Quelques minutes plus tard, celui que je surnommais le « Fake President » se présentait sur l’estrade sur la musique de YMCA, ça ne s’invente pas, devant une foule en délire qui scandait « Four more years! » et « U.S.A. ». Le principal intéressé semblait jouir du moment et envoyait des pouces en l’air.

Je me disais : « Crisse de grosse mascotte ». Il s’avança au micro et commença à débiter ses âneries habituelles sur le deuxième amendement, les méchants socialistes, le grand mur dont la construction tire à sa fin, les dangereux médias et, bien sûr, la superbe tenue de sa chevelure, sans oublier le génie inégalé de cet élu de Dieu. Misère. Un supplice. Et tous ces tarés drapés de slogans ridicules. Une très mauvaise comédie avec du monde laid et bedonnant. Bref, j’ai dû endurer les phrases creuses de cet enfoiré pendant de longues minutes.

De mon point de vue, le palier d’un vieil immeuble à logements, j’avais une assez bonne position pour voir l’ensemble du cirque. Dissimulé derrière un treillis défraichi, je me considérais placé idéalement pour dégainer sans mal, mais je devais faire gaffe. Des gorilles du FBI et des dizaines d’agents assuraient la surveillance des lieux. Il devait y avoir près de 5000 personnes devant ce qui ressemblait à un centre communautaire. Plusieurs partisans de l’agent orange portaient fièrement leurs armes. Je n’étais donc pas seul. Je devais constamment scruter la foule, en attente du moment opportun…qui ne venait pas. Au moindre bruit suspect, je sursautais. Et si on me surveillait? Et si j’étais celui qui recevait une balle en premier? Quelqu’un avait-il eu vent de mes plans? Étais-je l’homme le plus recherché dans le Maine? Le doute s’installa en moi.

Entre les applaudissements, mon esprit de tueur commençait lentement à se déconstruire. Ok pour buter ce gros con, mais après? Lui devient un martyr et moi j’hérite de la chaise électrique, si on ne me liquide pas avant. Il y a des milliers de Jack Ruby parmi les partisans invertébrés qui votent pour ce minable. Je serai peut-être le déclencheur d’une guerre civile…

J’ouvris mon sac. Non pas pour saisir une arme, mais pour chercher mes lunettes de soleil. Les assassins font plus sérieux avec des verres fumés… et personne ne pourrait voir la panique dans mon regard. Les minutes passèrent. Une certaine paranoïa s’empara de moi. S’il devait se passer quelque chose, il fallait que ce soit maintenant. Je remis la main dans mon sac. Au même moment, j’entendis des hommes monter l’escalier non loin de moi. Ils parlaient fort. D’un geste sec, je me redressai, pris mon sac et décidai de longer le couloir pour m’éloigner et faire semblant que je rentrais dans mon appartement. J’étais vraiment un piètre comédien, faisant semblant de chercher ma clé devant ma porte. Fausse alerte. Les hommes rentraient simplement chez eux, un peu pompettes.

Je ne savais plus quoi faire, j’étais vraiment un junior, un amateur, même pas un apprenti gangster. J’avais tout foiré. Le discours était terminé. Je devais déguerpir avant de me faire pincer. Une casquette MAGA traînait par terre. Je la saisis et me l’enfonçai sur la tête. Je devais quitter Augusta ni vu ni connu. Je m’arrêtai un instant devant une fenêtre qui me renvoyait mon reflet. Le summum du ridicule : avec cette affreuse casquette rouge, je ressentais le feeling d’un partisan des Nordiques forcé d’enfiler un chandail du Canadien. La honte suprême. Et le dégoût. Et un peu l’envie de mourir.

Je mis quelques minutes à sortir de ma torpeur et de mon trou pour me sauver de cette situation. Comble du malheur, mon vélo avait disparu. Volé sans doute. Peu importe, je vais me débrouiller. Quelques partisans du milliardaire chromé trainaient encore dans le stationnement du centre communautaire. Je me suis mêlé à eux avant de longer le mur de l’édifice, en espérant fuir discrètement. Fausse joie. Deux hommes se tenaient adossés à une porte donnant sur la cour arrière. Faire demi-tour? Non, ce serait suspect. Je n’aurai pas le choix de passer devant eux. Espérons que ce ne sont pas des agents du FBI… Ça passe ou ça casse.

Non, je rêve? Les deux gars, ce sont les fils de Trump. Aussi cons et détestables que leur papa maquillé au rouleau.

Don Jr m’interpella. « Hey Buddy, did you like our speech? »

Je m’arrêtai, un peu saisi, puis m’avançai lentement vers les Dupont et Dupond de la stupidité, avant de m’arrêter, de les regarder droit dans les yeux avant d’enchaîner avec un très senti « Are you talking to me? »

La paire de deux de pique se regarda en pouffant de rire.

En deux secondes, j’assenai un coup de genou parfait dans l’entrejambe de l’héritier, flanquai une gauche sur le nez d’Éric qui tomba sèchement, avant d’achever le travail avec un uppercut digne de Tyson sous le menton de Don Jr. Les deux étaient K.O! Je venais de réaliser un double phantasme : flanquer une raclée à deux idiots et pratiquer la boxe sans que mes parents ne m’en tiennent rigueur. Ils seraient peut-être fiers de moi!

