Giacomo, président de Sierra Mining, répondit aussitôt et savait déjà que les secondes étaient comptées. Pablo avait pris soin d’avertir Giacomo dès que Mateo lui avait ordonné de se rendre sur ce terrain dans les plus brefs délais avec l’argent réclamé par ses ravisseurs. Par chance, l’endroit choisi pour la transaction était, malgré son apparente désaffectation, toujours surveillé par l’équipe de sécurité de la mine.

As-tu des images de la transaction? demanda Pablo.
Oui, on a isolé la séquence de votre arrivée jusqu’au départ des véhicules. La police est sur le coup, ils ont déjà les images, et ils ont dépêché des drones pour repérer et traquer les véhicules à la sortie de la mine.
Superbe! Beau travail! Je vais tenter de joindre Pag pour l’avertir du danger. Il est sûrement sur le radar de ces mafieux, ajouta Pablo, sans se douter qu’il était à quelques mètres de lui quelques minutes plus tôt, et du côté criminel, de surcroit.
Parfait. Appelle-moi dès que tu l’auras contacté.

L’isolement de la mine jouait en faveur de la police. Il aura fallu plusieurs minutes aux véhicules pour sortir du chemin cahoteux de la mine, et plusieurs autres pour regagner la ville. Ces minutes précieuses étaient une occasion pour les drones de la police de les localiser avant qu’ils ne se fondent dans la circulation de la ville.

La première voiture avait été repérée tout juste à l’entrée nord de la ville, lors de son arrivée au parc industriel adjacent à la zone aéroportuaire. Supposant que les deux véhicules prévoyaient se rejoindre au même endroit, des policiers se sont rendus au parc industriel dans l’espoir d’intercepter le deuxième véhicule, alors qu’un des drones continuait la filature du premier.

À peine quelques minutes plus tard, le premier drone filmait le changement de voiture de Pag, qui fut identifié instantanément. Plutôt que d’intervenir à ce moment, les policiers décidèrent de se faire discrets jusqu’à ce que l’automobile arrive à sa destination.

Peu après, la fourgonnette était interceptée à l’entrée de la ville, et le groupe tactique d’intervention se préparait à intervenir autour d’un hangar aéronautique à un kilomètre de là.

Pag sentait qu’il était sur le point d’être contraint à monter dans un avion-cargo pour une destination inconnue, et sans guide touristique. On ne lui demanderait pas de choisir un forfait, ni une chambre d’hôtel selon sa proximité de la plage. On ne s’informerait pas de ses allergies ou de ses préférences alimentaires. Sans passeport et sans bagage, il ne pouvait s’attendre qu’à être déporté comme une vulgaire marchandise, vers un lieu où il ne risquait pas de nuire aux opérations du crime organisé argentin. De tous les films qu’il avait vus, aucun ne mettait en scène le congédiement pacifique d’un individu devenu gênant pour un groupe mafieux. On leur réservait habituellement un sort macabre ou au mieux traumatisant.

On le conduisit précipitamment à l’intérieur du hangar, où, sans surprise, on le fit monter dans un avion de brousse, puis assoir sur une banquette de fortune installée parmi les ballots de marchandise. Les gens évitaient le contact visuel, et était concentrés à leurs tâches dans une discipline militaire et un silence glacial. L’ambiance était si froide que l’envie de réclamer des explications fut surpassée par la conviction que ses requêtes seraient ignorées. Il s’accrochait désormais à un mince espoir de voir surgir un dirigeant qui aurait comme responsabilité de lui communiquer le strict minimum, ne serait-ce que des instructions brèves assorties des menaces d’usage. Au moins aurait-il ainsi accès à un soupçon d’information.

Aucune étiquette, aucun logo sur les ballots de marchandise. Tout était emballé hermétiquement dans un plastique noir. Il profita de quelques secondes d’attente pour examiner les détails à la recherche d’indices, mais fut rapidement interrompu par un cri provenant du fond du hangar, suivi d’un, deux, trois… et bientôt une rafale de coups de feu et de cris.

Le moment où l’on perd conscience lors d’un événement traumatisant dépend non seulement de facteurs physiques, mais aussi de notre tolérance au stress. C’était un Tommaso Pagliari pourtant accoutumé à une bonne dose de sensations fortes qui reprenait lentement ses esprits. Il avait résisté au stress intense et cherché à comprendre le déroulement de l’assaut jusqu’à ce qu’une forte secousse l’oblige à se mettre en mode survie.

Alors, Monsieur Pagliari… on se paie encore des vacances dans notre magnifique complexe hospitalier? lança l’infirmière qui avait accompagné son réveil une semaine plus tôt.
…
Votre vol pour l’enfer a été annulé à la toute dernière minute, et on vous a assigné à cette chambre, espérant que le service soit à la hauteur de vos attentes. Pas trop déçu que les plans aient changé?

Les rires accélérèrent le réveil de Pag. Les voix étaient familières, mais la situation inhabituelle. Exceptionnellement, l’équipe médicale avait permis à quelques proches, dont Mateo et Pablo, d’être présents pour le réveil de Pag, étant donné l’heureux dénouement d’une situation qui avait frôlé la catastrophe.

Aux informations, les journalistes y allaient de reconstitutions des événements, de portraits de l’organisation mafieuse qui venait d’être sérieusement secouée et amputée de plusieurs membres. On mentionnait, tout en préservant leur anonymat, l’implication de personnalités connues du milieu des affaires, en prenant soin de rester vague sur la nature de leur implication. Pablo se préoccupait de l’impact de cette nouvelle sur l’entreprise familiale, mais le soulagement de voir son fils sain et sauf surpassait son inquiétude.

Une fois rétabli de ses blessures mineures, Pag eut une longue conversation avec Mateo au cours de laquelle il disait hésiter entre des vacances, une thérapie, ou une conversion à la viticulture. Selon Mateo, la thérapie était la seule option souhaitable, autant pour lui-même que pour son ami. Ils se mirent aussitôt à faire des plans pour acheter un vignoble…