Épilogue 2

François devint écarlate et comme s’il eut été tétanisé par ce baiser sur la joue, Julie dû le tirer pour l’entraîner vers la maison.

Une fois entré, François reprit son assurance habituelle et sorti son téléphone pour en retirer la carte SIM.

- Nous ne pouvons plus communiquer, mais de cette façon personne ne pourra nous repérer.

Nous devrons passer un certain temps ici, le temps que je mette ma mère hors d’état de nous faire du mal, alors il faut faire le plein de victuailles pour au moins une à deux semaines.

Ça y est, il l’a encore dit. Il parle de nous. Ce mot sortant de la bouche de l’homme dont elle a rêvé si longtemps prend des proportions démesurées dans la tête de Julie et elle le sait bien, mais elle ne veut surtout pas briser le charme que la tournure des événements a provoquée. De l’action, en compagnie de la seule personne qu’elle voudrait avoir à ses côtés pour la vivre, que demander de mieux.

- Peux-tu faire l’inventaire de ce qu’on aura besoin pour se sustenter au cours des prochains jours. En attendant je vais m’assurer qu’il n’y a pas de GPS actif dans la voiture de ma mère et je vais la ranger au garage.

Ensuite je vais me rendre à la ville avec une des voitures de mon père pour acheter un téléphone, de la nourriture et quelques vêtements. Au retour je t’expliquerai mon plan.

Si tu veux relaxer et prendre un bain jusqu’à ce que je revienne, il y a tout ce qu’il faut dans la salle de bain des maîtres à l’étage. Tu y trouveras certainement un peignoir également. Il y a aussi d’excellents vins à la cave. Mon père est un amateur.

Julie n’était pas très rassurée de se retrouver seule dans cet endroit isolé, mais elle était maintenant convaincue que François avait bon cœur. Elle se dit qu’elle pourrait profiter de cette courte pause pour se reposer et se refaire une beauté après la folle aventure des dernières heures qui l’ont laissée dans un état déplorable.

Malgré la confiance qu’elle avait désormais envers Francois, le bruit de la porte qui se ferme derrière lui, provoqua chez elle un grand frisson dans le dos. Julie ma fille, tout va bien et profite de l’instant présent. Commençons d’ailleurs par le vin.

Au bas de l’escalier, une vaste salle aux couleurs sombres s’étend devant elle. Trois tables hautes entourées de tabourets sont disposés aléatoirement. Les murs sont recouverts des publicités de grandes caves à vin du monde.

Tout au fond de la pièce, se trouve une porte voûtée en bois massif. Juste au-dessous d’une petite fenêtre à carreaux, il y est gravé le mot CAVE. C’est décidément un amateur de vin, son père. Voyons maintenant ce qu’elle contient cette réserve.

Julie n’est pas une grande « connaisseur », mais ses premières expériences dans la restauration l’ont amenée autrefois à travailler comme sommelière.

En ouvrant la porte, Julie écarquilla les yeux à la vue d’au moins 500 bouteilles, toutes classées par cépage et étiquetées selon leur année de fabrication. En avançant elle découvre des vins aussi prestigieux que Lafites, Margaux, Haut-Brion, Latour, etc. Elle ne sait plus où donner de la tête, tellement le choix est vaste et de qualité.

C’est peut-être les dernières heures de ma vie se dit-elle et le père de François ne semble pas manquer de ressources, alors elle opta pour un Haut-Brion 2009. Un grand millésime se souvint-elle.

Julie passe à la cuisine pour trouver un tire-bouchon et une coupe. Elle monte ensuite à l’étage pour découvrir une chambre des maîtres presqu’aussi vaste que son appartement en ville. Les murs de la salle de bain ont la teinte et la texture des bains romains tels qu’on peut les voir au cinéma.

En se laissant glisser sous l’eau chaude elle se dit qu’elle pourrait y passer des heures et des heures. Elle se versa un verre de vin et prit tout son temps pour renifler, tremper ses lèvres et finalement avaler sa première gorgée. Quel délice!

À peine quelques gorgées plus tard, elle s’assoupît. Bien que n’ayant dormi que quelques minutes il lui sembla que cette sieste avait durée des heures, tellement elle avait fait de mauvais rêves. À l’extérieur, le ciel s’était couvert et la luminosité déclinante de fin de journée laissait croire qu’il était relativement tard.

