Marwah attrappe ma main affolée. Tout son corps se crispe et son esprit s’embrouille. Elle vient d’aperçevoir le Princess… Les mots se bousculent, la panique s’en mêle à nouveau.

Cette fois c’en est trop Adam, je n’en peux plus, je largue les amarres, je me rends tu comprends?, me lance-t-elle les yeux humides et la voix cassée.
Qu’est ce que tu dis là belle amazone, c’est hors de question. Ce fou peut bien décider de partir avec toi et qui sait ce qui arrivera. Comment je ferais ensuite, moi, pour poursuivre ma vie tranquillement? Ça n’a aucun sens ce que tu dis, tu ne réfléchis plus et…

Je n’eus pas le temps de terminer que je voyais ma Plune faire signe à ce Bayram d’approcher. Tout gonflé de fierté, il faisait signe à ses comparses d’accélérer la cadence question de nous rejoindre en moins de deux.

T’es complètement dingue, ma grand foi, dis-je ahuri. C’est hors de question.

J’empoignai la main de Plune sans lui laisser le choix, bien décidé à reprendre le large, puis à pousser à fond la machine.

Cours le plus vite que tu peux, rejoins Telemak et accroche-toi, lui hurlais-je en panique.

Bayram n’était plus qu’à 500 mètres de nous lorsqu’il vit toute la scène se dérouler sous ses yeux. Le duo venait de rejoindre le navire et il decollait en trombe. Les deux serviettes laissées en plan n’étaient à ce moment-là qu’un giganstesque pied de nez pour lui. Il bouillait de colère.

Sur le yacht, c’était beau à voir. Bayram s’était emporté à un point tel qu’il hurlait comme un fou et blasphémait tous les jurons qu’il conaissait et davantage, il en inventait. Tous à bord, étaient sous le choc. Ce type qui avait loué le Princess était en train de perdre les pédales et aucun des passagers ne savait pourquoi. Un type costaud, cheveux blonds façon soleil de mer, arborrant une petite moustache guidon osa l’interrompre dans sa lancée furieuse.

Holà M. Levy, lui lança-t-il énervé, calmez-vous, vous perturbez tout l’équipage avec votre petite scène de colère. Je comprends que vous auriez préférez vous faire accueillir plus hardiment par cette jolie poupée sur sa serviette, mais faut pas être con, son mec était là, juste à ses côtés…
Mon nom, c'est Bayram, pauvre con, Sami Bayram, cracha-il, les yeux exorbités.

C’est un poing en plein visage que reçu le costaud à sa plus grande surprise. Bayram se jetta ensuite sur lui en l’invectivant et en le ruant violemment de coups. Le pauvre, malgré sa carrure imposante était incapable de se défendre décemment. En fait cet homme, Laurent, n’était qu’un doux romantique au coeur marin. Son plaisir était de voguer tout en rendant service à des touristes en quête de paysages époustouflants. Un type affable qui n’avait pas en lui la force de tête d’un leader, mais bien celle d’un gentleman dévoué.

Bayram avait perdu le contrôle sans s’en rendre compte. Le temps avait eu raison de lui. Il était maintenant dans une furie des plus totales et tout l’équipage, sans même se parler, avait compris qu’il avait à faire à un dérangé dangereux.

Philippe, le moins menaçant du groupe, mais non le plus barjot de tous, avait suivi toute la scène avec une grande lucidité. Il avait des doutes sur ce prétendu touriste dès le départ. Il avait lu chez cet homme la manipulation et la soif de pouvoir sans pouvoir expliquer clairement pourquoi. Évidemment, cette faculté à lire à travers les gens, cette claivoyance qu’il possédait, il n’en faisait que très rarement part à d’autres. Il ne voulait pas pas être le prétencieux qui savait toujours tout et qu’on méprisait. Son histoire personnelle troublée et ponctuée de rapports malsains lui avait appris qu’il valait mieux faire profil bas, mais ne jamais baisser la garde et surtout, être toujours paré au pire.

Philippe, sans mot dire, s’était approché en silence et d’un geste assuré, avait braqué une arme dans le dos de l’agresseur. C’était maintenant lui qui prendrait le contrôle de la situation.

Tu le lâche illico, ordonna Philippe à Bayram d’un ton agressif.
C’est moi le roi et vous n’êtes que mes esclaves compris, siffla le déjanté les dents serrées. Son regard était maintenant hagard et on aurait dit que ce n’était plus l’homme qui parlait mais une autre entité.

Tout l’équipage retennait son souffle, la tension à bord était au maximun. Philippe fit signe à Thibert, le plus dégourdi, d’agir. Il prit un élan et sauta dans l’arène pour maîtriser le fou au sol. Laurent se dégagea comme il put et se rangea derrière Philippe. Au sol, Thibert usa de son poids et de sa force pour immobiliser Bayram. Hors d’haleine, il lança à l’équipage:

Ramenez vite un câble, je le tiens, mais pas pour longtemps!

Sitôt on lui lança une corde qu’il attrappa, non sans relâcher son étreinte sur Bayram. Ayant donné du leste malgré lui, le malotru se déprit et mordi violemment Philippe au bras. Il hurlait de douleur tout en guelant affolé:

Rattrapez-le, ligotez-le, il va tous nous tuer, il est déconnecté, ma foi!!

