Scène 21 – Serial effects

- « La patrie se dresse entre l’homme et les richesses du sol. Elle exige que les produits de la sueur humaine soient transformés en canons. Elle fait d’un être humain un traitre à son semblable. Père, patrie, patron, telle est la trilogie qui sert de base à la vieille société patriarcale et, aujourd’hui à la chiennerie fasciste » récite - glorieusement - Maxence ces mots de George Bataille à sa sœur adorée et à Josh qu’il ne connaissait que par sulfureuse réputation.

- Manifeste inapproprié pour le fils d’un des plus grands patriarche sud-coréen, enfant gâté sans limite, rétorqua Josh, d’une voix insolente, les mains et les pieds liés par une longue lanière de cuir de cravache rouge.

Rouge, ce sang entaché d’hommes, nombreux assassinés, pour assouvir la soif d’un pouvoir inconditionnel du psychopathe, méthodique, calme, discipliné, sadique que Maxence, scorpion de signe, a su si bien mettre en place dans ces laborieux stratagèmes pour piéger ainsi ses proies; des paramilitaires et jeunes de surcroit. Violent depuis son enfance dorée, il utilisait l’agression dès l’adolescence pour extirper de l’argent à la très belle secrétaire mais non moins la vicieuse maitresse de son père, Mademoiselle Chun-Hei, puis à l’âge adulte à son corrompu de père. Déjà, pour lui, c’était la faute de la victime. Toujours, il a su donner l’illusion d’avoir cette vie normale, comme sa sœur chérie, enfant modèle avec tempérament, mais en jouant impérialement avec les autres sa différence. Stimulation.

Inaccessibilité émotionnelle, Maxence au corps d’Adonis, aux traits - quoique blafards - finement dessinés, presque féminins, annule toutes réflexion et culpabilité et n’a aucune contrainte morale pour freiner ses pulsions dans ses projets mafieux et meurtriers.

- Mais, mais, tu es le jumeau moral de...de

- De....

- Friedrich Heinrich Karl Haarmann, pas le mien, pas mon frère jumeau. Tu es ...horreur ! hurla Miranda, les yeux exorbités. Tu...

- Oui, il parait... Il parait que je dénie mes responsabilités dans les passages à l’acte et légitime mes passions, me dit toujours mon psy, ce fameux docteur Sinzelle.

- Agressions, continua Josh, agressions... pas passions. Soyons juste avec les mots...

Un sourire s’imprime sur ses lèvres livides. Il le frappe de sa main gantée.

Brutalement, le bruit de rotors contrarotatifs, spécifiques aux hélicoptères monoplaces de combat Kamov Ka-50, s’approche impétueusement. Il semble venir de la zone végétale dense où stationnaient les paramilitaires et les hommes de la garde rapprochée de Maxence. Expéditivement, des rafales mitrailleuses tapissent l’immeuble; les corps déjà morts dansent une nouvelle danse funéraire et ceux qui vivent leurs ultimes secondes essaient difficilement de riposter en célébrant comme des judas mexicains leurs dernières vagues de balles. Sans succès. Mortels morts.

Miranda bouge, regard le silence.

Maxence, déjà blême, gisait à ses pieds comme petits lorsqu’ils jouaient à la guerre de Corée et qu’elle trônait en dictatrice conquérante et qu’il se baissait en petit soldat soumis pour lui faire une mauvaise révérence. Cette fois-ci, cet horrifiant jeu sera la dernière révérence de Maxence à la vainqueure.

- Tu vas bien ? chuchote Josh, recroquevillé sous un vieux comptoir métallique de la cafétéria

Scène 22 – On s'en remet aux Dieux, disaient les Romains

Éric se reverse un ixième verre de vin et ne s’empêche pas de regarder Paris prendre feu. Explosions. La vue de ses fenêtres ressemblait à un poème enflammé. Darius, toujours aussi beau dans sa nudité juvénile, récite comme un écho les vers de ce poète italien :

- « ...Dans la ville-mère,

Insoucieuse des calamités,

C’est soudain la guerre

Et la fin de la tranquillité.

L’effroi naît de la flamme,

Tous fuient : hommes, femmes, rats.

Personne ne comprend le drame,

Chacun espère qu’il s’en sortira.

Dans l’exubérante fumée du feu de joie,

L’air, courageusement, flamboie.

Et s’élève alors très très haut

En une colonne noir corbeau.

Une marée sombre et rougeoyante

Vomit une vapeur brûlante.

