contPhoenix

Le retour à la vie ‘’normale’’ se déroula sans trop de mal. Cette pause m’avait été bénéfique mais un doute persistait encore à propos de l’existence, ou non, de cet escalier mystérieux qui m’avait menée à ce qui ressemble le plus au paradis. En y réfléchissant j’en étais venue à la conclusion que ce gap dans ma vie trépidante avait déclenché un retour à l’esprit débordant d’imagination de mon enfance, mais en même temps, je n’en étais plus si sûre. Ce petit périple au bas de ces marches équarries grossièrement m’avait semblé si réel, si vrai. Les odeurs, les sons, le toucher de cette herbe haute et humide.

Ce qui me troublait encore plus c’étaient ces rêves récurrents où je m’y retrouvais avec la même sensation de vérité. Ils ne survenaient pas tous les soirs mais occasionnellement quand, je le remarquai assez vite, le stress de mon travail me submergeait. Les exigences étaient de plus en plus importantes, et je devais cumuler deux postes car la direction les avait fusionnés et avait congédié la collègue qui assumait la responsabilité de l’autre section. Alors que je croyais avoir laissé mes questions existentielles dans ce coin délicieux où l’étang regorgeait de grenouilles, de nénuphars et petits poissons, voici que je me retrouvais engoncée de nouveau dans ce marasme thétique qui m’avait fait fuir la ville depuis à peine un an.

Il fallait faire quelque chose, mais quoi? Je n’aime pas particulièrement retourner en arrière pour revivre un passé dépassé. Retourner dans ce chalet pour tenter de percer l’énigme de cette aventure, peut-être rêvée et truquée, ne me disait rien mais je devais aussi comprendre ce qui m’était arrivée exactement.

Plus les jours défilaient, plus je devenais distraite et enfouie dans mes pensées à tenter de dérouler le fil de cet événement. Les reproches et les mesures disciplinaires se bousculaient à ma porte lorsque, sur un coup de tête, j’ai donné ma démission. Je me retrouvais chez moi, soulagée, craintive, vindicative, délivrée et finalement apaisée. Je paressais dans mon lit jusqu’à midi; je mangeais ce qui me tombait sous la main; je vidais mes bouteilles de boisson avec délectation jusqu’au jour où j’ai dû me rendre à l’évidence que ça ne pouvait plus durer. J’ai pris mon sac à dos, l’ai rempli des essentiels, empoché mon passeport et mes dernières économies, et prit l’avion pour l’Europe pour aller marcher Compostelle.

Je me suis promis alors que ce serait la dernière démarche pour me retrouver et continuer mon chemin de vie sans passer mon temps à me questionner sur tout et rien. Une fois sur le chemin, le premier pas franchi, le sentier qui s’étalait devant moi me sembla la route toute désignée pour ma mission. J’ai marché, j’ai marché des heures, j’ai marché des journées entières, espérant le miracle qui remplirait ce vide intérieur qui m’habitait. J’ai dormi parmi les autres voyageurs, j’ai mangé aux tables communes, me suis lavée parfois à l’eau froide, ai parlé de la pluie et du beau temps avec quelques compagnes et compagnons avec lesquels je faisais un bout de camino. J’ai admiré les paysages, vu les champs onduler au gré du vent, ~~admiré~~ contemplé=les fleurs qui jonchaient la route, respiré le parfum des oliviers. Mais je n’ai pas rencontré d’escaliers, ou d’étang mythique.

Au fur et à mesure que j’enfilais les kilomètres, mon esprit s’est éventuellement calmé, les rêves se sont estompés, mon cœur s’est ouvert et tout simplement, sans cris ni trompettes, je me suis retrouvée. J’ai commencé à voir qui j’étais, ce que j’étais, une personne magnifique et ordinaire, une femme empathique et égoïste, gourmande et sobre. Mon moi et son contraire s’harmonisaient doucement, sans heurts, sans sursauts. Je ne savais toujours pas où tout ça allait me mener mais je savais où je n’irais plus. Je me suis laissée porter par cette nouvelle sensation, ces nouvelles odeurs, ces nouveaux sons jusqu’au moment où cette aventure a rejoint celle que j’avais vécue le jour où j’avais descendu ces marches en colimaçon, où je m’étais assise près de cette mare claire, où j’avais scruté ses tréfonds pour suivre les remous causés par les nageoires des poissons, des auréoles formés par le saut des batraciens, où j’avais écouté, émerveillée, le son des oiseaux, où j’avais humé cette fraîche moiteur. J’y étais revenue, mais cette fois dans une réalité où des témoins bien vivants ont corroboré ma vision, où mes amis globetrotters vivaient le même phénomène, où je pouvais amalgamer tout ce vécu avec le plancher des vaches foulés en leur compagnie.

