Déjà trois mois ont passés depuis ma rencontre d’adieu à Marc. Je n’ai plus eu de nouvelle. Cet homme est mort dans ma tête et dans mon cœur. J’ai découvert les pouvoirs de l’affirmation, chose que je n’avais pas apprise dans mon passé antérieur. J’y ai pris goût et depuis, ma vie s’en porte mieux. Je me sens bien, je me sens libre, j’ai gagné en autonomie et en épanouissement.

Les rencontres de groupes sont terminées, les dernières traitaient de consolidation. Quand je pense au commencement, un petit sourire s’affiche sur mon visage. J’ai de la compassion et de l’admiration envers moi. Ma décision d’arrêter de boire du vin quotidiennement est bénéfique et ma vie s’en porte à merveille. Cet ami exerçait une mauvaise influence sur moi. C’est l’année du grand nettoyage amical. Rendre les autres responsables de nos malheurs, nourrir l’espoir qu’ils changeront pour nous rendre heureux. Mettre notre sort entre leurs mains parce qu’on est incapable de se changer soi-même. Certains de mes amis étaient de cette trempe, ils gagnaient la palme de la victime et j’étais leur sauveur.

D’abord le vin, ensuite Marc et une autre amie, Jasmine, celle qui nourrissait du mépris envers tous les êtres humains sauf elle-même. À un moment donné, il convient de se rendre compte que tout commence par soi, tel ne fut pas son cas de conscience. Je la surnommais Don Quichotte de la Mancha, elle se battait constamment contre des moulins à vent. J’étais son exutoire, c’est à moi qu’elle répétait, jour après jour, ses lamentations jusqu’au jour où, après plusieurs avertissements de ma part, j’ai décidé que c’en était assez. J’ai fait une indigestion de mépris, mon corps a développé une intolérance. Je lui ai fermé ma porte et mon téléphone.

Ces amis et ces amours me drainaient vers le bas parce que je leur donnais ce à quoi ils s’attendaient : de l’affection, de l’attention, des solutions et de l’encadrement. Je les chérissais à mon détriment. Écouter du mépris ça fait mal en dedans, ce poison épuise. Pour l'odieux personnage portant le prénom Marc, je répondais à ses besoins et je me soumettais à ses demandes, je me rendais disponible pour lui au détriment de mon propre agenda. Cela a généré de la colère et de l’envie. L’envie de l’autre. Il était capable d’exercer son pouvoir et de réussir parce j’étais derrière lui pour souffler les voiles de son bateau. Un capitaine brillant et en vogue et son matelot éteint dans la cale. Je m'en suis longtemps voulu d'être restée dans la cale et j'ai envié son succès. Le vin, ce compagnon de tous les jours comblait mes ennuis et me grisait. Pourquoi aller trouver l’amour ailleurs alors que je suis amoureuse de la bouteille et du bien qu’elle me procure ?

Avec le confinement sévère, un Noël passé seule et tous les autres jours qui s’en suivaient, pourquoi arrêter? Il n’y a rien de mieux, rien de meilleur, et, rien de plus rassurant. Ça me garde bien ancrée chez moi postée devant le téléviseur. Je me suis protégée de la COVID-19, mais j’ai souffert de ses effets secondaires néfastes. La dépendance à une substance.

Le rituel était mon plaisir. De la sélection des bouteilles à la dégustation. J’ai trouvé un importateur de vin qui livrait les caisses de vin à mon domicile. Nul besoin d’aller à la SAQ. Avec mes voisins et amis, on commandait des caisses et des caisses, du rouge, du blanc, du rosé, des bulles. De tout! Pas de limite au budget. De toute façon, c’était là notre seule dépense. Neuf à dix caisses de 12 bouteilles par livraison. Chez moi, le vin coulait à flots. Presque les noces de Cana, mais sans les invités!

Au cadran, dix-sept heures, est le déclencheur du besoin. Le temps d’arrêter de travailler, de choisir et d’ouvrir ma bouteille, de verser le vin dans un beau verre ballon d’une marque de luxe, j’étais heureuse. La première gorgée était comme la première "puff" d’une cigarette. Apaisante, réconfortante et nécessaire, comme si tout tombait, mon corps se relâchait, le bien-être s’installait, je soufflais. Les autres gorgées relevaient plus de l’automatisme. Une fois la bouteille vidée, hum… j’en étais rendue à avoir le désir d’en ouvrir un autre.

Au début de ma consommation en solo, je ne me posais pas de question tout allait pour le mieux, je ne pensais pas développer une dépendance puisque c’était mon seul plaisir. Je mettais ma consommation quotidienne sur le dos de la pandémie. Après tout ce qu’on vit, on peut bien s’offrir un petit luxe. Non? Ensuite, j’ai commencé à mal dormir, à me réveiller parce que ma bouche était complètement séchée, à avoir des maux de tête, mal au côté droit près de mon foie, j’entendais mon cœur battre sur ma poitrine et sur mes tempes, mes mains tremblaient à l’occasion durant la journée, ma concentration s’estompait. Mon attitude se noircissait. Le plaisir a disparu, il a fait place à la culpabilité, à la sévérité de mes propos que je tenais à mon égard, mon hamster est devenu méchant. J’ai perdu le goût de réaliser des projets. Je me suis perdue. J’ai eu peur, très peur, d’être malade et d’avoir un cancer : langue, œsophage, estomac, foie, colon, etc. causé par les effets néfastes de l’alcool.

