fuite ! fucking cup !

Elle avait fait un acte qu’elle jugeait militant en choisissant une cup made in France au lieu de made in China… mais pour l’instant ce n’était pas concluant. Celle-ci était plus souple donc plus facile à insérer mais du coup elle pouvait rester en position “insertion” à cause de cette souplesse…et déclencher ce genre de souci de fuite.

Sandrine repensa à la conversation qu’elle avait eu quelques mois auparavant avec Michel à propos des règles. Les mecs habituellement étaient choqués ou fuyaient tout simplement ce sujet.

Nous les femmes on s’était occupé de décalotter nos fils et leur expliquer comment faire et on gérait les rendez vous pour la circoncision du petit dernier si nécessaire on expliquait comment on fait les bébés. On savait aussi vendre un after shave, un soin pour la barbe, ou ce petit instrument qui coupe les poils disgracieux des oreilles ou du nez ! pas de tabou, pas de dégoût.

Mais parler des règles à un homme…ça, c’était une autre limonade !

Elle avait entendu cette expression dans la bouche de Thomas Pesquet, dans sa conférence de presse en Novembre dernier, et aussi chez le talentueux Alexandre Astier : “ça, c’est une autre limonade!”, elle aimait cette expression depuis lors et la casait même dans ses pensées.

Les mecs savaient ils comment utiliser un tampon, avec ou sans applicateur ? quel était le bénéfice d’une serviette hygiénique avec ou sans ailettes protectrices ? Et les inconvénients ? La cup, l’éponge menstruelle ils en pensaient quoi ?

Ouh la la…le mâle alpha ne voulait pas en entendre parler ! Et d’ailleurs, en parler était l’assurance de passer pour une fille bizarre, pas nette, et pas du tout intéressante.

Michel était différent. Dans son corps de mâle alpha (une belle bête, il fallait le reconnaître) il y avait un petit cœur, un mec sensible, mais aussi curieux , très ouvert et tout simplement à l’écoute. Tous les sujets de conversations étaient possibles avec lui et l’échange toujours enrichissant tant ses questions étaient pertinentes !

Elle approcha du bar, elle était en avance et tant mieux, il était encore temps de limiter les dégâts de cette fuite menstruelle.

Elle remarqua le présentoir à fromage où dégoulinait ce qu’elle pensa être une pointe de brie qu’avoisinait un morceau de cheddar suintant et un petit crottin de chèvre. Un peu de fraîcheur n’eut pas été du luxe pour ce plateau.

Elle adorait le fromage, dommage…

Elle n’y attarda pas plus le regard mais se fit la réflexion que c’était grâce à Michel qu’elle avait découvert les fromages. Notamment les fromages italiens. Katia, la sœur de Michel qui vivait en Italie en envoyait régulièrement. Les repas fromage et Prosecco en amoureux, c’était quelque chose !

C’est en souriant à ce souvenir qu’elle remarqua cette jolie femme noire qui se tenait là au bar semblant attendre pour payer peut être ? Elle eu l’air désolée en regardant l’intérieur du genou de Sandrine sur lequel la goutte de sang épais arrivait. Elle eu surtout l’air désolée en lui disant “Les toilettes sont condamnés”

Mais quelle poisse !

-Je peux quand même aller………?

-….Vous repoudrez le nez ? oui je crois… Je tiens votre porte si vous voulez, dit elle en souriant

-Oh merci ! oui je veux bien.

A l’école on disait ça : “Tu tiens ma porte ?” Les verrous étaient toujours arrachés, il valait mieux avoir une vraie amie si on voulait faire pipi en paix ou gérer ses menstruations tranquilou bilou.

Alors merci Machine d’être ma bonne copine là tout de suite.

Le lavabo était à peu près correct, il y avait du savon accroché au mur (le gros savon jaune qui tourne sur un axe métallique). Elle allait gérer, il le fallait. Elle inspecta la petite pièce des yeux.

Un urinoir cassé dans un coin, et une porte condamnée de l’autre côté qui affichait “hors service, sorry !” et lui confirmait qu’elle était dans la merde !

Elle rouvrit la porte par laquelle elle était entrée et Machine lui tendit des serviettes en papier… Comme c’était bon parfois la solidarité féminine !

Elle géra…et n’y pensa plus !

En sortant des toilettes, les deux femmes échangèrent un sourire complice.

Sandrine s’installa à une table contre un mur rose. Une table en formica assortie au mur, avec ce contour en métal strié qui est si froid. Au centre : des serviettes en papier, du ketchup, de la moutarde, sel, poivre et la carte…classique.

C’était joli ces chaises en skaï vert amande. C’était harmonieux ce pastel vert et rose …mais un peu froid.

Peut être que ça manquait d’un jukebox pour finir l’ensemble et mettre un peu de rythme. Elle tendit l’oreille et s’aperçut que Marvin Gaye chantait “You’re all i need to get by” au loin, tout bas, pour un fond sonore discret mais raccord avec le décor.

