Pendant que son ex lui balançait un tas de reproches à l’oreille, des nouveaux et quelques anciens bien sûr (il avait toujours eu cette fichue habitude de ressusciter de vieux conflits à des moments inopportuns!), Pierre-Paul avait eu le temps de sortir du lit, enfiler un bermuda, brosser ses dents, descendre à la cuisine et mettre la cafetière en marche. En dix minutes, il n’avait pas encore réussi à placer un seul mot, mis à part de rares hum-hum échappés ici et là.

- Je comprends Sim que tu étais mort d’inquiétude… oui mais… je comprends… oui ce sont nos fils à tous les deux et on doit se tenir au courant, je sais mais…

Au bruit des pas dans l’escalier, il se rappela que Léo~~Gabriel~~ avait une pratique de soccer ce matin, avant le début des classes. En se passant une main sur le front, il interrompit Simon-Carl qui n’avait pas encore terminé sa litanie de jérémiades :

- Bon, ça suffit Sim… Oui, je m’occupe de Léo~~Gabriel~~, il ne sera pas en retard à sa pratique je te promets. Et oui je vais lui dire de t’appeler, ce qu’il aurait dû faire hier soir j’en conviens.

Il déposa son cell avec fracas sur le comptoir de granit, en échappant un profond soupir. Son ex avait le don de le mettre de mauvaise humeur, et surtout de le faire sentir coupable. Puis se retournant vivement, convaincu que c’était Léo~~Gabriel~~ qui venait chercher ses bananes et son muffin au chocolat, son p’ti déj préféré, il se sentit blêmir en apercevant Johan debout près de la table, le visage tendu, les yeux remplis de tristesse.

- Salut.

Le ton était neutre et détaché, c’était mauvais signe. Johan avait sûrement tout entendu. Se sentant pris au piège, Pierre-Paul se résigna à tout avouer, il n’avait plus le choix.

Johan l’écouta religieusement, sans prononcer un seul mot, puis se tourna vers la porte-patio et les nuages gris qui s’amoncelaient. Il était apparemment très troublé. Depuis deux interminables minutes, un silence total régnait. Une vraie torture pour Pierre-Paul!

- Parle-moi, Johan. Dis quelque chose, merde!

C’est à ce moment que Léo~~Gabriel~~ se pointa et lança un joyeux « Salut les gars! ». Et, sans attendre de réponse, il ajouta :

- Papa, j’ai pratique ce matin. Tu veux bien venir me porter en voiture, avec le bus je risque d’arriver en retard.

Pierre-Paul, décontenancé, se sentit déchiré entre son obligation d’aller reconduire son fils au collège (il avait promis à son ex) et son pressant besoin de poursuivre la discussion avec Johan.

- Bien sûr mon chéri, j’arrive tout de suite.

Puis, se tournant vers son nouvel ami, les yeux remplis de larmes témoignant de son désarroi, il le supplia de l’attendre :

- Ne pars surtout pas! J’en ai pour une quinzaine de minutes, vingt tout au plus. Sers-toi un café, prends ce que tu veux à manger… je reviens tout de suite.

---

Sur la terrasse, Johan faisait les cent pas. Oh, comme il détestait se faire mentir! Il se sentait trahi, une fois de plus. Comme avec sa mère. À chaque nouveau mensonge, ce sentiment de trahison initiale qu’il avait tant essayé d’occulter remontait à la surface. Pourquoi Marie-Marthe avait-elle attendu ses 17 ans pour lui révéler la vérité sur son père ? Était-ce vraiment pour son bien, pour le protéger ? Il n’y avait jamais vraiment cru d’ailleurs à cette intrigante histoire, cousue d’événements tout autant incroyables qu’improbables.

---

À son retour, Pierre-Paul fut soulagé de trouver Johan assis sur la terrasse. Ce dernier avait l’air à la fois préoccupé et nonchalant, un brin détaché peut-être. Décidément, ce jeune homme était troublant, presqu’indéchiffrable depuis le début de leurs échanges. Ce serait difficile de percer le voile qui recouvrait son cœur, puisqu’il ne révélait pas facilement ses émotions.

~~À la~~À la vue de la tasse qui traînait sur la petite table, Pierre-Paul décida de se verser un c~~ussi.~~afé avant d'entamer la'inévitable discussion.

- T'enu veux un autre ~~café~~ ?

Johan lui lança un regard de côté et hocha la tête en signe de refus.

Pierre-Paul approcha une chaise de celle où Johan était affalé, tout en prenant soin de conserver une certaine distance. Il sentait que leur connexion était fragile. Puis, avec courage, il reprit la discussion que lui seul semblait vouloir prolonger :

- Écoute-moi Johan. J’me rends compte maintenant que j’aurais dû te dire toute la vérité dès le début. C’est pas que je ne te faisais pas confiance, crois-moi, mais je suis tellement habitué à cacher « certains détails » de ma vie, disons… c’est devenu comme un mauvais réflexe.

Il s’arrêta, croyant à tort avoir décelé un peu de sympathie dans le regard de Johan qui avait entrouvert les lèvres, pour aussitôt se raviser. Se sentant alors obligé de continuer, il enchaîna :

- Johan, stp, essaie de comprendre. Ça fait juste 2 ans que je suis sorti du placard. Comme je te l’ai expliqué tout à l’heure, Betty et moi on était pas mariés mais on a habité ensemble avec les enfants pendant onze ans. Et pendant tout ce temps, Simon-Carl occupait l’autre moitié du jumelé, du moins officiellement. Heureusement, personne ne savait qu’une porte intérieure avait été percée pour pouvoir circuler librement entre les deux maisons. T’sais Johan, si ce n’avait été de la grande générosité de notre amie Betty, on n’aurait jamais pu avoir d’enfants Simon-Carl et moi. Et elle nous a grandement aidés, surtout les premières années.

Johan semblait incapable de sortir de son mutisme, même s’il avait l’air attentif aux propos de cet homme auquel il se sentait pourtant déjà attaché. Il fixait Pierre-Paul comme s’il cherchait à voir à travers lui, mais demeurait enfermé dans ses pensées.

- Johan, parle-moi, j’t’en prie. Dis quelque chose. Tu as le droit d’être choqué par la situation, par le triangle familial un peu bizarre qu’on a créé. Tu as le droit de me juger, de me rejeter même. Mais stp, dis-moi à quoi tu penses.

- Je déteste les mensonges, laissa échapper Johan dans un chuchotement à peine audible, comme si ce seul aveu ne devait être entendu que de lui.

- C’est ça qui te met dans tous tes états ? Mais je ne t’ai pas réellement menti! Betty est vraiment la mère des garçons, du moins biologiquement. J’avais juste pas envie de te raconter tous les détails tout de suite, parce que j’avais peur que tu me juges et que tu ne veuilles plus de moi. Je suis habitué aux jugements sévères des gens, mais avec toi j’voulais pas que ça arrive.

Johan étouffait. Il se leva d’un bond et se dirigea vers l’escalier comme s’il voulait quitter l’immense terrasse devenue soudainement trop petite pour eux deux. Puis, il s’arrêta net et éclata en sanglots.