D'ordinaire, monsieur Luc Leblanc était calme et réservé. Il se contentait de suivre les règles élémentaires du quartier : un gazon bien vert et bien taillé, des haies entretenues, quelques fleurs des deux côtés de la porte d'entrée ainsi qu'un asphalte propre et bien entretenu.

Anisette, sa voisine, avait toujours espéré conquérir le cœur de son voisin. Chaque fois qu'il était dans les parages, elle se faisait belle et s'organisait pour le croiser. Chaque fois, elle lui disait : ''Ce doit être un signe du destin''. Luc, en gentlemen, lui retournait les politesses avant de se refermer comme seuls savent le faire les hommes de grandes responsabilités.

Récemment, tout avait changé. Maladroitement, Luc lui faisait la cour. Déboussolée, Anisette ne savait pas comment interpréter ce revirement de situation. Jamais, au grand jamais, elle ne s'était offerte facilement à un homme. Elle était une femme de principes. Elle avait sa gradation propre : discussions inopinées, café en après-midi dans un lieu public, sortie au cinéma à 18 h, souper au restaurant à 20 h, balades répétées dans les rues de la ville et après plusieurs mois de cette danse nuptiale, le baiseré au pied de la porte.

Luc, lui, n'avait guère le temps pour toutes ces flagorneries. Il avait 55 ans, mais il avait surtout un cancer incurable. Six mois devaient s'écouler avant qu'il ne commence à subir les effets délétères de sa maladie. Il voulait vivre ses derniers jours à fond.

Il s'en voulait même d'avoir été toujours parfait, d'avoir toujours suivi les règles. Son plus beau souvenir, c'était cette nuit torride avec une fille du collège : Myriam. Quels beaux cheveux roux, quels beaux yeux verts et quelle nuit, il faut le dire! Mais cette histoire ne fut que cela, une histoire d’une nuit. Myriam avait la réputation d’être volatile et Luc d’être studieux.

N'ayant pas le temps pour les jeux d’Anisette, il céda aux charmes d’une annonce Facebook. Il voulait rencontrer la belle rousse de la photo. L'homme au bout du fil l'a toutefois déçu.

- La rousse sera libre dans quelques jours seulement. À eux seuls, ses seins fraîchement refaits valent l’attente. D’ici-là, j'ai la plus belle des blondes pour vous.

Voyant que Luc hésitait, l'homme, qui insistait pour se faire appeler Tony ton boys, lui fit une proposition qu'il ne pouvait pas refuser. Trois jours avec la blonde, gratuitement, et après la rousse était à lui. Le tarif était dérisoire : 10 000$ pour les sept jours.

Luc passa de bons moments avec la blonde. Certes, elle se montra athlétique et entreprenante, mais également attentionnée et intéressée à sa vie, au point qu’en quelques nuits seulement, elle sut tout de la vie de son hôte.

Satisfait de ses derniers jours de concubinage, le cinquantenaire lui promit un pourboire substantiel. Le soir de son départ, il tint sa promesse et lui transféra 7000 $ sur son compte personnel. Après, il paya immédiatement Tony ton boys pour les jours à venir.

Les adieux furent de courte durée : la rouquine éclipsa la blonde dès qu’elle mis les pieds hors de la Mercedes. Certes, elle était un peu plastique, mais tout de même, quelle bombe! Le 2e soir, après des préliminaires plus qu'intéressants, elle sortit des menottes de son sac. Elle attacha Luc à son lit et lui dit :"Je vais mettre un costume que tu n'oublieras jamais''.

- Juste ta poitrine me suffit, répondit-il, en pensant qu'au moins sa fortune lui aura permis de vivre quelques émotions fortes avant sa mort.

Il n'aurait pas pu mieux dire : de retour dans la chambre, la rouquine portait le déguisement de la femme chat. Elle tenait deux coupes dans ses mains. ‘’Les meilleures bulles qui soient’’, a-t-elle dit~~-elle~~ en versant le précieux liquide dans la bouche de son soumis. Elle prit une gorgée à son tour et lorsque Luc s'assoupit, elle inspira:

Le vrai travail commence.