You’re all i need …ouais tu parles ! Elle était sur sa playlist cette chanson. La playlist dégoulinante d’amour qui vous persuade que l’espoir est possible, l’amour fou rare et précieux, le romantisme incontournable et l’âme sœur là, quelque part qui vous attend forcément.

C’est comme ça qu’elle l’entendait la plus part du temps cette playlist.

Mais les mauvais jours, dans ces mêmes chansons elle entendait la tristesse infinie de l’abandon, la douleur lancinante de l’amour impossible, le gâchis d’avoir laissé partir l’âme sœur, le tourment entêtant du doute.

Elle attrapa la carte.

Ses cuisses collaient déjà à la chaise….Comme c’est chiant le skaï !

Allaient ils manger ? juste boire un verre ? parler du bon vieux temps comme des amis ? Elle avait une vraie préférence pour ce scénario… ou peut être rien de tout ça…wait and see…

Elle attendait Michel sans savoir quoi attendre de ce rendez vous vraiment, mais ça lui faisait plaisir de le revoir après tout ce temps. Qu’est ce qu’il devenait ? Après tout ce temps, tout était possible.

Ils avaient partagé une relation passionnée pendant deux ans… Deux ans d’émotion intense, de folie, d’adoration, de grand n’importe quoi incontrôlable où la raison n’a pas sa place, de moments rares et intenses à se regarder dans les yeux sans rien dire, pour mieux laisser parler les âmes. Deux ans d’un élan réciproque parfait leur semblait il.

Deux ans à se dire qu’il fallait arrêter ça à cause le leur trop grande différence d’âge, à cause de Sandrine qui ne veut plus d’enfants, de Michel qui en veut absolument.

Aucun avenir possible.

Quel ouragan merveilleux quand elle y re pense ! Deux ans à se faire des nœuds au cerveau qu’on balaye d’un baiser, qu’on oublie sous les draps ou lovés l’un contre l’autre dans le hamac. Deux ans de lâcheté car au fond personne ne prend vraiment de risque quand il refuse de trancher. Personne ne réclame personne, n’exige rien de l’autre et on ne prend pas le temps pour une vraie discussion, une vraie décision ou la construction de quelque chose. On vit le présent en profitant de chaque seconde de bonheur, bonheur qu’on ne met pas en péril puisqu’on élude, on esquive, on parle de tout un tas de choses (même des règles !) sauf de l’essentiel. On rit beaucoup et on reste secret aux yeux des autres….c’est plus excitant de vivre caché !

Je t’aime de tout mon cœur à la folie du monde entier et notre histoire n’appartient qu’à nous ! Rien à ajouter, le reste on s’en fout !

Sauf qu’un jour elle tombe enceinte. C’est une bénédiction ou une catastrophe….

A 35 ans il veut être papa, à 55 ans elle pourrait être à nouveau maman !?

La nature décide pour eux , la grossesse ne tient pas plus de quelques semaines, 2 mois et 27 jours exactement et la dispute éclate. C’est étrange de se disputer si violemment après une telle harmonie des cœurs et des corps, après tant de légèreté et de futilité dans les discussions. Les regards sont noirs désormais et c’est l’incompréhension et la culpabilité qui s’installent.

Et puis on ne s’est rien promis, alors on se voit moins, on se parle de moins en moins…d’un coup on ne s’aime plus car plus rien n’a la même saveur.

L’histoire est finissante sur un goût amer d’inachevé. On finit par se faire une raison “c’est mieux comme ça” et transformer cette passion stérile et puérile en joli souvenir.

Quand elle aperçut cette femme rousse entrer, Sandrine reposa la carte qu’elle n’avait finalement pas ouverte. Ses cheveux étaient magnifiques et éblouissants dans l’encadrement ensoleillé de la porte. On eut dit une crinière, sur une grande femme, fière, qui marchait d’un pas assuré.

C’est derrière elle qu’apparut Michel. Il semblait mal à l’aise de loin comme ça. Et alors qu’il avançait on lui distinguait un air de petit garçon timide que Sandrine ne lui connaissait pas.

Cette femme était très grande, très sûre d’elle et très enceinte aussi.

Michel semblait presque petit à côté d’elle.

Il fut le premier à s’asseoir, face à Sandrine. La grande femme resta debout près de Sandrine qui elle, resta béate, confuse et un chouia embarrassée, il faut le reconnaître. Les présentations furent vite expédiées et l’histoire raccourcie à sa plus simple substance : Michel et Nat’ (Natacha ? Nathalie ? ou Naturellement-un-peu-bourrue…on ne saurait jamais) allaient avoir un bébé , il fallait donc absolument que Michel fasse un peu de ménage dans sa vie.

Nat’ savait que Sandrine y avait occupé une place conséquente et il restait des traces…Il fallait donc “régler ça”une bonne fois pour toutes…

Mais là tout de suite elle devait uriner car sa vessie n’en pouvait plus de porter cet enfant à venir qui bougeait de plus en plus. Elle quitta la table, essoufflée de son petit laïus clair concis et à la limite de la grossièreté, dont il sembla à Sandrine que toute la salle avait profité.

