Il n'y avait pas de temps à perdre. À peine arrivé à Abou -Simbel et bien que fatigué Thomas se joua encore de ses contacts pour avoir rapidement un accès exclusif au site archéologique.

Phillipe, quant à lui qui réfléchissait activement à l'énigme songea que l'homme au crâne tatoué lui avait fait comprendre que le jour d'Isis devait avoir lieu ce jour-là. Dans la voiture qui les menait sur le site, il fit part de ses réflexions à Thomas.

- Aujourd'hui, nous sommes le jour d'Isis.

Devant l'air dubitatif de Thomas, Phillipe crut bon de s'expliquer.

- L'homme au crâne tatoué l'a mentionné. Il s'agit d'un jour où un alignement parfait des planètes à lieu.

- Et en quoi ça peut nous aider? Demanda Thomas avec une grosse pointe d'impatience dans la voix.

- Je ne le sais pas encore. Par contre, j'ai réfléchi sur la phrase : "Agissez sur le centre des structures."

- Et ça donne quoi?

- Quelles sont les deux structures majeures qui se trouvent à Abou -Simbel?

Thomas comprit. Mais c'était évident. Il s'agissait des deux temples ; le grand temple de Ramsès II et le petit temple de Nefertari. Il songea qu'il avait bien fait de faire appel à l'esprit aiguisé de Phillipe.

- Et donc, ce que tu veux dire c'est que le centre des structures serait...

- Oui. Le centre serait une équidistance entre les deux. C'est une théorie qui se défend.

- En tout cas, tu vas pouvoir la vérifier. Nous y voici.

En effet, ils venaient d'arriver sur le site. Les temples d'Abou Simbel, imposants et mystérieux. Le soleil les frappait de plein fouet, illuminant les statues géantes de Ramsès II qui semblaient surveiller le désert infini. Le vent chaud soufflait doucement, soulevant la poussière, tandis que le silence autour de ces monuments était presque irréel. À côté, le temple de Nefertari, un peu plus petit mais tout aussi impressionnant, dégageait une sensation de tranquillité. Tout autour, le sable s’étendait à perte de vue, et au loin, le lac Nasser brillait sous les rayons du soleil, ajoutant une touche de calme à cet endroit où l’histoire semblait figée dans le temps.

- Et donc, ce que nous cherchons, selon toi se trouve entre les deux temples? Demanda Thomas, toujours avec cette impatience dans la voix.

Phillipe releva cette pointe d'impatience de son compagnon mais il le mit sur le compte de la fatigue et de l'excitation. Il n'y accorda donc pas grand importance et répondit avec assurance :

- Oui. Nous devons compter une égale distance entre les deux. Et je pense que là se trouvera une indice qui nous permettra d'avancer dans notre quête.

Ils s'exécutèrent. Les deux temples étaient séparés par environ 120 mètres, ce qui signifiait que le point qu'ils cherchaient se trouvait à 60 mètres de chaque côté.

Phillipe aiguisa son esprit pour déceler dans ce panorama ce qu'ils cherchaient. L’allée entre les temples était bordée de statues colossales de Ramsès II, figées et imposantes. Le sol de sable et de pierres portait les traces du temps. L’ombre des statues apportait un peu de fraîcheur, mais l’air restait sec et lourd, avec les temples au bout, massifs et silencieux. Mais, il eut beau regarder, il ne vit rien de particulier. D'ailleurs, ils étaient déjà venus ici par le passé à l'époque où cette affaire se nommait XX25. Découragé, il se dit que s'il y avait quelque chose, n'importe qui l'aurait déjà trouvée.

- Qu'est-ce qui a bien pu m'échapper? Se demanda t-il à haute voix.

Thomas ne sut que répondre à cette question qui ne lui était pas adressée, de toute façon. Mais, il fit un effort pour aider son collègue dans sa réflexion.

- Tu m'avais parlé du jour d'Isis. Est-ce que ça pourrait aider?

Phillipe le regarda un instant qui sembla durer une éeternité à Thomas. Puis, un sourire fendit les lèvres de Phillipe. Comment cela avait-il bien pu lui échapper? Il ne pouvait s'agir que de ç!a.!

- C’est ça..., murmura-t-il, plus pour lui-même que pour Thomas.

Thomas, qui s’était tenu à l’écart pour lui laisser de l’espace, s’avança avec curiosité.

- Tu as trouvé quelque chose ?

Philippe pointa l’ombre d’un des colosses, qui semblait dévier légèrement de son orientation habituelle. Il se tourna vers son collègue avec une excitation palpable.