Prise d’une certaine panique elle s’extirpât du bain avec empressement. Comment se fait-il que François ne soit pas encore revenu? Il devait faire seulement quelques petites courses. Ça y est, il va revenir avec sa mère et ses sbires pour me faire la peau. Que je suis conne de penser qu’un tel rêve peut m’arriver à moi. Elle ne prit pas le temps de chercher un peignoir et se rhabilla avec ses vêtements souillés.

Comme elle descendait l’escalier, la porte avant s’ouvrît. C’était Francois qui revenait les bras chargés de sacs bien remplis. Tu n’as pas profité de mon absence pour prendre un bain? lui demanda-t-il. Ignorant la charge qu’il transportait, elle s’élança en sa direction pour lui sauter au cou.

- François j’ai eu tellement peur que tu ne reviennes pas ou pire encore, que tu aies choisi le camp de ta mère.

François laissa tomber les sacs de provisions et enlaça Julie dans une étreinte qui dura de longues minutes.

Ni l’un ni l’autre ne trouvait les mots justes pour exprimer leurs sentiments, mais nul besoin s’en fit.

Julie recula de quelques centimètres pour plonger son regard dans celui de François et contre toute attente, il l’embrassa amoureusement. Ils restèrent ainsi de longues minutes à savourer les papillonnements qui accompagnent la première étreinte de nouveaux amants.

Dans un sursaut, Julie demanda à François :

- Eh puis! Ce plan ? L’air un peu surpris, François lui prit la main et l’entraîna le long du grand escalier menant à l’étage. Comme tout plan, lui dit-il, certains impondérables nous conduisent à modifier la séquence des événements. Alors par ordre de priorité, je considère qu’il est de mon devoir de prendre soin de la personne qui a récemment été victime d’un enlèvement et qui m’a permis d’ouvrir les yeux sur la vraie nature des activités de ma mère.

- As-tu l’intention de discourir de la sorte encore longtemps? lui demanda Julie. Devenant encore écarlate, François se tut et passa doucement la main dans les cheveux de Julie arborant son plus beau sourire, mais cette fois avec une grande tendresse au fonds du regard. Tout en s’avançant vers le lit dans cette chambre aux dimensions disproportionnées, ils retirèrent chacun leurs vêtements avec empressement. Au contact de leurs corps dénudés, la terre cessa de tourner. Le temps n’existait plus. Le jour et la nuit se confondait dans une brunante rassurante. Seuls leurs estomacs hurlants réussirent à redémarrer l’horloge de la vie.

- As-tu faim? lui demanda François. Je dévorerais un ours au complet. Ils éclatèrent de rire en enfilant un peignoir et se dirigèrent vers la cuisine. Julie bifurqua par la salle de bain pour récupérer la bouteille de vin qu’elle avait ouverte plusieurs heures auparavant.

Après avoir englouti des tonnes de crêpes au sirop d’érable et petits fruits, François prit une feuille de papier et commença à expliquer son plan.

- Hier à la ville, j’ai acheté deux nouvelles tablettes auxquelles j’ai fait implanter un pare-feu pour éviter d’être retracé. Je vais entrer dans les livres de la compagnie de ma mère et nous allons tenter de retracer toutes les transactions qui peuvent présenter un caractère louche.

Constatant qu’après avoir passé une nuit de délice, il parle encore de (au??) NOUS, Julie se leva pour déposer un baiser sur sa joue. Au contact de ses lèvres, il éprouva encore un frisson de plaisir.

- Le but de cet exercice est de détenir un levier de pouvoir sur elle afin qu’elle ne songe même pas une seconde à s’en prendre à nouveau à toi. Une fois neutralisée, nous pourrons agir sur les autres actionnaires pour la faire évincer du CA de l’entreprise.

- Mais ce n’est pas son entreprise? demanda Julie.

- D’une certaine façon oui, mais elle est cotée en bourse depuis plus de dix ans maintenant. Lorsqu’une compagnie est publique, théoriquement, celui ou celle qui détient plus de 30% des actions, en a le contrôle quasi-absolu. Pour renverser ce contrôle il faudrait que les multiples autres actionnaires en viennent à faire front commun pour l’évincer. C’est sur ce plan que nous allons intervenir. Nous utiliserons le pouvoir des médias électroniques pour manipuler le vote à la prochaine assemblée générale annuelle qui doit se tenir dans 18 jours.