Sandrine suivit du regard Nat’-le-grand-cheval qui se dirigeait vers les toilettes. Elle ne pensa pas à la prévenir qu’ils étaient condamnés.

En face d’elle, un étranger.

Par le col ouvert de son polo elle vit que Michel avait le torse rasé de près…

“merdalors, un mec si poilu, si doux, quel dommage !” Il portait une montre qu’elle qualifia intérieurement de “virile”, un pantalon de toile avec un pli bien marqué sur le devant et des chaussures qu’on pourrait qualifier de “du dimanche”. Une chevalière cheap boudinait son annulaire pour affirmer le N&M qui y était gravé…

Qui était ce mec ? Elle ne reconnaissait pas l’amant du passé qu’elle aurait voulu ami à présent.

-Tout va bien pour toi ?

-… Oui je crois, répondit il semblant regarder ses pieds à travers la table.

La situation était très malaisante.

-Tu vas être papa c’est super !

-Tu crois oui ? je ne sais pas trop…c’est compliqué mais oui, c’est bien

Il transpirait en guettant le retour de Nat-la-terrible…

Sandrine eut un sentiment mitigé, entre la pitié, la déception, l’incompréhension. Elle se demanda comment réconforter cet homme qu’elle avait tant aimé mais qui était si différent là tout de suite. Elle ne le reconnaissait pas

-Quel est le problème Michel ? Pourquoi je suis là ?

-Non, rien, ça va…Elle est très jalouse tu sais, je dois faire attention

-Mais attention à quoi ?

-Ce que je dis ou fais ou…enfin, toi, les autres, tout ça…

-Mais moi il n’y a plus rien ! Quoi moi ? Qui les autres ? Pas de raison d’être jalouse de quoique ce soit, on ne se voit pas on ne se parle pas !

-Oui mais …c’est ..particulier, et elle croit des choses parfois.

-What ? et tu n’es pas capable de la rassurer ? C’est la vie, elle se doute bien que tu n’es pas né hier!

-Parle moins fort elle va revenir. Elle a décidé de rencontrer mes ex pour se faire une idée du danger potentiel…. ça la rassure j’imagine …Tiens d’ailleurs tu te souviens de Linda en compta ? Tu as ses coordonnées par hasard ?

Sandrine était estomaquée…. Elle qui pensait retrouver un ami…

Elle allait se lever lorsqu’elle sentit des mains mouillées sur ses épaules. Nat-la-psychopathe !? …Elle n’osa imaginer comment celle-ci s’était débrouillée avec les toilettes entre l’urinoir cassé et le lavabo. Mais une chose est sûre , elle n’avait pas bénéficié de la solidarité féminine de Machine pour s’essuyer les mains.

-Pas si vite ! on a à peine fait connaissance ! elle utilisait un ton digne d’un interrogatoire de mauvais film.

-Mais c’est quoi le problème ? Rétorqua Sandrine en essayant d’enlever les mains moites de ses épaules.

-Ben tu vas me le dire ! Hein Michel ? C’est quoi le problème avec elle ?

Sandrine n’y comprenait rien, cette femme était folle ou quoi ?

Elle tentait en vain de se débattre pour s’extraire des sales pattes humides de Nat-la-cinglée quand elle entendit

-Je peux prendre votre commande ?

Oh Machine, sa sauveuse encore une fois ! …elle avait réussi à faire diversion.

Nat-la-furie fut surprise et lâcha sa proie dans un grognement douteux.

Le premier réflexe de Sandrine fut de tenter d’engager une conversation, histoire de garder sa protectrice à côté :

-Ah oui ?! Vous travaillez ici alors ?

-Non, plus maintenant , je viens de me faire virer ! On pourrait fêter ça et laisser les amoureux s’étriper non ?

Nancy Sinatra chantait “BANG BANG he shot me down bang bang…”

Oui il valait mieux quitter le lieux vite fait avant que Nat-la-psychopathe lui coupe la tête bang bang

Sandrine sourit et lui dit

-Vous aimez le fromage?

-Oui, dit la jeune femme, mais pas le cheddar suintant d’ici, je préfère les fromages Italiens !

-Oh ! Mais ça tombe bien dit Sandrine, j’ai un petit Gorgonzola qu’on ma ramené d’Italie qui attend une occasion spéciale pour être dégusté.

-Et l’occasion c’est maintenant ? ! répondit la jeune femme tout sourire.

-Il me semble que oui dit elle en lui prenant le bras.

Cette fois c est Michel et sa Nat’ qui restèrent bouches bées… incrédules devant cette situation.

Sandrine et sa nouvelle amie quittèrent le restaurant

Au loin on entendit Nat’-la-commère rugir

-Elle est lesbienne ton Ex ? T’as ce genre de penchant aussi ?

Sandrine était venue retrouver un ami, elle repartait avec une complice