- L’alignement des étoiles, l’ombre des statues... Tout s’h~~ligne, armonise~~ parfaitement Thomas. L’ombre exacte d’une statue ne touche pas le sol à cet endroit en temps normal. Mais aujourd’hui, avec l’alignement des planètes, cette ombre marque un point précis à exactement 60 mètres entre les deux temples.

Il suivit l’ombre projetée et s’agenouilla, grattant le sol avec sa main, dévoilant une pierre dissimulée sous le sable. Après quelques instants de recherche fébrile, il sentit une légère irrégularité sous ses doigts. Il poussa la pierre, et un bruit sourd résonna. Un léger tremblement se fit ressentir et d'un coup le sol se creusa doucement, laissant passer une stèle qui émergeait lentement du sol. La stèle portait des inscriptions et des symboles qui ne correspondaient à aucun langages connus des deux hommes.

Tandis que Phillipe observait la scène, subjugué par tant de mystère, il sentit le contact d'un métal froid à l'arrière de son crâne. Il se retourna et vit Thomas qui le tenait en joue.

- Qu'est-ce qui te prend, Thomas? Demanda t-il les yeux écarquillés d'angoisse.

- Je me rends compte que je n'ai plus beaucoup de temps. Alors, autant que tombent les masques.

- Je ne comprends pas.

- Il n'y a plus rien à comprendre, mon ami. Tu m'as été utile mais maintenant, je n'aurai plus besoin de toi.

Déboussolé par la fatigue, ses questionnements et finalement cette soudaine trahison, Phillipe se sentit défaillir. Mais, il trouva la force de défier Thomas.

- Aie au moins la décence de t'expliquer.

- Cela ne te sera pas utile mais si tu y tiens. Que veux-tu savoir?

- Tout.

- Ok.

Thomas ou plutôt l'homme qui portait ce nom prit une pause comme s'il rassemblait ses pensées se lança dans une explication des plus étonnantes.

- Plus de 4000 ans que nous attendons. La volonté d'Akhêm-Râ a été transmise de génération en génération jusqu'à moi, son descendant direct. Je ne sais pas comment mais les Rrusses étaient au courant et j'ai dû faire profil bas pendant des années. Il me fallait une couverture et je l'ai trouvée en ta personne, Phillipe. Toi, tu faisais ton cryptologue et moi, comme d'habitude je jouais au vulgaire garde du corps d'un profanateur.

La lumière se faisait d'elle-même dans l'esprit embrumé de Philippe ~~prof profe~~ qui comprenait mieux l'horreur d'une situation vieille de 15 ans. Alors, pendant des années, il avait partagé~~eait~~ le cercle d'un homme qui le détestait et le méprisait.

- Bien sûr. J'avais besoin de toi. Toute ma vie n'a été que secrets.

- Tout ça n'était donc que mise en scène.

Thomas sourit. Un sourire de satisfaction. Une satisfaction malsaine.

- Oui. Tout. À commencer par les évènements d'il y a 15 ans. Et mon pseudo n-fils, de même que l'homme au crâne rasé ne sont que des agents à mon service. Il me fallait te faire agir vite d'une façon ou d'une autre tout en préservant ma couverture à l'approche du jour d'Isis.

- Et Élise?

- Élise? Elle est en vie. Tu dois t'inquiéter pour toi.

Une brève sensation de soulagement traversa Phillipe. Élise n'était pour rien dans cette histoire. Au moins, cet aspect de sa vie était réel...

- J'ai joué le tout pour le tout. T'approcher devenait de plus en plus dangereux. Les Rrusses me surveillent. Alors, j'ai tout mis en place pour tromper les vigilances mais aussi et surtout pour te pousser à m'aider.

Phillipe ne dit rien. Il était occupé à comprendre comment il avait pu cotôyer un esprit aussi tordu sans s'en rendre compte. Il émergea de ce labyrinthe mental pour orienter la conversation.

- Et maintenant, que vas-tu faire?

- Activer la stèle à l'aide de mon ADN. Et les ondes cosmiques qui traversent l'univers à l'instant feront le reste.

- Le reste?

- Oui. Reconfigurer le génome humain.

- Ça ne t'est jamais venu à l'idée que cela pourrait détruire l'humanité? Après tout, toute cette histoire semble être de la folie.

- Tu n'as pas...

Une détonation venait de retentir. Saisi, Phillipe chercha d'où provenait le bruit et son regard s'attacha à Thomas qui avait porté sa main à sa poitrine. Ce dernier regarda sa paume maculé de son sang et il comprit que la mort était à ses portes. Il essaya d'avancer vers la stèle mais une seconde détonation retentit. Il reçut ce second projectile en plein front. Alors, il s'effondra, les mains tendues vers la stèle, son objectif perdu.