Pas de temps à perdre et surtout, pas le temps de célébrer. Je devais disparaître au plus vite. Non sans avoir eu une pensée pour Joaquin Phoenix. J’aurais bien aimé qu’il y ait un grand escalier et inventer ma propre chorégraphie en qualité de Joker du Maine. Consolation, je crois que j’avais son sourire imprimé au visage…

Quelques minutes plus tard, j’étais sur une petite route de campagne, à marcher d’un pas rapide, toujours avec mon affreuse casquette sur la tête. J’étais seul et ça me faisait du bien. Mais je devais songer à un moyen de quitter le pays sans me faire prendre. Avant tout, me débarrasser de mes deux armes. Ce fut chose faite, en toute discrétion, sur un pont enjambant une petite rivière au milieu de nulle part.

J’ai toujours considéré être né sous une bonne étoile. Pour tout dire, je l’ai souvent eu facile. Les études, le travail, la famille, les amitiés : la chance et le bonheur m’ont suivi à peu près partout. Et ça s’est poursuivi sur ma route alors que j’ai eu la chance de tomber sur un camionneur québécois qui terminait une tournée de la Nouvelle-Angleterre et mettait le cap sur le Québec. J’avais gagné le gros lot : il résidait à Sorel et me proposait de me déposer chez moi à Ste-Julie.

Et la douane? Je n’avais pas à m’en faire. « Ils me connaissent pas mon petit nom, je traverse la frontière deux fois par mois. », m’avait-il rassuré.

Nous avons fait le trajet en nous racontant nos vies. Je lui ai parlé des guns, de mon délire au sujet du président. Il a préféré en rire. Il m’a envié d’avoir tabassé les deux « casses de bain » à Trump. Il s’appelait Lucien. C’était un bon gars et ça paraissait. Il approchait la soixantaine et songeait à la retraite. Il serait grand-père dans trois mois. Il avait trimé dur pour ses cinq enfants nés de deux unions. Il regrettait l’échec de son premier mariage. « Tsé, le bonheur c’est pas trop compliqué. Faut juste le faire. Moi j’ai fait l’erreur de l’attendre. Si j’ai un conseil à donner, c’est juste ça : vis. Vis, câlisse! Pis dis non de temps en temps. Pis donne des claques sur la gueule s’il faut. La vie est trop courte pour se faire chier. Mais moi, j’ai de la chance, je vais vivre jusqu’à 120 ans!

— Comment ça? demandai-je.

— J’ai presque 60 ans, pis j’suis à moitié mort, dit-il en éclatant de rire.

Nous avons épuisé nos sacs à blagues respectifs durant les heures qui ont suivi. En arrivant à la douane, je me suis caché dans le coin couchette et, comme Lucien me l’avait promis, nous avons traversé la frontière sans tracas. En débarquant du camion, il me jura que ce voyage « n’avait jamais existé » et me souhaita bonne chance.

Les derniers kilomètres m’ont permis de réfléchir à ma condition, à ma vie, à mon bonheur. Je regrettais tout ce qui venait de se passer et je ferais face à mes obligations. Je m’excuserais en premier lieu pour le mal que j’ai fait à ma blonde et à mes enfants. Je me rendrais à la police dès le lendemain, je plaiderais coupable aux accusations qui seraient déposées contre moi.

Le gars sans histoire aurait finalement une histoire. Toute croche, mais une histoire tout de même.

Il était près de 9h le lendemain de ma non-aventure quand je suis rentré à la maison. Dominique y était, seule. Elle ne sembla pas surprise de me revoir et me regarda en silence, des couteaux dans les yeux. Les enfants n’étaient pas là. Sans doute partis jouer au parc ou encore chez les grands-parents.

À la radio, Céline Dion. « On ne change pas… ». De circonstance.

Je m’approchai de Dominique et la serrai dans mes bras. « Pardonne-moi, j’ai été con. »

Nous avons passé l’heure suivante à discuter. Je me suis confondu en excuse, jurant d’assumer complètement mes gestes. Elle a semblé me comprendre, je le crois.

« On fait tous des bêtises, personne n’est parfait, tu sais », me dit-elle tout en douceur.

-Je vais aller m’étendre en attendant les enfants, je n’ai pas dormi depuis deux jours. Être un criminel, c’est épuisant… »

— Pas dans la chambre, va au sous-sol s’il te plait, m’ordonna-t-elle.

— Si tu veux…, répondis-je sans dire un mot de plus.

Je descendis au sous-sol. Plutôt que de m’étendre sur mon sofa habituel, je décidai d’aller roupiller dans le salon de couture de Dominique, SA salle comme elle l’appelle. En effet, je considère cette pièce comme son sanctuaire et je n’ose pratiquement jamais y mettre les pieds. Même les enfants étaient persona non grata…

Je me laissai tomber sur le fauteuil rembourré. Après un moment, je changeai de position et senti une légère bosse dans l’assise, au niveau de la cuisse. Intrigué, je me levai et brassai un peu le mastodonte de cuir. J’entendis un objet frapper le sol. Je soulevai difficilement le fauteuil pour pouvoir glisser ma main.

Je fus saisi sur le coup. Un revolver.

« Oh ».

-Fin-