Contre toute attente, les hommes sur le bateau furent d’une efficacité redoutable. En moins de deux, Bayram était solidement ligoté au sol, incapable cette fois-ci de se défaire de la robuste prise. Laurent qui avait repris ses esprits, avait pour rôle la garde à vue du dérangé. C’est lui qui portait l’arme à présent et tous étaient d’accord pour qu’il n’hésite pas à s’en servir si la sitation tournait mal. Bayram, tout ligoté était à présent en proie à un délire floride. Il solliloquait l’écume à la bouche.

Je suis la réincarnation de Toutânkhamon, roi d’Égypte et vous êtes tous assujettis à mes pouvoirs infinis. Vous avez tenté de vous mettre en chemin d’un Dieu et vous serez punis sur la place publique. Ma déesse Plune attend que je la délivre. Vous avez empêché mon plan, vous êtes tous complices d’un crime contre l’humanité. Je vous ordonne d’immolez ces goujats! Il termina sa lancée sur une prière incompréhensible.

Philippe s’était emparé du radio émetteur et avait lancé un appel à l’aide sur les ondes marines. L’appel avait été capté par la garde côtière de l’est de la Sardeigne. On leur viendrait en aide avec du renfort dès que possible. Ils devaient se diriger sur Santa Maria où la SAMU et les forces de l’ordre les acceuilleraient. Une heure plus tard, Bayram quittait la côte de la Sardeigne en ambulance, ligoté cette fois sur une civière. On lui avait administré une contention chimique et on l’escortait maintenant vers l’institut médico-légal italien le plus proche. L’équipage pouvait à présent reprendre le large et revenir vers Calvi où une enquête débuterait pour refaire le fil des événements et retracer ce couple aperçu sur la plage quelques heures plus tôt.

*****

Adam et Marwah avaient convenu de suivre leur dernier plan et d’accoster à Santa Maria Navarresse. Ils n’avaient plus la force, ni l’un ni l’autre, de poursuivre leur périple en mer, ils avaient tous deux besoin de sécurité. Ils se réfugièrent dans un petit resto côtier, le Café de Zanzibar. C’était évident qu’il fallait faire le point sur la situation. C’est Marwah qui prit la parole.

Excuse-moi Adam pour ce moment de faiblesse, c’était lâche de ma part de vouloir me livrer à Bayram, sans aucunement mesurer les conséquences que cela aurait pu entraîner pour nous deux. Je n’y vois plus clair, je suis suis paniquée et je n’en peux plus de toute cette galère. Je pense à aller demander protection à la police, quitte à passer pour une peureuse maladive….
Voyons, pourquoi on te traiterait ainsi? J’étais là moi, je peux témoigner. Et n’oublie pas qu’il m’a menacé de me trancher la gorge. J’ai aussi un descriptif physique à leur offrir. Je vais t’accompagner, c’est la chose à faire. Ils seront sûrement en mesure de le retracer grâce à la réservation du Summertime à Calvi, quoiqu’il a décliné une fausse identité… On verra, avec le descriptif, ils vont faire le recoupement, c’est certain.
Merci Adam d’être là pour moi. Tu es fantastique, sans toi, je serais aux mains de ce taré à l’heure qu’il est.
Parlant d’heure, je crois qu’il est temps de rejoindre les amis qui nous attendent, tu verras, ce sont des gens sympathiques et accueillants. On leur confiera ce qui nous arrive, je suis certain qu’ils seront de bonne écoute. On se laisse jusqu’à demain pour décider de l’action à prendre.
D’accord Captain Coco, répondit Marwah en décrochant un baiser, cette fois-ci une peu moins furtif que la dernière fois, à ce marin dont elle s’entichait de plus en plus.

L’accueil des copains fut tel qu’espéré ; incroyable! Ils passèrent la soirée dans ce petit gîte coquet du sud de la Sardeigne à refaire le monde, à écouter des classiques français et italiens, à savourer quelques bouteilles de Cannonau di Sardegna. Se sachant tous deux en sécurité, ils avaient presque pu oublier Bayram pour un moment. Leurs épaules baissaient, leurs tensions s’évaporaient tranquillement. Leurs mains, quant à elles s’entrelaçaient avec de plus en plus de ferveur, comme des aimants chargés à bloc. Ensemble, ils se retirèrent pour la nuit vers les deux heures du matin…

Il n’était pas encore huit heures que le portable d’Adam tira les amoureux encore lovés dans leur sommeil. Il décrocha, la voix encore rauque.

Tabarly mon ami que je suis content d’entendre ta voix! Je viens juste de recevoir un appel de Claude de chez loca-yacht qui voulait savoir pourquoi l’autre jour je cherchais à savoir si quelqu’un avait loué un gros bateau. Tiens toi bien, ils ont arrêté le mec, un malade! Allez j’te raconte toute l’histoire!

*****

Dès l'aurore le lendemain, on pouvait apercevoir, sur la Méditerranée, Telemak, les voiles hissées bien haut, toutes gonflées de fierté. À son bord, une cuisinière détendue et un capitaine regaillardi. Le temps ne jouait plus contre eux. À présent, ils savouraient vraiment cette vue à couper le souffle leur offrant tantôt des plages désertes entourées de pineraies, tantôt des ports de mer remplis d'histoire. La vie nautique suivait son cours.

J'ai enfin trouvé mon jardin Bô Adam. Je croyais qu'il serait terrestre, mais non, en fait, il est marin. C'est ici et partout qu'il se trouve. Elle se rapprocha d'Adam et lui susurra à l'oreille :
Telemak et toi, vous êtes mon jardin Bô …

En la serrant très fort, Adam ajouta, la mer à témoin :

C'est décidé, prise trois, cap sur les baleines! Elles seront géantes, tu verras…