Le soleil dardait ses rayons obliques sur les façades des buildings du centre-ville et les derniers étages ainsi mis en lumière par les premières lueurs du jour se reflétaient telles des aquarelles dans les grandes flaques d’eau laissées par la pluie tombée durant la nuit.

Inanimées depuis la fermeture des bars, les rues du centre-ville reprenaient vie peu à peu et les véhicules de livraison garés le plus souvent en double-file (stationné en double?) déchargeaient leurs marchandises et victuailles aux restaurants et autres troquets de la Main apaisée.

Il revenait de déposer sa toute dernière cliente de la journée dans l’est de la ville et s’apprêtait à regagner son point de chute près du coin Guy et René-Lévesque et y laisser la voiture au garage de Taxi Diamond lorsque la voix du répartiteur retenti dans le radiotaxi lui demandant de se rendre à la gare centrale pour y cueillir une passagère.

Et sa nuit de travail se terminerait ainsi dans le miroitement des phares des voitures et les bruits de circulation, bien que minimes à cette heure indue, sera le prélude à l’effervescence du trafic routier - pour ne pas dire au bordel ambiant et permanent créés autant par l’impatience d’un peu tout le monde que par la prolifération endémique des cônes oranges délimitant les travaux de voirie et les réfections de la chaussée. ~~( J'ai situé l'histoire vers 4 ou 5 heures du matin, pour le temps, J'enlèverais ou reformulerais le 2e paragraphe. À vous de voir )~~

Charles, petite cinquantaine, cochait à peu près toutes les cases des professions du bottin de l’Union des Artistes. On l’avait vu, ou pas, sur les planches à quelques occasions dans des rôles de faire valoir, un peu au cinéma dans des seconds rôles et dans des pubs toutes plus oubliables les unes que les autres. Il était parvenu à se faire un petit nom dans l’industrie du doublage quand il était devenu la voix de Chuck Norris dans les films Mort au bataillon et de Pas de rançon pour Gaston. Hormis une courte renommée qui faisait qu’on l’avait reconnu un temps la rue, ses emplois de type alimentaire lui avaient permis de survivre à travers la faune du downtown de Montréal et cela même s’il s’agit ici d’un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaitre.

Aujourd’hui, 12 septembre 2025, ce père de deux enfants, divorcé, alcoolique repentant et chauffeur de taxi depuis quelques mois et dont le but initial était – outre de gagner sa vie et un peu l’estime des siens - d’écrire un scénario pour une grande série télé à l’intention des plateformes de streaming pour un public adulte.

Ou une pièce de théâtre.

Ou un roman.

Une bédé?

Un documentaire?

Bref, quelque chose qui le sortirait du marasme dans lequel il stagnait depuis beaucoup trop longtemps et qui le propulserait ailleurs, n’importe où pourvu que ce ne soit pas dans un satané taxi sale et souillé en fin de nuit avec relents de vomissures, d’urine et de vieille graisse de fast-food à la clef.

La concurrence est forte dans l’industrie du taxi à Montréal et l’arrivée intempestive d’Uber, il y a quelques années, n’a rien arrangé aux problèmes chroniques déjà existants et exponentiels de cette industrie aujourd’hui en déclin. D’hostiles entre elles, les compagnies sont passées à la guerre ouverte où tous les coups sont permis et où l’omerta règne toujours tel un mauvais mantra.

Lui qui avait pensé créer des interactions entre les passagers et provoquer des situations cocasses, inusitées et fertiles pour nourrir son scénario a très tôt réalisé que cela ne serait pas nécessaire, car le déroulement d’un quart de travail - qu’il soit de jour ou de nuit - comportait suffisamment de rebondissements et de bizarreries sans qu’il soit utile d’en rajouter une couche d’autant que lui-même avait déjà bien du mal à croire ce qu’il avait pourtant sous les yeux à tous les jours.

En attente dans la zone réservée aux taxis près de gare centrale, Charles calculait mentalement les pertes et profits de cette nuit agonisante qui ne passerait certainement pas à l’histoire.

Ouin, marmonne Charles, c’est pas avec ça que je vais me payer la traite. J’ai fait 21 courses pour 725$ de caisse, moins 245$ pour la redevance au propriétaire du véhicule, moins 125$ d’essence, moins 97$ avec les frais pour une infraction de stationnement et 190$ pour excès de vitesse. Bilan de la journée, un gros 68$. Ouin!

Tout à ses sombres pensées et autres idées noires quant à son crash personnel qui ne fait qu’accentuer encore davantage ses déboires et sa débâcle financière, Charles sursaute aux coups frappés à la vitre du véhicule, côté passager.

Bonjour, c’est vous mon chauffeur?