Une fois de plus, ~~our une énième fois~~,, le directeur avait convoqué sa mère, Maître Rossignol, associée chez Rossignol, Langevin, avocats. Deux absences de suite : histoire et mathématiques sacrifiés « au profit de temps perdu au skatepark », avait-il clamé. Saint-Nom-de-Marie ne plaisantait pas avec ce genre de « délinquance », avait insisté M. Ronsard, raide comme un piquet derrière son bureau. Cet établissement, rappelait-il, était réservé à de « jeunes filles sérieuses ». Encore un seul écart et Sarah serait expulsée.

Elle avait encaissé les reproches, supporté la voix exaspérée de sa mère, mais Sarah, déjà ailleurs, avait levé ~~avait levé~~ les yeux au ciel. Dans un geste de défi évident, elle avait empoigné son skateboard et avait lâché, avant de claquer la porte avec fracas : ~~, claqué la porte avec fracas, et lâché :~~

— Tu peux déjà me considérer expulsée.

Les mots avaient résonné comme un coup de tonnerre, sans retour possible. Elle n’en avait rien à faire de cette école pour jeunes filles de bonnes familles, ni de leurs ~~avec pas de leurs~~ règles trop serrées. Son royaume, à elle, s’appelait Aasphalte et Lliberté. Sa mère, découragée, avait ajouté ~~ajouta~~ une larme de scotch à son café, prit son porte-document et s"était dirigée ~~dirigea~~ vers son bureau : c’était encore là qu’elle se sentait le mieux.

C’est donc l’esprit encore bouillonnant de cette énième ~~nouvelleénième~~ dispute que Sarah s'était mise à marcher ~~marchait~~ ~~maintenant~~ vers l’est, sur Sherbrooke. Ses écouteurs vissés aux oreilles, elle s'était laissé ~~e laissait~~ porter par un balado à propos de CoCo Yoshizawa, son idole, médaillée olympique de skateboard aux Jeux de 2024.

CoCo racontait ses débuts, ses frustrations de ne pas réussir à imiter les figures de son frère aîné, ses chutes à répétition, le découragement, puis cette force mystérieuse qui l’avait poussée à se relever, encore et encore, jusqu’à devenir championne du monde. Mais ce qui avait ~~surprit~~ ~~Sarah~~ davantage surpris Sarah avait été ~~davantage fut~~ d’apprendre que CoCo, en plus de dompter la planche, avait été une élève brillante, disciplinée, capable de réussir autant dans les salles de classe que sur l’asphalte.

Sarah avait froncé~~fronça~~ les sourcils à cette idée. Pour elle, les skaters étaient des marginaux, des insoumis, des âmes réfractaires à l’ordre établi. Elle avait toujours cru que ce monde n’appartenait pas aux « bonnes élèves ». Peut-être s'était-elle trompée~~se trompait-elle~~. Cette idée lui avait traversé ~~traversa~~ l’esprit comme une étincelle. Puis elle s'était confortée ~~e conforta~~ en se rappelant qu’elle n’était pas CoCo, qu’elle avait sa propre voie à tracer.

Malgré cette différence, Sarah avait~~trouvait~~ quand même trouvé dans ce balado un écho à sa colère. Tellement qu’elle en avait~~oublia~~ complètement oublié de tourner sur St-Laurent, comme elle le faisait toujours. ~~QEt~~ qQuand elle avait levé ~~leva~~ les yeux, elle était rendue à l’angle d’Hôtel-de-Ville, une rue qu’elle n’avait jamais prise la peine d’explorer : trop abrupte, trop silencieuse, trop sans intérêt.

Sauf qu'aujourd'hui~~qu’aujourd’hui~~, ce n’est~~était~~ ni silencieux, ni banal. Dès qu’elle pose ~~posa~~ le pied sur l’asphalte, elle sent ~~avait sentit~~ une vibration parcourir l’air. Trois cents personnes, peut-être plus, tassées sur les trottoirs, criaient, applaudissaient, s’enflammaient. Ses yeux s"écarquillent ~~étaient écarquillés’écarquillèrent~~ : la pente s’est~~était~~ transformée en scène vivante.

Des skateboarders s’élanc~~çai~~ent un à un, dévalant la côte à toute allure, leurs planches vibrant comme des fauves sous leurs pieds. Certains font~~aisaient~~ des figures impossibles en pleine descente, arrachant des cris d’admiration à la foule. On disait qu’en bas, la vitesse atteint~~ignait~~ cinquante kilomètres à l’heure. Sarah en a~~vait~~ le souffle coupé. Les plus jeunes, eux, sont~~étaient~~ acclamés comme des champions simplement pour avoir réussi à atteindre le bas sans tomber.

Tous vibraient au rythme d’une même énergie. Une énergie positive, respectueuse, rassembleuse, sans jugementÀ..

Le hasard venait de l’emmener tout droit dans son propre pays des merveilles. Et à quatorze ans, elle savait ~~sut~~ d’instinct qu’elle venait de trouver la scène où sa vie rêvée pouvait enfin commencer.

Un jeune homme l’aborde~~aborda~~ gentiment.

— C’est ta première fois ici ?

— Ouais… ça paraît tant que ça ? répond-elle, déçue que ce soit si évident.

— Ben, un peu. Ton uniforme d’école privée, ça clashe genre, dit-il ~~dit-il~~ en rigolant.

— J’me suis chicanée avec ma mère, pis j’suis partie direct. Même pas eu le temps de me changer.

— Pas grave, sérieux. Ici, on s’en fout. On a tous nos moments, tsé. Ce qui compte, c’est juste le skate. T’en fais depuis longtemps ?

— Pas vraiment. J’suis arrivée ici par hasard. J’suis genre… super poche, mais j’tripe. Chaque petit truc que je réussis, c’est comme… une shot de dopamine. Je capote.

— Exact. Y’a pas de hasard, pis c’est la best dope ever. Si tu veux, j’te montrerai.