Des collines lointaines, il semble

Que l’horizon tout entier tremble. »

En terminant ces mots, Darius s’approche d’Éric qui, debout, reste immobile. Il se colle à lui délicatement, sent ses épaules froides, ses bras tendus, ses fesses - encore - joliment rebondies et l’embrasse doucement. De la nuque, il descend lentement la colonne vertébrale, s’arrêtant en spasme régulier pour lui offrir un baiser, chaud, réconfortant; les muscles se relaxent prudemment au contact de ses lèvres. Finalement, sa bouche se blottit scrupuleusement dans la raie chaleureuse de cette beauté faite homme. Eric se retourne religieusement et relève Darius pour l’embrasser passionnément. Il est soumis à l’insolence de cette jeunesse.

Alea jacta. Fatalité. La nuit s’achève.

Le matin brumeux se lève, la lune invisible se couche, Éric sort du lit avec finesse pour récupérer son téléphone. Les messages se sont accumulés depuis l’évanouissement du monde d’avant. Un de ceux-là l’intrigue, un message venant de la Colombie. Rapidement, il se dirigea au salon et lit, soulagé : « Josh et moi sommes ébranlés mais saufs. On rentre. Organise notre retour NOW ! »

Scène 23 – Réunion de famille

Le tourbillon d’hélicoptères s’est enfin fait silencieux. Vingt-trois minutes explosives à l’odeur pétrie de catastrophe.

Miranda trouve la force de se dégager du corps inerte de son jumeau, lui baise le front, offrant ainsi un au revoir définitif avant d’aller voir Josh, blotti sous le comptoir qui lui avait fait abri contre la pluie de munitions spontanées.

- Ça va, guapo, mon amour ?

- Oui... Détaches-moi vite de ces rubans de sang.

De ce silence funèbre, un cri sourd, humain, féminin se faufile depuis les grilles d’aération qui longent le mur ouest de la pièce.

- Alice !!! dit Josh

Une porte blindée à la signalétique imprécise d’un escalier dessiné à la main semblait indiquer un accès au niveau inférieur. Josh et Miranda, d’un pas rapide, contournant les différents comptoirs qui servaient à l’époque de la garnison militaire à proposer des menus à la nourriture surement périmée et indigeste, se dirigent vers la porte qu’ils trouvent verrouillée d’énormes chaînes cadenassées.

La porte résiste à l’élan viril et du coup d’épaule de Josh qu’il assène dans l’espoir qu’elle lui cède. Miranda le stoppe et récupère une mitraillette d’un de ces morts présents et la pointe directement sur la serrure qui explose, cadre compris.

Ils avancent en traversant le trou et se trouvent devant un escalier qui plonge dans le noir. Les hurlements plaintifs reprennent. Miranda et Josh se regardent et s’orientent naturellement vers cette direction. La voix amplifie à mesure qu’ils longent un long et interminable couloir bordé de cellules vides.

-Alice ? Aliiiice .... je suis là.

-Josh, Josh, par ici.... Oh Josh !

-Tiens bon, Alice, assure Miranda.

Alice, agrippée aux barreaux, reprend espoir.

Scène 24 – Mexico

L’avion de Bogota qui survolait la ville de Mexico réussit en douceur son atterrissage. Les passagers sont priés d’attendre l’arrêt immédiat de l’appareil avant de se lever et d’allumer leur téléphone. Règle élémentaire sur tous les vols commerciaux. La Première sort la première.

Passés les douanes mexicaines de l’immense aéroport Benito Juarez, une voiture attendait à la Gate 4 les trois passagers au traits fatigués. Miranda, toujours élégante dans son large pantalon et chemiser noirs, carré Brides de Gala sur les cheveux et noué sous le menton à la Grace Kelly, tenait amoureusement la main de Josh, dont la soeur suivait dernière. L’imposant chauffeur au sombrero noir ouvre la porte et Éric, assis sur la banquette arrière gauche, leur présente sur un merveilleux plateau en talavera -cette ceramique vernissée à base d’étain- trois jiracas mexicaines emplies d’un excellent mezcal en guise de bienvenue dans ce pays aux multiples couleurs. Surprise.

Alice, ayant subi de nombreux sévices physiques et psychologiques, passera quelques jours à l’hôpital American British Cowdray Medical Center à Santa Fe.

Scène 25 – Mexicanidad

Miranda, sur la terrasse ensoleillée de cet appartement arty de la Colonia Condesa dont le propriétaire est un ami montréalais, prenait son café devant sa tablette et une assiette de polvorones de canele. Pluisieurs semaines se sont écoulées depuis les événements de la Colombie. Elle discute avec Alice sur Olympe de Gouges, une des pionnières du féminisme. Discussion animée pour ces deux femmes au caractère pointu, surtout quand les sujets depuis #metoo sont d’actualités. Enfin les langues parlent.

Alors que Josh était rentré avec Eric de leur jogging dans le Parque Lincoln et qu’ils prenaient leur douche, séparément, le concierge sonna à la porte....