- Mais combien d’actionnaires y a-t-il à convaincre ?

- Oh! Il y en a des centaines, mais la grande majorité ne sont pratiquement pas au courant qu’ils ont droit de vote. Ce groupe de « back bencher » constitue environ60 % des voies, alors c’est largement suffisant pour former une majorité absolue. De plus, je possède moi-même 12 % des actions. Je n’ai jamais voté jusqu’à maintenant, mais cette fois ce sera différent.

- Je ne suis pas certaine de figurer comment tu vas procéder, mais quand je pense que tu prends tous ces risques pour me protéger, ça me fait vraiment chaud au cœur mon beau François.

« Je ne peux pas croire que j’ai dit tout haut; mon beau François ». François sembla perdre sa concentration et fit un sourire amoureux à Julie.

- Excuse-moi de t’avoir déconcentré.

- Ce n’est rien dit-il tout en replaçant une mèche de cheveux de Julie derrière son oreille.

- Je vais envoyer dans les prochains jours à tous les actionnaires, sauf ma mère bien sûr et ses alliés inconditionnels, une demande de procuration pour voter à leur place, en les informant que s’ils ne la signent pas il est possible qu’ils soient indirectement associés à des activités illicites auxquelles s’adonne la compagnie dont ils détiennent des actions. J’ai un bon ami avocat qui m’aidera à rédiger le laïus des communications aux actionnaires. Il faudra que ça se fasse peu de temps avant la réunion annuelle afin que ma mère n’ait pas le temps de réagir.

-Alors d’ici ce temps, toi et moi allons travailler à la collecte d’informations sur les actionnaires.

- C’est tout ce que nous ferons? lui demanda Julie, un grand sourire aux lèvres.

- Euh! … Es-tu toujours aussi délinquante? répliqua François.

- Toute ma vie j’ai été d’une grande rectitude, mais je dois dire que tu me fais légèrement perdre mon flegme.

François sourit et rétorqua:

- Quand tu me regardes ainsi, je sens aussi mon « self control » à la dérive.

Trois jours avant l’assemblée, Julie et François avaient identifié pas moins de 50 transactions douteuses ou carrément illégales et avaient obtenu plus de 46 % du droit de vote. La charte prévoyait que pour démettre la présidente de ses fonctions il devait y avoir un vote majoritaire des actions détenues et non seulement des votes présents ou par procuration. Pour être certain que la balance penche en leur faveur, il manquait encore 5% des actions.

Plus la date fatidique approchait, plus François s’arrachait les cheveux. Julie ne pouvant plus vraiment aider à la collecte d’information stratégique, elle avait adopté le rôle de support logistique. La chronologie jouait contre la belle ambiance romantique entre les tourtereaux. François devenait de plus en plus taciturne et un rien l’irritait. Au petit déjeuner, ce matin-là Julie demanda à François s’il connaissait quelqu’un qui possédait 5% des actions et plus, qui pourrait faire pencher la balance. -J’en connaît deux, mais ce sont des personnes que ma mère contrôle comme des enfants, alors je n’y pense même pas.

- Donne-moi leurs noms s’il te plaît.

- Que vas-tu faire ?

- N’oublie pas que je suis l’inspecteur Clouseau. Tout le monde a un point faible.

Julie prit leurs noms et s’isola dans le bureau avec sa tablette. François tournait en rond devant la porte en ruminant les idées les plus morbides en rapport avec le résultat de ce vote.

Au bout de deux heures Julie sortit du bureau avec un grand sourire et annonça fièrement:

- Je crois que j’ai trouvé le tendon d’Achille du dénommé Julien. Il votera pour nous.

- Comment feras-tu pour le convaincre ?

- J’ai mon plan.

- Tu ne peux pas m’en dire plus ? Non, c’est à ton tour de me faire confiance. Occupe-toi du 46% moi je m’occupe de Julien.

À partir de ce moment, Julie se sentait en position de pouvoir. Elle sifflotait en préparant les repas, alors que François demeurait inquiet. Chaque repas était apprêté avec soin et accompagné d’excellents vins, mais François avait de la difficulté à apprécier.