Elle sortit son portable et avec les informations recueillis par la blonde, elle pirata le compte bancaire de son hôte.

100 000 $ sans même s'être fréquentés une semaine, jackpot!

****

Depuis qu’il avait vu la publication de la police de Sainte-Adèle, Louis était turlupiné. Il avait des informations, mais pas assez pour aider les forces de l’ordre, évalua-t-il. Après sa journée de travail, bien assis dans son canapé, en buvant son scotch Club Saint-James, il tomba sur le bulletin télévisé du soir. Un homme des Laurentides avait été victime d’une arnaque. ‘’Je vais en savoir plus’’, se dit-il. Il monta le volume alors que la voisine de la victime, Anisette, témoigna : ‘’ Luc est un voisin adorable. J'ai tout de suite compris qu'il se passait quelque chose de louche quand j'ai vu la Mercedes noire faire des allées et venues répétées chez lui’’. L'intervenant suivant était M. Leblanc : ‘’J'ai perdu plus de 100 000$, mais je suis toujours en vie! Évitez les annonces coquines faites par de belles rousses! Que j’ai été bête! ’’, peina-t-il à dire, encore sous le choc. Le journaliste conclut son reportage en expliquant que le numéro de plaque était un faux et que l'argent était désormais intraçable, les fonds ayant été transférés en bitcoins.

Louis sauta immédiatement hors de son canapé. Il laissa un fond de scotch dans son verre, ce qui était inhabituel chez lui. Une fois dans sa voiture, il figea lors qu’il comprit que c’était inutile d'aller au Ritz, car l'homme à la Mercedes contrôlait l'endroit. Il eut alors un éclair de génie. Avec le main libre, il appela M. Leblanc.

Luc, vous allez bien?
Oui, merci. Heureusement, je n’ai pas de blessures physiques. Je ne m’attendais pas à votre appel...
Pardonnez-moi ma question directe, mais la rousse avait-elle un tatouage sur la jambe gauche?
Oui, pourquoi?

Louis avait déjà raccroché. Sa station de radio préférée, RadioZ, reprit le relais.

Le Popeye à l’air, le gars voit son argent transformé en bite-con, lança l'animateur dans une marée de rires gras.

Frustré, Luc ferma l'appareil directement et poursuivit sa route vers le gym. Une fois arrivé, il fonça à l'accueil.

Marie, j'ai besoin de toi.
Tu es garé en double, mon cher... Quelle femme veux-tu séduire cette fois-ci?
Ce n'est pas pour une conquête, c'est pour une enquête. Un ami à moi a été enfirouapé par une belle rousse.
Si c'est celle à qui je pense, dommage, elle est venue hier. Elle a payé son année complète et elle a exigé de fermer son compte. Misère, que se passe-t-il?
C'est trop long à expliquer. Les serveurs n'ont toujours pas été mis à jour à cette heure, donc l’info est là quelque part, allez fait un effort et trouve-moi quelque chose.

L'adresse en main, Louis ébaucha un plan. À deux pâtés de maisons de la demeure de la rousse, il téléphona à la police et expliqua avoir trouvé le repère d’une des complices à la Mercedes. En raccrochant, il promit au policier qu’il n’allait pas poursuivre ses démarches. Bien entendu, il fit le contraire. Il ne s’était pas donné tout ce mal pour arrêter si près du but. Il monta donc les escaliers et sonna à la porte. Contre toute attente, il reconnut la femme qui ouvrit.

- Léa!

- Louis? Que fais-tu ici? Ça doit bien faire 30 ans!

- Je cherche quelqu’un, mais je me suis certainement trompé. Je suis heureux de te revoir, mais un peu stressé en ce moment.

- Qu’est-ce qui ne va pas? Je pourrais peut-être t’aider?

À ce moment, une belle rouquine aux cheveux bouclés, aux seins bombés et à la jambe gauche ornée d’un tatouage en forme de coeur passa dans le corridor près de l’entrée et demanda à sa mère d'un ton enfantin :

Qui est cet homme maman?

Et celle-ci lui répondit :

Ton père ma chérie...