Date 8 février 18:00

Bureau du Sergent-détective Lavergne

—Enfin! La journée achève. Ma femme dit que les enfants sont à veille de m’appeler Monsieur parce qu’ils ne me reconnaitront plus!

—Je sais. Marylou s’impatiente aussi. Il me semble qu’elle devrait comprendre depuis le temps qu’on est mariés, réagit Colpron.

—Bon bien voilà tout ce que j’ai trouvé sur Richard Millaire. Moi je m’en vais. J’ai ma journée dans le corps.

—Merci Julie, bonsoir!

Dès qu’il commence à lire le document qu’elle vient de lui remettre, Lemaire sourcille et s’empresse de la rattraper.

—Julie! Un dernier petit service avant que tu partes s’il te plaît, dit il d’un tonr suppliant. C’est urgent, je te jure !

—Bon, bon, bon, il me semblait aussi! soupire-t-elle

—Ça va te prendre deux minutes. Promis! Sors-moi juste les infos sur les Centres d’accueil de ces deux dossiers-là.

Dès qu’il a les renseignements en main, il s’empresse de dire

—Merci ma belle Julie d’amour!

Puis, il se tourne vers Colpron content de la piste qu’il vient de découvrir

— Regarde ça! on pourrait bien être passés à coté de quelque chose d’important dans le dossier de Millaire. Ça se pourrait qu’il soit de connivence avec les ravisseurs de sa femme!

…

18 h 45

Richard Millaire raccroche le téléphone et se dirige vers son auto d’un pas pressé. Enfin des nouvelles des enquêteurs! Je sais bien qu’ils doivent faire leur possible mais kriss, je suis après devenir fou moi!

Tout en conduisant, il pense à sa première rencontre avec Louise. C’était leur premier cours de comptabilité à l’école du soir. Mon Dieu qu’il l’avait trouvée belle! Il avait eu un vrai coup de foudre, mais n’osait presque pas la regarder, encore moins l’aborder. C’est elle qui en avait eu l’audace après le troisième soir. Bien décontractée, sûre d’elle, elle l’avait invité à prendre un café au petit resto du coin après le cours. Ils avaient jasé des heures même s’il était déjà tard, avaient parlé de tout et de rien. Louise avait parlé de son enfance, de sa relation privilégiée avec ses parents et de Lalu transport qu’ils avaient fondé ensemble. En l’écoutant, il s’était dit qu’elle avait gagné à la loterie des parents. À ses yeux, elle avait vécu une enfance parfaite. C’était probablement pour ça qu’à 17 ans seulement, tout chez elle respirait la confiance en soi et le bonheur. Malgré ses 26 ans bien sonnés, il avait été intimidé par elle.

Lui, il était devenu orphelin à quatre ans au moment de l’effondrement du viaduc de la Concorde le 30 septembre 1986. Cette structure construite en 1970 permettait d’enjamber l’autoroute 19 à Laval. C’est vers 12h 30 qu’avait eu lieu la terrible tragédie coûtant la vie à ses parents. N’ayant aucun autre parenté, il s’était retrouvé dans un centre d’accueil jusqu’à ses 9 ans. Ensuite la chance avait tourné en sa faveur et il avait été adopté. Mais malgré l’amour dont ses parents adoptifs l’avaient entouré, il était toujours resté plutôt timide et renfermé, sauf avec Louise.

Elle, la différence d’âge ne la dérangeait pas du tout. Mais pour ses parents, c’était une autre histoire, ils s’opposaient farouchement à leurs fréquentations, voyaient en lui une sorte de pervers. Il ne les blâmait pas. Au contraire, il comprenait leur réaction. Il avait tenté à maintes reprises de les rassurer, ne voulait pas être responsable de la zizanie qui régnait maintenant entre elle et ses parents. Rien n’y avait fait. La cassure avait été nette dès que Louise les a mis au parfum de leur intention de mariage et il s’en sentait encore coupable.

…

19 h 00

—Asseyez vous M. Millaire, dit Lemaire. J’ai juste quelques questions à vous poser. Connaissez- vous quelqu’un du nom de Guylaine Desgroseilliers?

—J’en ai connu une quand j’étais jeune au Centre d’accueil Delorimier. Si c’est d’elle que vous parlez, nous étions trois, ils nous appelaient les inséparables. Il y avait Guylaine, son frère Paul et Régis Malenfant. Pourquoi cette question?

—Les côtoyez-vous encore?

—Paul est mort il y a quelques années. J’étais plus proche de lui que des autres.

—À quand remonte votre dernière rencontre?

—Ça doit faire au moins 2 ans, on n’a plus grand chose en commun. Mais pourquoi vous me demandez ça? Leur est il arrivé quelque chose à eux aussi?

….

8 février 13 h 20

Maryse va voir l’état de Louise. Elle dort toujours mais elle respire mieux.

—Hey la belle au bois dormant, réveille-toi!