Et au moment où j’atteignais la cathédrale de St-Jacques, point culminant de tout ce trajet méditatif, je suis tombée sur lui, cet homme que je n’attendais plus, dont je refusais l’éventualité, dont je n’envisageais même plus la perspective. Il était grand, pas vraiment un Adonis, mais pourvu d’un charme indéniable. Sa chevelure frisée par la chaleur, ses yeux d’un bleu intense qui m’ont fixée à mon entrée par la grande porte. Malgré l’obscurité des lieux plus forte à cause de la transition du soleil au calme doux de l’église, son regard m’a transpercée d’une douce lumière. Je croyais que le coup de foudre nous prenait aux tripes et nous laissaient le souffle court, le cœur serré, les jambes molles. Mais ce que je vivais à cet instant n’était qu’harmonie, quiétude, comme une gourmandise que l’on déguste lentement en prenant soin d’en goûter toutes les subtilités. Je me suis dirigée vers lui, ai déposé mon sac et sans un mot j’ai pris place près de lui. Nous avons fait la file jusqu’au prêtre qui a estampillé notre crédenciale et nous nous sommes assis sur un banc pour faire une dernière prière intérieure avant de ressortir dans la chaleur de la ville.

C’est alors que nous nous sommes présentés l’un à l’autre, Emmanuel est son nom et il est Français. Nous nous sommes attablés à la première terrasse que nous avons rencontrée, nous avons pris un verre, puis deux, et un troisième avant de se commander à manger. À la fermeture du restaurant nous étions encore à nous raconter, à nous jauger, à nous espionner tendrement. Nous en avions oublié de réserver une chambre pour la nuit, tout était complet dû au nombre très élevé de pèlerins au terme de ce long voyage. Nous avons marché vers la mer, avons étendu une serviette, notre sac nous servant d’oreiller et nous nous sommes étendus dans l’intention de dormir un peu. Mais Orphée ne s’est jamais pointé. Au petit matin, nous avons repris nos affaires et nous nous sommes dirigés vers le bistro le plus proche pour nous réchauffer d’un bon café et d’un plat d’œufs brouillés et frits dans l’huile.

Je l’ai suivi jusqu’en France, dans son petit village d’Aulan dans la Drôme, surplombé d’un magnifique château médiéval rempli de reliques et d’objets d’art. Ce minuscule patelin fait partie des plus petites communautés Françaises et j’ai compris le désir de mon nouvel amour de vouloir aller voir plus grand. Moi qui ai toujours vécu dans la grande ville de Montréal, aux milles cultures, musées, théâtres, cinémas et tutti quanti, je me dis qu’il devait étouffer dans un endroit aussi restreint. Mais nous ne sommes pas au Canada ici, où les distances entre les villages se mesurent parfois en des dizaines de kilomètres alors qu’ici on se rend d’un village à l’autre en quelques minutes. J’y ai passé des jours sereins, tranquilles, où j’ai pu me reposer les jambes et les pieds malmenés par le long périple que j’avais entrepris sur des sentiers souvent très accidentés et parsemés de cailloux et de cavités. Mais l’ennui vint qu’à s’installer, sans travail, sans activité autre que de me promener et admirer les couloirs de cette forteresse ornée de tableaux, de sculptures, de draperies, de meubles anciens ouvrés~~uvrés~~ savamment, de vaisselles d’argent. Une fois que j’ai eu fait le tour plusieurs fois, je déclarai timidement à mon amant que je désirais rentrer chez moi au Canada.