Phillipe essayait de comprendre ce qui se passait. Son ancien compagnon gisait là, sans vie alors qu'un instant plus tôt, il était sur le point de faire basculer le destin de l'humanité. Il scruta les environs et iIl vit au loin un scintillement. Il comprit qu'il s'agissait du canon d'un sniper probablement. Un sniper russe, peut-être? Il se demandait s'il était le prochain visé mais après quelques minutes, il se rendit à l'évidence; Thomas seul intéeressait ce mystérieux sniper. Il se fit à l'idée et s'éloigna de la stèle maudite.

Sur le sable chaud, le sang de Thomas, porteur de l'ADN clé coulait lentement vers la stèle.

-Épilogue-

Pour la première fois depuis des mois, Philippe, maintenant guéri de ses blessures psychologiques, sortait en amoureux avec Élise. L'affaire XX25 était désormais enterrée, et sûrement Thomas Jenkins l'était aussi. Dans ce petit restaurant bondé, il savourait un délicieux mets en compagnie de sa tendre moitié et s'efforçait de ne pas penser à cette histoire. Bien que n'étant plus hanté par celle-ci, il se posait encore et toujours de multiples questions qui demeureraient sûrement sans réponses. Les Premiers avaient-ils jamais vraiment existé ? Si oui, qu’étaient-ils réellement ? Comment des hommes pouvaient-ils livrer leur vie à une cause qui, de toute évidence, était une imposture ?

Élise vit que son conjoint était préoccupé. Elle essaya de le ramener à la réalité de leur merveilleux moment.

— J'ai besoin de toi, ici et maintenant, Philippe.

Philippe ne comprit pas tout de suite. Il regarda Élise d'un regard vide, le temps que son cerveau assimile l'information. Puis, il comprit, et son visage s'illumina d'un large sourire.

— Toujours là pour toi, ma chérie.

Élise ricana gentiment et s'excusa pour s'éclipser aux toilettes, le temps de se refaire une beauté. Philippe, quant à lui, allait se replonger dans ses questions quand une ombre pénétra furtivement son champ de vision. Il reporta son attention sur l'homme élancé qui venait de s'asseoir en face de lui. Une seule question lui vint à l'esprit : Pourquoi maintenant ?

— Faites ce que vous avez à faire, lâcha-t-il, découragé.

Il se disait que les Russes n'allaient plus l'éliminer puisqu'ils en avaient déjà eu l'occasion et ne l'avaient pas fait. Mais maintenant que cet homme vêtu de noir était assis, impassible, en face de lui, il se fit une raison : la mort frappait à sa porte.

— Que savez-vous vraiment, Philippe ? demanda l'homme avec un fort accent russe.

— Vous n'allez pas me tuer ?

— Tout dépendra de vos réponses, Philippe, ou plutôt devrais-je dire Theobald Falkner.

— Je ne sais que ce que Thomas m'a dit de l'affaire.

— Ça veut dire presque rien.

L'homme se leva, prêt à partir, quand Philippe se risqua à lui poser une question.

— Pourrais-je savoir pourquoi cette affaire a pris tant d'ampleur ? Il ne s'agissait que d'un banal décryptage à la base.

Le regard fixe et dur, l'inconnu hésita un moment, puis se résolut à répondre.

— Vous serez l'un des seuls à partager le secret. Les Premiers sont vraiment venus sur Terre. Et ils comptaient réellement faire ce que Thomas vous a dit. Mais ils ont changé d’avis en voyant l’évolution de l’humanité. C’est tout ce que vous pouvez savoir.

Saisi par cette réponse qu’il n’attendait pas, Philippe persista.

— Comment pouvez-vous savoir ça ?

L'homme s'éloigna sans lui répondre et sortit du restaurant, le pas étrangement léger pour un si corpulent personnage. Philippe, les yeux fixés sur l'homme qui s'éloignait, ne réalisa pas que le restaurant reprenait vie, comme si les gens autour de lui avaient été endormis. Élise reparut et s'assit en face de lui, préoccupée.

— J'ai eu une absence aux toilettes. C'est bizarre. Tu crois que je devrais consulter ?

Philippe ne répondit pas. Subjugué par l'inconnu qui s'était volatilisé, il venait de se rendre compte que tout le monde autour de lui avait, en effet, les yeux hagards, comme s'ils ne savaient pas où ils étaient ni comment ils étaient arrivés là. Tremblant de peur, il s’efforça de regarder Élise pour intégrer la conversation qu’elle voulait entamer.

— Oui, chérie. Je crois que tu en auras besoin.

- Fin -