À cause de la pandémie, la réunion allait avoir lieu via l’application Zoom. Cette situation confortait la Brigitte dans son impression de pouvoir puisque la distance a notamment l’effet de limiter les interactions négatives éventuelles entre les individus.

Brigitte avait appris que François avait obtenu des procurations de votes, mais elle régnait depuis tellement longtemps à la tête de la compagnie que jamais elle avait envisagé que son fils taciturne puisse un jour réussir un putsch contre elle.

Dès l’ouverture de la réunion, François demanda aussitôt une modification à l’ordre du jour.

- Je demande que le premier point à l’ordre du jour de cette assemblée soit le congédiement de la présidente/directrice générale.

Brigitte éclata de rire et dit avec enthousiasme:

- Va pour la modification de l’ordre du jour.

Trente actionnaires étaient en ligne cette journée-là pour la rencontre. À part Francois, les personnes présentes, toujours les mêmes habituées, détenaient plus de 50% des actions, alors Brigitte ne sentait aucune pression pendant que François sautillait sur sa chaise tellement il était nerveux.

Julie qui s’était placée hors de portée de la caméra, tenait la main de son homme et semblait totalement en contrôle.

À la demande de Brigitte, chacun des actionnaires déclina son nom et le nombre de votes ayant droit.

On aurait dit qu’il y avait soudainement de la friture sur la ligne tellement Brigitte se mit à bafouiller lorsqu’elle comprit que François avait plus de votes qu’elle. Reprenant progressivement le contrôle de ses émotions, elle avait quand même bien remarqué que son fils n’avait pas pu regrouper la majorité absolu nécessaire pour la dégommer. Elle devait donc convaincre ses alliés de longue date qu’elle était toujours la personne de la situation.

Pour ne pas trop laisser le temps aux personnes de réfléchir, elle demande le vote immédiatement. De plus elle propose que le vote se tienne à main levée, sachant très bien que ses « yes men » n’oseraient jamais la défier ouvertement. Afin de faire trembler les plus peureux, elle ajoute :

- Avant de voter, réfléchissez bien aux conséquences de votre prise de position. Je me rappellerai de ceux qui me supportent et encore mieux de ceux qui oseraient me trahir.

Tout le monde accepte le déroulement du vote et un après l’autre, les actionnaires expriment leur vote en levant la main. Les positions sont franches en faveur ou contre.

Tout se déroule comme prévu dans le pourcentage de vote et il ne reste plus que Julien qui ne s’est pas encore exprimé. À toi Julien de m’appuyer. François transpire à grosse gouttes, mais Julie lui serre la main davantage en se faisant rassurante.

Julien ne lève pas la main mais il se lève debout et déclame: Je vote pour le congédiement de madame Brigitte Lessieur à titre de présidente/directrice générale de la compagnie Strayberry inc.

- JULIENNNN! Qu’ est-ce qui te prend, hurla Brigitte. Tu vas me le payer sale traitre.

Au même moment, l’image de Brigitte disparut des écrans de tout le monde.

Julien pris la parole à nouveau et dit:

- Nous avions prévu ce genre de réaction de la part de l’ancienne présidente, alors j’ai demandé a l’équipe technique de prévoir un retrait momentané afin que la réunion continu de se dérouler dans le respect.

Je voudrais profiter de l’occasion pour proposer que l’ intérim de la présidence soit confiée à François Lamoureux.

François n’arrivait plus à bouger. Son regard alternait entre l’écran et cette femme qu’il connaissait à peine et qui venait, par je ne sais quelle magie, de le propulser à la tête de la compagnie.

Il ne pouvait prononcer un seul mot. Elle souriait et lui embrassa la main en disant:

- Allez tu dois dire quelque chose, c’est toi le président maintenant.

Une fois la rencontre terminée, François demanda à Julie comment elle avait convaincu Julien de tourner le dos à Brigitte.

- Tu sais mon beau Francois, quand on travaille dans un restaurant il y a bien des choses qu’on entend et qu’on garde pour nous et on ne sait jamais quand on pourra utiliser cette information.

- C’est tout ? Ah non!

- Tu ne sais pas toute l’information que je détiens sur toi…et que je pourrais utiliser contre toi si tu ne me fais pas l’amour sur le champ.

FIN