Mauricio se leva tôt.

Par où commencer ? Il fallait mettre de l’ordre dans ses idées. L’odeur du café l’aiderait peut-être. Que faire de cette chaîne dont il était malgré lui devenu un maillon ?!

Michel, ce grand gaillard plutôt discret s’était complètement livré à lui. Son histoire était tragique. Tiraillé entre la culpabilité de cet accident qui avait causé la mort d’une fillette et la rancœur qu’il semblait avoir encore contre son bourreau qui lui avait pourri l’adolescence et avait déclenché son acte. “Comment pardonner et comment être pardonné ?!” Cette phrase était revenue à plusieurs reprises dans le flot de paroles que Michel avait laissé couler, avec une émotion palpable… Il s’en voulait de se sentir encore victime, il en voulait à Geoffroy d'être allé si loin dans cette spirale de harcèlement qui l’avait amené à commettre un tel acte…mais s’en voulait alors viscéralement de comparer sa peine de harcelé à la douleur épouvantable qu’il avait involontairement causée. Il semblait dans une impasse.

Puis il y avait eu cette lettre…Mauricio sentait bien tout le poids de la perspective que Michel semblait alors mettre dans ce jeu, nonobstant son lourd passé qui le hantait….S’autoriser à vivre… Rencontrer quelqu’un d’un peu bizarre certainement vue la démarche, mais pourquoi pas ?

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Quelques jours plus tôt, ce Geoffroy n’avait pas parlé beaucoup mais Mauricio l’avait senti tourmenté, plutôt soucieux et comme replié sur un secret. Il n’était pas complètement fermé néanmoins. Il semblait porter en lui une grande tristesse et un petit espoir aussi …. ça collait bien avec l’histoire de Michel.

À vue d’oeil, ils devaient avoir le même âge et ce prénom Geoffroy n’était pas si commun. Il ne lui avait pas dit grand chose, juste qu’il revenait s’installer ici pour régler ou retrouver des choses du passé ou faire la paix avec son passé peut-être ? Ou l’affronter ? …Quelque chose dans le genre, Mauricio ne se souvenait plus des mots exacts, mais il l’avait aussitôt reconnu dans l’histoire de Michel.

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Et Gaëlle… Mauricio avait sourit quand Michel lui avait parlé du tatouage sur son orteil. Il l’avait remarqué lui aussi un jour d’été où les sandales à pompons étaient de sortie… La charmante Gaëlle avait cet air malicieux depuis quelques semaines de ceux qui “préparent un coup” . Elle attendait son bouquin et avait maintes fois relancé Mauricio sur la date de réception de celui-ci. Elle était étrangement insistante et avait questionné Mauricio sur sa façon d’arranger les piles de livres. Il comprenait maintenant, c’était forcément elle et son espièglerie cette histoire de lettre anonyme reçue par Michel. Cette fille n’était décidément pas ordinaire. Toujours vive, pleine de gaieté et de surprise !

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Mauricio, après quelques nœuds au cerveau que son troisième café ristretto ne sut pas défaire, choisit en priorité la carte de la romance. Il prévint Gaëlle de l’arrivée de son bouquin, (celle-ci lui donna spontanément son créneau de passage à la boutique). Puis Michel pour l’inviter à se libérer pour ce même créneau et enfin Geoffroy pour qu-il évite ce même créneau !

Tout semblait sous contrôle pour ce premier acte.

Il jouerait la carte tragédie plus tard.

Michel fit ce qu’il n’avait jamais fait auparavant : il posa son après midi.

Depuis qu’il travaillait chez Shoes4U, ( Non ! Depuis qu’il travaillait tout court en réalité) il se contentait de prendre les congés obligatoires imposés par son employeur. Il rentrait chez ses parents, comme lorsqu’il était étudiant, et la mamma lui faisait un stock de petits plats qu’il stockait dans son congelo. Parfois, c’était ses parents qui venaient quelques jours et ils en profitaient avec son père pour remettre un coup de peinture, réparer une fuite ou arranger son jardin. Se retrouver seul face à sa solitude et la vacuité sentimentale de sa vie n’avait pas grand intérêt selon lui….Michel n’était pas malheureux pour autant. Sa vie était comme ça voilà tout !

