‘’ Sur les villes d’orgueil vers leurs destins dardées,

Règnent, sans qu’on les voie,

Plus haut que la douleur et plus haut que la joie,

Vivifiantes, les idées. ‘’

Émile Verhaeren

Elle relisait sans cesse ce poème d’Émile Verhaeren à la recherche d’idées pour son prochain roman. Enfermée dans cette chambre, plongée dans le noir total, seule une petite lampe illuminait sa feuille blanche. Le désespoir se lisait sur son visage crispé.

Où les trouve-t-on ces fameuses idées? Non seulement la lecture de ces poèmes ne me procure aucune source d’inspiration, mais me rappelle seulement mon imperfection à maitriser cette art. Comment arriver à l’écriture suprême? Comment tirer du néant toutes ces idées des neurones qui s’activent dans mon cerveau et en faire un tout cohérent? Finalement, je ne recherche pas que la cohérence, je cherche l’excellence. Bon, disons que la barre est haute. Peut-être trop haute même, pensa Maude dans un désespoir total.

On frappa à la porte de sa chambre.

- Qui vient me déranger dans ma recherche d’idées?

- C’est moi, ta pomme de route, ta tendre moitié, ton exutoire préféré.

- Ah, ah, ah! Même si je ris, c’est pas parce que je trouve ça drôle. Entre, c’est mieux que de se parler à travers d’une porte.

- Comment avance ton travail?

- Plutôt comment recule ton travail devrais-tu dire.

- Je crois qu’il est temps que tu sortes de ta tanière pour respirer un peu d’air. C’est beau écrire, mais encore il faut vivre. Dehors, le soleil brille, il ne fait ni trop chaud, ni trop froid. Une journée parfaite pour aérer tes poumons et renouveler l’oxygène de ton cerveau qui m’a l’air bien en panne.

- Si une très bonne idée arrivait au moment où ma disponibilité avait pris le bord?

- Un calpin dans la poche serait la solution!

- Tu vas me reprocher de ne pas décrocher de mon travail.

- Au moins, je te regarderai croupir dehors.

- Croupir? T’as vraiment l’impression que je croupis?

- Tu me fais penser à une chanson de Robert Charlebois : ‹‹ J’mange pu, j’dors pu, j’me lave pu. ›› Mais j’écris!

- T’exagères!

- Si peu. Bon, prépare-toi, je te sors.

Un meuglement très sonore sortit de la bouche de Maude, ce qui marqua son mécontentement profond. Noah avait raison après tout, il faut l’admettre. La peur de voir l’idée s’enfuir… Maude imagina alors l’idée comme un mille-pattes qui, dès qu’on l’approche, s’enfuit en se riant d’elle. Pourquoi la folle du logis se présente-t-elle à moi quand la situation ne la requiert pas?

Noah l’attendait dehors en se demandant pourquoi ce décor, parsemé d’arbres, de fleurs et de toutes ces statues de marbre ne l’inspirait pas davantage.

- Regarde chérie, les dragons que tu as choisis, cela ne stimule-t-il pas ton imagination?

- Pas le goût d’écrire sur les dragons aujourd’hui. On peut parler d’autre choses?

- J’essayais juste de t’aider. Mais bon, partons à l’aventure. Que dirais-tu d’une marche dans les bois?

- À la rencontre de dragons?

L’air moqueur de Maude déplut royalement à Noah qui décida de passer outre cette remarque. Il l’avait dérangée; il l’avait sortie de sa routine quotidienne. L’espoir d’extirper sa compagne de l’isolement total dans lequel elle s’était confinée depuis trop longtemps, encouragea Noah à poursuivre la route de l’inspiration.

À l’orée du bois, Maude et Noah s’exclamèrent devant la beauté qui s’offrait à eux. Le jeu de lumière du soleil, passant à travers les branches des arbres, offrait un spectacle singulier. Au loin, un cerf de virginie faisait sa ronde matinale; Les oiseaux volaient d’arbre en arbre dans une joyeuse chamaille; Un renard aux aguets espérait trapper son déjeuner.

- Pauvre écureuil, dit Maude, il faut que je l’effraie pour que cette journée ne soit pas sa dernière.

- Laisse le renard faire son travail. Il a faim; il doit manger. Tu vois toutes les sources d’inspiration que la forêt offre?

- Et la source de cruautés aussi. L’écureuil est pris au piège que lui tend le renard.

- Tout dépend de la façon dont on voit les choses.

- Voir différemment. Ouin… C’est stratégique.

-C’est la base d’un bon suspense. Faire souffrir ses personnages; les confronter à des difficultés; faire intervenir le temps. Tes personnages préférés vont s’en sortir, pour les autres…

Ils avancèrent plus profondément dans la forêt. Plus dense, plus noire, la forêt revêtait maintenant des allures morbides. Les arbres laissaient à peine passer quelques rayons lumineux.

- Qu’est-ce que tu fais par terre? dit Noah à sa charmante compagne.

- Je regarde les fourmis, répondit ironiquement celle qui venait de s’enfarger dans la racine d’un arbre trop gros pour la camoufler.

- Ici, tu ne seras pas en panne d’aventures, comme tu l’étais dans ta chambre, dit Noah dans un éclat de rire.

- Arrête de te moquer de moi! dit Maude en se relevant un peu sonnée et fâchée.

-Continuons notre route et laisse ton air rebelle derrière toi.

Ils marchèrent ainsi pendant un long moment, admirant la nature sauvage et tous les trésors qu’elle recelait, quand tout à coup …