Assise dans le bureau du médecin, je lui explique mon désir d’arrêter de boire en pleurant, honteuse de mon comportement. Elle m’a accueillie avec douceur et compréhension. Elle m’a félicité de ma démarche en me précisant que cela me demandait beaucoup de courage pour en arriver à livrer mon secret et à me montrer vulnérable. J’ai eu droit à une prise en charge bienveillante et douce. Une autre de mes demandes venait de se réaliser. La bienveillance et la douceur s’implantaient dans ma vie, tassant ainsi la violence et la méfiance. Au sortir du bureau, je me suis sentie légère et il me semblait que les cailloux sur le chemin avaient été enlevés. La démarche sera plus facile sans ces roches encombrantes. Je savais que le parcours serait difficile et j'étais prête à changer et je faisais confiance au destin.

De retour à la maison, les yeux bouffis, le cœur rempli d’amour et d'un secret à dévoiler à ma famille et à mes amis, je sors de mon trou, comme la marmotte, je me montre la tête pour mieux voir ce qui m’attend autour. J’ai écrit un courriel intitulé Le vin était mon meilleur ami, pour les informer que j’avais abusé du vin et que j’avais pris la décision d’arrêter de boire pour une période donnée, jusqu’après les fêtes. Le défi de passer les fêtes à jeun me fait croire que je serai encore plus forte. Mon objectif ultime est de boire seulement lors d’événements ou avec des gens. Je ne boirai plus seule. J’ai relu et relu mon message et je l’ai assaisonné d'une marre de larmes avant de peser sur le bouton Envoi. Voilà, advienne que pourra, que sera sera, c’est parti! Je me suis dénoncée, ouf!

J’ai pensé créer un raz de marée. Je me suis trompée. Tous ont été surpris d’apprendre que je buvais tant, personne ne s’en est douté. Je buvais beaucoup plus seule qu’accompagnée. Ensuite, tous m’ont assuré de leur support et certains m’ont dit avoir remis en question leur consommation. Plusieurs d’entre eux ont augmenté considérablement leur consommation depuis la pandémie. C’est vendredi et samedi tous les jours! Une fois armée de l’aide de mon médecin et de l’amour de mon entourage, je suis munie d’une force qui me permet de passer facilement au travers de cette épreuve. Cela fait maintenant quatre mois que je suis sobre et je constate les torts que je causais à mon corps. Je l’ai fatigué et je l’ai affaibli. Maintenant je le reconstruis.

Je me connais mieux, je suis plus près de mes émotions que j’écoute dans la bienveillance et la douceur que je pratique tous les jours. J’aspire à gagner la bonne forme, je marche, je prends l’air, je pourrais marcher davantage, cela viendra. J’ai des projets, je me suis inscrite à l’université. J’aime apprendre, pourquoi pas? Rien ne m’en empêche, je suis libre après tout!

Quand je fais le bilan de ma vie depuis ma séparation d’une relation toxique, je suis fière de moi. Vivement Virginie, je m'applaudis! Je me découvre, j’apprends à me montrer vulnérable et plus je laisse tomber ma carapace, plus je vois et j’accueille ma vraie nature. Je suis une femme fragile, j’ai été blessée, je suis aussi une femme forte, je me suis réparée. Chaque jour, j’apprends sur moi et chaque jour je me découvre des désirs que j’avais enfouis sous le tapis. La poussière remonte, j’éternue un peu et je l’époussette pour l’estomper.

Je suis heureuse enfin. Depuis que je suis toute petite, je caresse le souhait d’être heureuse. Je ne savais pas comment y arriver. Cela m’aura pris plusieurs années pour le comprendre. Je suis née sans avoir ces outils dans mon coffre, mes parents n’en avaient pas non plus. J’ai dû les trouver et apprendre à les utiliser un par un. Ma persévérance a porté ses fruits pour l’amour et l’estime de soi, je suis outillée pour prendre soin de moi et de ceux que j’aime.

Pour le grand amour, l’amour avec un grand A, j’y crois. Il viendra. D’ailleurs, je le sens s’installer lentement. Aux côtés de Jan, je me sens bien. Notre communication est vraie, nous sommes à l’écoute l’un de l’autre. Nous connaissons nos démons, tranquillement nous nous les confions pour nous faire du bien, sachant qu’ils seront accueillis et qu’ils ne sont pas une menace pour l’autre. La tendresse est au rendez-vous et on se découvre des affinités qui parfois nous font bien rire. Il me taquine, je le fais aussi, on pratique l’humour-amour, c’est l’élixir de notre sobriété. Depuis notre baiser au cinéma, il n’y en a pas eu d’autres. On ne veut pas que ce baiser soit notre premier étant donné l’intention qui lui était prêtée.

En complices, on s’est concocté un plan. Nous avons convenu de préparer notre moment fusionnel, notre première rencontre amoureuse sexuelle. Je suis bien excitée, ce moment arrive à grands pas. En fait, le week-end prochain nous avons réservé une chambre à l’Auberge du Tricorne à North Athley pour consommer notre amour.

Nous avons consommé de l’alcool, on s’est engourdis. Notre malheur alcoolique nous a attirés l’un vers l’autre. L’abstinence nous ramène constamment à notre fragilité de dépendance et cimente notre amitié. Notre union sera notre nouvelle consommation et, à ce moment, nous aurons une date, notre date à célébrer : le début du commencement ou le commencement du début? On verra si le début prend le dessus sur le commencement ou vice-versa!

Cela reste à discuter plus tard!