EXTRAIT D'UN TEXTE DE KATESHKEMIK

La neige colle sous les bottes. Le printemps dessine une auréole d’herbe jaunie sous les sapins rabougris. Peu de tempêtes cette année. C’était peut-être leur dernier hiver. En tout cas, c’était le mien, c’est sûr. Je suis presque décidé maintenant, je le sens. Hier encore, je l'ai expliqué tout haut aux spatules accrochées à côté de la cuisinière, mes interlocutrices habituelles. Parfois c'est au chien que je parle, parfois aux chats ou à l'oiseau qui crie dans sa cage. Ils sont sans réaction face à mes incertitudes. La cuiller en bois plonge dans la soupe sans un mot et je continue à lui décrire ce que je vois. Un futur inconnu. Un chemin de brouillard perdu dans les nuages. Un temps où je ne suis peut-être plus, un temps sans moi. J'écrase la cigarette contre le poêle puis je la jette dans l'antre béant. Les flammes me réchauffent. La soupe me réchauffe. Maudit froid. Un coulis d'air chemine entre la porte fermée et mes pieds. Cela m'agace. Je jette une veste contre le pas de la porte pour couper cet air glacial qui entre comme un voleur dans ma vie. Une autre cigarette, un fond de whisky où tremper un petit sablé pas cher du Président. C'est tout ce que je me permets quand le moral est à zéro. Demain ça ira mieux.

La télé crépite avec le journal du soir. Le clown orange secoue sa crinière et son sourire vorace, tandis que l'autre s'agite sur une estrade les bras en l'air. Ça aussi me submerge. J'implose en dedans, incapable de dissoudre le dégout qui m'envahit. Il ne se passe rien, mais il se passe ça. Jézabel ne m'appelle pas. Elle ne me manque pas vraiment, personne ne me manque vraiment en réalité. Hier, j'ai sculpté trois petits ours, ils me regardent depuis l'atelier au milieu des gouges. Je crois que je vais les colorer un peu, ça se vendra mieux. Bon. Passons à la vaisselle, un moment de zénitude si l'on accepte d'y entrer pleinement. Je me sens comme un animal qui prend soin de sa tanière quand je verse le savon Plénitude sur les assiettes. Une odeur d'agrumes se répand avec l'eau chaude versée de la bouilloire et je gratouille les bols en fredonnant ce que je connais. Le verre est vide. Le chien s'approche pour quémander un plat à lécher. Tiens. Le pré-lavage est fait. C'est ainsi tous les jours et tous les jours de toutes les semaines. C'est régulier. C'est cela que j'aime.

Dehors, le vent se lève, un peu chaud, un peu froid, j'ai regardé la pomme de pin. Ce sera sec ce soir. Lune pleine, bon temps pour les collets.

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Six mois ont passé, et me voilà au pays où il n'y aura jamais plus d'hiver, tel que j'en rêvais depuis longtemps. Je n'ai pas seulement quitté le froid, mais je suis maintenant libéré du clown orange et de son acolyte gesticuleur, car là où je suis, ils n'ont à peu près plus aucun pouvoir, et même si je ne comprends que très peu ce que les gens de la région disent, je sais que contrairement à mon ancien patelin, ils parlent de n'importe quoi, mais pas de politique.

Ici dans ce petit village de Cahuita, je peux me débrouiller avec l'anglais, et tâche de mon mieux d'apprendre l'espagnol à la vitesse grand V. J'y ai retrouvé la tranquillité de ma vétuste demeure d'Amérique du Nord. Je ne parle plus à mes spatules ou à mon chien qui est le seul à me manquer, mais aux toucans, singes hurleurs et paresseux qui m'entourent. Ici la nature a tous les droits et est respectée comme il se doit. J'ai troqué mes bottes pour des sandales, et la neige pour le sable.

Une jolie Tica profitant du soleil sur cette plage grisâtre, non loin de moi, semble me porter un intérêt timide et réservé. Je lui souris malgré mon caractère habituellement renfermé, mais il me tarde tout de même de connaitre un peu mieux le lieu où j'ai établi ma nouvelle demeure, à tout le moins pour l'hiver qui vient, et aussi ses habitants. Je m'approche lentement, mais mon espagnol est encore trop pauvre et elle ne semble pas comprendre un seul mot de la langue de Shakespeare. Je ne me reconnais pas, alors que je me surprends moi-même à insister à poursuivre cette demie conversation, en y allant du peu de vocabulaire appris, mais surtout de gestuelle qu'elle semble accueillir avec une certaine joie et me rendre de manière réciproque. Voilà mon premier contact établi, et le solitaire en moi, bien que très peu habitué à ce genre de rapprochement, me murmure intérieurement sa satisfaction de me voir ainsi entamer une nouvelle vie.