Avec la lettre, il s’était pris au jeu, il avait imaginé, il avait entrevu, il avait espéré, s’était projeté ! Un sentiment nouveau était là tout au bord de son cœur. C’était sûrement idiot et démesuré, mais c’était une perche qu'il ne pouvait pas refuser, lui semblait-il. Il n’écouta donc que son cœur et approcha fébrilement de la librairie à l’heure dite.

Gaëlle était gaie. En réalité elle était toujours gaie, c’était dans sa nature, mais ce matin elle s’était levée avec ce sentiment enjoué décuplé, telle une enfant qui savait qu’un cadeau inestimable arriverait dans la journée. Le coup de fil de Mauricio le matin, l’avait encouragé dans cette douce euphorie et elle avait tellement hâte de voir si Michel avait joué le jeu… Le pressentiment que “oui” la remplissait de joie !

À 14h tapantes, elle entra chez Mauricio et son œil vif détecta aussitôt LE livre qu’elle venait chercher dans LA pile pour y trouver ce qu’elle attendait. La porte avait sonné quand elle était entrée, mais Mauricio était probablement dans la réserve. Elle s’empara du livre, l’ouvrit en dernière page et sourit béatement. Il l’avait fait ! Elle était abasourdie face à cette enveloppe. Elle pensa à ce petit mot qu’elle aimait “bliss” voilà ce qu’elle ressentait, une vague de bien-être mêlée d’une certaine euphorie.

Son esprit cavalait. Qu'est ce qu’elle y trouverait? Y avait-il un mot en plus des photos demandées? Quelle serait la prochaine étape? Comment on avançait maintenant? Elle savourait ce bonheur, cette excitation qui monte encore tant que le cadeau n’est pas déballé.

Deux voix la sortirent de sa stupeur.

“ Buongiorno mia gazzella !” “Ma nageuse !”

Elle ouvrit la bouche et ne sut la refermer qu’après un long moment d’observation incrédule.

Elle aurait voulu s’évaporer ou disparaître des les pages de ce livre. Elle aurait voulu ne jamais avoir eu cette idée farfelue. Elle aurait voulu que Michel ne connaisse pas Mauricio, elle aurait voulu ne pas avoir nagé l’autre jour, se sauver et surtout comprendre ce que ces deux-là faisaient ensemble, là devant elle.

Elle aurait voulu encore une claque du pompier pour la réveiller de ce cauchemar qui la mettait brutalement face à sa réalité …C'était terrible, dans les deux sens du terme.

Elle ferma la bouche, regarda l’enveloppe dans sa main, puis ses pieds aussi…Elle se dit qu’il fallait dire quelque chose, tenta de réfléchir en vain et lâcha un timide “coucou les gars ! ça va bien par ici ?” qu’elle accompagna d’une mimique qui se voulait un sourire.

Mauricio s’amusa de la gène ambiante et lui dit “C’est pas une nuit à Rome que vous êtes venus chercher mais une après-midi chez moi ! Voici mon ami Michel qui est content de te rencontrer enfin… à moins que ce ne soit l’inverse ?!” Il sourit et s’éclipsa derrière sa caisse au fond de la librairie.

Michel s’approcha de Gaëlle, rougit un peu et lui demanda comment allait sa blessure, la conversation s’engagea à peu près naturellement grâce à cet incident récent. Elle aimait son regard déjà complice et curieux. Il souriait de toute sa bouche et les mots étaient comme des notes qui ponctuaient son sourire. Elle fondait, n’en revenant pas de cette rencontre parfaite qu'elle était en train de vivre par le plus pur des hasards.

Qu’elle est touchante quand elle est intimidée, pensa Michel. Il écoutait avec attention le récit de la piscine, une sensualité involontaire se dégageait de cette femme-fille. Quelle âge avait-elle? On la sentait pleine d’énergie et de fantaisie. Son rire était franc et pétillant …un bol d’air frais en pleine canicule. Elle ressemblait à sa lettre. Il se demanda si lui ressemblait à ses photos.

Le courant passait, c’était évident. Il prenait conscience de la fluidité de leur conversation, épaté que ce soit si facile. Il voulait la toucher, juste pour voir si tout ça était bien réel et si le courant ressenti était tangible, il en aurait mis sa main au feu… Elle allait ouvrir l’enveloppe en riant quand la porte derrière Michel tinta.

“Hey, Geoffroy c’est toi déjà ?”

Mauricio se précipita … le sang de Michel se glaça.