Louise frémit en reconnaissant la voix. C’est la femme qui criait quand j’ai repris conscience, j’en suis certaine! Elle ouvre les yeux tranquillement, encore assommée par la dose massive de drogue qui lui a été administrée. Elle sursaute en voyant un masque de Bouddha à deux pouces de son visage. Elle a peur, son coeur s’emballe.

— Qui êtes-vous? Qu’est ce que vous me voulez? Ça fait combien de temps que je suis ici?

Dans le pénombre elle distingue deux autres silhouettes.

—Détachez la!

—Ferme la et écoute-moi bien, je vais t’emmener au toilettes. Tu peux pas te sauver, perds pas ton temps à essayer. Si t’es bien docile, après t’auras quelque chose à manger. As-tu bien compris?

Louise hoche de la tête. Elle tente de se lever, mais la tête lui tourne, elle se sent faible et étourdie.

—Aide-la toi!

Régis s’exécute immédiatement. Au fil des années, il a appris à se méfier des colères de Maryse. Elle peut devenir extrêmement violente lorsqu’elle est contrariée. Elle lui a déjà lacéré la joue avec un couteau qu’il n’avait même pas eu le temps de voir. La cicatrice qui en a résulté l’a rendu beaucoup plus craintif. (arborer supposerait qu’il en est fier.) Il est toujours sur ses gardes autour d’elle.

Louise comprend que la femme masquée est bien la cheffe de la bande. Elle doit se méfier d’elle. Mais peut-être qu’elle pourrait tenter sa chance avec un des deux autres. Elle écoute tous les bruits et observe son environnement, cherchant un indice qui pourrait lui dire où elle se trouve.

La toilette se résume à une chaudière placée dans un petit réduit sans porte.

—Pouvez vous au moins vous retourner! dit-elle

—Fais pas ta mijaurée et puis grouille-toi si tu veux avoir le temps de manger.

Maryse fait les cent pas en attendant que Louise finisse son sandwich . Elle se fait une telle joie de pouvoir écraser la réputation de Claude Landry aux yeux de sa fille. Elle fait signe à Guylaine de ramasser les restes et de donner une bouteille d’eau à Louise.

-Attache-lui les mains et puis débarrassez le plancher tous les deux. Je veux être seule avec elle!

-Bon! maintenant que tu as repris des couleurs, je vais te raconter mon histoire.

J’avais 18 ans tout juste la première fois que j’ai rencontré Claude Landry. C’était en juillet 1981, j’étais serveuse dans un resto-bar en Gaspésie. Je m’en rappelle comme si c’était hier. Je l’ai vu dès qu’il a franchi la porte. Ça passe pas inaperçu un gars tiré à quatre épingles quand on est habitué à servir des pêcheurs. J’étais au bar. Il me chantait la pomme, il disait qu’il me trouvait belle. Il est revenu tous les soirs pendant une semaine. Un soir ,il m’attendait à la sortie. On s’est embrassés. Le lendemain soir, il m’attendait encore. Ça fini au motel. J’étais en amour! C’est la dernière fois qu’il est venu au bar, l’écoeurant!

De plus en plus enragée, Maryse hurle de colère faisant sursauter Louise. Elle se calme aussi vite qu’elle s’est emportée et reprend sa tirade d’une voix monotone, perdue dans ses pensées.

—Quelques années plus tard je suis déménagée à Montréal. En 1991, un coup de chance, j’ai réussi à retrouver Claude grâce à un article paru dans le Journal de Montréal qui parlait de la compagnie Lalu transport. Le lendemain je l’ai confronté à son bureau, je lui ai parlé de nos jumeaux. Je voulais qu’il reconnaisse sa paternité. Il m’a envoyé promener le salaud, en me disant que j’étais une kriss de menteuse. Il a rajouté que sa femme était enceinte, qu’il voulait pu me voir la kolisse de face. Il m’a même menacé d’appeler la police si je l’écoeurais encore. Toi, la petite princesse t’as tout eu cuit dans le bec! C’est notre tour maintenant! Il va payer pour toute la marde que j’ai mangé, le kriss de baveux!

Louise n’ose rien dire, cette folle lui fait peur.

—Descendez j’ai besoin de vous autres, aboie Maryse

Aussitôt qu’ils arrivent, Maryse tend une feuille à Louise. Elle ordonne à Régis d’aller à coté de Louise et d’enregistrer quand elle lui fera signe.

—Tu vas lire ce qui est écrit, pas un mot de plus si tu tiens à la vie. T’as bien compris!

Louise s'exécute, la voix tremblante. Maryse jubile. Ça devrait faire la job, Cloclo va voir que je ne plaisante pas.

—Tu peux te rendormir, c’est tout pour à soir. Je vais appeler l’écoeurant un peu plus tard pour lui faire entendre ta douce voix, dit elle en poussant un ricanement hystérique.

….