Le dernier sandwich avait un goût encore plus étrange que celui qu’il avait mangé à midi ou était-ce plus tard? Il vérifia la date de péremption mais tout avait l’air normal, il arrivait au bout des rations qui lui avaient été données, il aurait bien voulu le recracher mais c'était un peu tard maintenant. Son ventre lui faisait vraiment mal et soudain il prit conscience qu’il pouvait être malade et totalement foirer sa première mission.

Passer tous ces tests, subir tous ces entrainements dont il ne comprenait pas vraiment l’utilité, bref, être prêt, opérationnel et se faire baiser par un sandwich au thon.

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C’était vraiment ridicule, mais bon il fallait faire quelque chose mais quoi, son ventre se contractait et faisait des bruits bizarres.

Ne pas y penser, faire une diversion, c’est ça, penser à autre chose, occuper son cerveau avec des pensées neutres ou agréables mais dans ce petit réduit où il était en veille depuis deux jours maintenant, il n’y avait pas grand chose pour distraire son cerveau.

Il n’avait pas le choix, il fallait se reconcentrer sur la mission, mobiliser toute son attention là dessus, point barre !

Surveiller cet inconnu qui occupait le grand appartement à l’angle de la rue. Situé à environ 300 mètres, peut-être 400, c’était largement dans les capacités de sa caméra binoculaire thermique Pulsar Accolade 2 LRF d’une portée de 1800 mètres environ. Il ne savait pas encore que l'abréviation LRF pour Laser Ranger Finder pouvait grâce à un télémètre intégré lui permettre de mesurer instantanément la distance qui le séparait de son sujet. Avec une définition de 640X480 pixels et un enregistreur vidéo intégré, de jour comme de nuit, grâce à l'infrarouge tout mouvement pouvait être détecté, le type n’avait aucune chance de lui échapper. Plus tard, il découvrirait que l’engin avait aussi une fonction streaming qui rendait possible la connexion via un réseau Wifi et permettait la diffusion en ligne des images capturées directement sur You Tube. Il se mit à rêver à l’utilisation que pouvaient faire les paparazzi de cette caméra.

De quoi accusait-on cet homme ou de quoi il avait était témoin, ses chefs n’avaient pas jugé utile de l’informer, il pensait que ce n’était pas un très gros poisson sinon la mission serait revenue à un agent beaucoup plus confirmé. D’ailleurs le type ne donnait aucun signe suspect, il se déplaçait tranquillement dans l’appartement, n’avait pas tiré les rideaux et pratiquement toutes les chambres étaient éclairées. Peut-être tous ces indices étaient-ils suspects et que le bonhomme donnait le change, feindre l’indifférence, la cool attitude alors qu’il avait payé́ un sosie pour faire la figuration et qu’il était à ce moment précis en train de préparer une attaque nucléaire totale. Ok pour faire diversion et occuper son esprit mais peut-être pas à ce point, il fallait être sérieux.

Surveillance h 24 fois deux, rapport toutes les quatre heures, si mouvement de dégagement de la cible, ce qui signifiait que le type sortait pour aller se chercher un coca light, alerte radio sur l’émetteur récepteur et le reste pas de votre ressort.

Un bleu voilà ce qu’il était, première mission, doit faire ses preuves, évaluation, rapport, bref ça rigolait moyen dans la section anti-biiiip N129. Il s’était toujours demandé pourquoi il avait choisi de rentrer dans ce service, ses notes sur la partie théorique lui permettaient largement de viser plus haut et il se rendit vite compte, sans paraître prétentieux de la différence de niveau qui existait entre lui et les neuf autres finalistes sélectionnés.

Peut-être l’épreuve orale, ses réponses et son léger manque d’engagement avaient révélé un manque de sens collectif, ce fameux esprit de groupe dont l’absence avait déjà été remarquée quelques années plus tôt par son prof de gym au collège.

Il transpirait maintenant, ça lui coulait le long du dos, ses mains étaient glacées, s'il n’y avait eu ce mal au ventre il aurait pensé au trac ou stress de la première mission mais cette éventualité évoquée par ses chefs n’était valable que pour les interventions in situ, les assauts et autres encerclements préventifs.

Quel nul, se chopper une chiasse dans un micro réduit où il n’y avait aucun moyen de se soulager, il avait réussi à uriner dans la bouteille prévue à cet effet mais pour le reste c’était la merde.

Penser à autre chose, il ne lui restait plus que quatre heures de veille, il fallait tenir, il devait tenir. Changement d’intensité lumineuse, le type éteignait une à une toutes les lumières de l’appart, il s’était changé, il allait s’exfiltrer ...

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Les serpents douloureux continuaient de se promener dans ses intestins. Sa sueur dégageait une odeur rance et les coulisses dans son dos se faisaient de plus en plus nombreuses. Ça lui rappelait une mission en Inde quelques années auparavant où, coincé à l'arrière d'un camion, il avait affronté les périls de la route tout en tentant de garder le contenu de ses viscères à l'intérieur. Je ne dois pas me chier dessus, je ne dois pas me chier dessus, s'était-il répété à l'époque. Le leitmotiv refit surface et il utilisa tous ses pouvoirs de concentration pour ne pas se mettre, littéralement, dans la merde.

Il revint à sa mission et constata avec terreur que toutes les lumières de l'appart étaient désormais éteintes et qu'il n'avait aucune idée où était le suspect. Utilisant sa caméra binoculaire thermique Pulsar Accolade 2 LRF avec la fonction infrarouge il détecta finalement le type dans sa salle de bain. Il le regarda s'assoir sur la toilette et faire ses besoins. Sa montre sonna, lui rappelant qu'il devait faire son rapport. Suspect sur place. Rien à déclarer. Il envoya le texto entre deux crampes intestinales. Il reprit son souffle et sa surveillance. Le type avait fini ses ablutions et se dirigeait vers la chambre à coucher. Surprise, la lumière se ralluma. Il changea le mode de surveillance sur sa caméra pour capter sur vidéo les gestes du suspect. Le type commença par enlever ses vêtements. Jusque là, rien d'anormal. Cependant, au lieu de se mettre en pyjama, il enfila des bas collants couleur chair, des prothèses mammaires et une longue robe couverte de sequins multicolores. L'homme tira ensuite un petit tabouret d'en dessous d'un meuble de style rococo, s'assit dessus et sortit un arsenal de maquillage digne due Ru Paul des tiroirs. Il fit la moue dans le miroir, tira sa peau pour la dérider et débuta tranquillement le processus : crème hydratante, fond de teint, crayon pour le contouring, ombre à paupières, faux cils, rouge à lèvres.

Fasciné, il en oubliait presque sa mission quand une crampe le ramena à l'ordre.