Je me réveille avec le chant des oiseaux. Machinalement, j’allume la bouilloire et sors le pot de café soluble. La porte de l’armoire grince quand je la referme. Le côté rudimentaire de ce refuge familial a pour moi quelque chose de rassurant.

La tempête qui sévissait dans ma tête s’est calmée. J’avais grandement besoin de me délester d’un tas de choses. C’est fait. Je respire mieux à présent. Je savoure ma première gorgée de café chaud. Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas senti aussi serein. Alors pourquoi ces paroles de Louise reviennent-elles clairement à mon esprit : « … le pont avait été endommagé, les poutres ne supportaient plus son tablier. Lorsque la jeep de mes parents s’y est engagée, le pont s’est écroulé… ils sont morts noyés… là-bas, les autorités n’ont rien pu faire… ». Au même moment, je lève les yeux vers la fenêtre et j’aperçois une voiture de police sur le chemin menant au chalet.

Deux officiers se présentent à la porte, un homme et une femme, « monsieur Albéric Portier? » me demande cette dernière. J’acquiesce. « C’est au sujet du meurtre de votre femme Louise Portier, m’annonce-t-elle, il y a du nouveau dans l’affaire ». Je les invite à entrer.

Moins d’une heure s’est écoulée lorsque les policiers repartent. Moi qui croyais avoir trouvé un peu de tranquillité, voilà que ça recommence. Mais cette fois, les indices sont probants. Une autre femme médecin a été retrouvée morte dans sa demeure, tuée à l’arme blanche, 16 coups. Exactement comme pour Louise. Une caméra de surveillance a capté l’arrivée de l’homme se faisant passer pour un livreur de pharmacie. Il s’avère que Louise et cette nouvelle victime ont travaillé pour le même organisme d’aide humanitaire. Les enquêteurs resserrent l’étau autour du suspect, celui-ci serait sur le point d’être arrêté.

Ma petite escapade aura été de courte durée. La détresse que je tentais de fuir, m’a rapidement regagnée.

Je reprends la route en fin d’après-midi. Durant le trajet, je me surprends à repenser à la petite valise caramel. Peut-être a-t-elle été récupérée de la jeep tombée dans les eaux tumultueuses qui ont entraîné dans la mort les parents de Louise. Louise l’aurait gardée par sentimentalité. La valise serait devenue une sorte de relique.

Survivre à la perte de ceux qu’on aime n’est pas une mince affaire. La notion d’existence est sérieusement remise en question lorsqu’on y est confronté. Je réalise la dévastation et le sentiment d’abandon qui ont dû être le lot de la petite Louise. À quoi s’était-elle accrochée? Sa grande détermination s’était-elle forgée à ce moment-là? Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi entêté qu’elle. Rien ne lui semblait irréalisable.

La nuit s’apprête à couvrir le ciel de son voile sombre lorsque j’arrive à destination. La maison a toujours son air lugubre. C’est mon regard qui ne peut la percevoir autrement.

Dans la chambre, tout est resté tel que je l’avais laissé. Le désordre dans la garde-robe pourrait prétendre à un cambriolage, si je n’en étais pas l’auteur. Mes yeux tombent sur la valise-relique, je réprime un sourire amer. Je m’approche de l’objet hiératique, l’ouvre et dans un geste maladroit le renverse. Son contenu se répand au sol. Les photos et les vieilles lettres s’éparpillent à mes pieds. Je remarque alors, dans la valise ouverte, une pochette latérale. Mes doigts y découvrent une liasse de lettres retenues par un ruban. L’enveloppe sur le dessus de la pile est adressée à la Dre Louise Portier, à une adresse qui m’est inconnue, quelque part en Afghanistan. Dans le coin supérieur gauche, les informations de l’expéditeur : Houshang Tajik...

Je retire le ruban, les enveloppes vont rejoindre les lettres d’amour des parents de Louise.