Scène 25 – Poésie provençale

De la Picardie pluvieuse, s’éloignant d’Abbeville, Josh rejoignit la A16 après Amiens jusqu’à la sortie E17 et suivit la direction de Lyon. Au bout de 199 km, la Porsche 356 de l’année 1964 au classique gris Schiefergrau, suivit la D994 et l’amena vers l’ensoleillé petit Pont Saint-Esprit. Il s’arrêta à Montclus. Enfin.

Il ouvrit la grille du jardin qui n’est toujours pas automatique, le charme à l’ancienne, se disait-il chaque fois qu’il tournait difficilement la longue clé dans la serrure en bronze vieilli et stationna sa voiture à gauche, sous un mûrier chinois qui déployait ses larges feuilles au bout de ses longues branches tortueuses. Provençal.

Sur le porche aux quatre marches de pierres usées par les nombreux siècles, Gertrude, sa vieille nounou et fidèle gardienne l’attendait avec sa robe fleurie Laura Ashley d’époque, les bras accueillants et généreux.

- Mon tou’ptit, lui lança-t-elle de sa voix aigüe avec l’accent du sud-est, chantant. Tu as fait bonne route, dis ?

- Bonjour ma Gertrude, quelle joie de vous voir ! Cette route ! ...Interminable !

- Rentre vite. Ton rosé est frais et le saucisson de Monsieur François est bien sec. Je t’ai acheté les pélardons* du Mas de Genêt, tes préférés...

La chaleur était écrasante malgré la timide brise. Les cigales, heureuses, chantaient merveilleusement. Les cyprès centenaires offraient méticuleusement leurs ombres.

D’un pas enthousiaste, Josh entra dans la maison. Une maison de famille, grande maison seigneuriale bâtie à l’époque médiévale par son ancêtre Pons Fabre d'Uzès, joyeux troubadour, en pierre blanche et granit. Agrandie à la Renaissance par un suiveur de Philibert Delorme, on trouvait - dans la région - que c’était « un bel ensemble architectural composite », remarquable effectivement par la variété de ses styles et des époques de sa construction. Il aimait cette élégante maison. Beaucoup. Il avait passé son enfance jusqu’à son adolescence dans ce petit village perché, Montclus, Monte Cluso ou Montis Clusis, selon les siècles -un des plus beaux villages de France- à jouer sous le pont du Moulin, à se baigner dans la Cèze, cette rivière du Gard, creusée de gorges, qui coule en Occitanie, autre affluent du Rhône, à courir dans les vignes et les champs - à perte de vue - de lavande, à se cacher dans les collines verdoyantes, à créer avec ses petits camarades régionaux des chasses aux trésors dans les vestiges de l'ancien monastère bénédictin troglodytique et à travers les vieux passages voûtés qui circulent autour des ruelles moyenâgeuses. Déjà aventurier, il décida d’en faire une carrière une fois adulte qui l’amènera à parcourir le monde et les chasses...aux missions. Miranda, Eric, Marcelo, Xavier, Abdoulaye seront ces nouveaux mousquetaires.

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* Le pélardon est un très petit fromage au lait cru de chèvre de la région du Languedoc

Scène 26 – Reuters, Breaking News

PORT-AU-PRINCE (Reuters) - « Un responsable de la sécurité du président haïtien a été arrêté par la police, qui le soupçonne d'avoir participé au complot ayant mené à l'assassinat de Jovenel Moise. » informait La Tribune dans son édition du matin. L’enquête dévoile que le crime fut organisé par un « commando composé de vingt-six colombiens et deux américains d'origine haïtienne ». De nombreuses questions restent sans réponse quant à savoir qui est à l'origine de l'assassinat et comment les tueurs ont pu avoir accès au domicile du président. Vraiment ? ironisa Josh en sortant de la douche. Il savait que Baptiste continue en parallèle son enquête privée…

D’autres témoignages d’artistes ou d’intellectuels confirment cette peur incommensurable du peuple haïtien, l’instabilité et la violence qui règnent dans le pays poussent ainsi la population à migrer vers l’Amérique Latine, l’Europe et même les États-Unis.

Les obsèques présidentielles, lisait-on, ont été sous haute tension toute la journée puisque des violences ont éclaté et des tirs d’armes à feu ont retenti à l’extérieur de l’enceinte où se déroulaient les obsèques, “forçant le départ précipité de certains participants dans des nuages de gaz lacrymogène lancés par les forces de l’ordre”. Ambiance, murmura Josh en optant pour une tenue estivale, short et polo d’une vieille collection Ralf Lauren. On apprend aussi que le cercueil de Jovenel Moïse, recouvert du drapeau national et de l’écharpe présidentielle, avait été exposé sur une esplanade, dans la métropole Cap-Haïtien. L’office religieux a été assuré par cinq prêtres. Puis, le corps a été enterré en petit comité dans l’intimité des jardins de la résidence familiale. Finalement.

Scène 27 – Feu non-d’artifice

Marcelo avait tourné à droite en direction de la colline de Tambi-Yargo pour faire diversion. Pour rien. Abdoulaye avait eu raison. Comme souvent.

Newton savait. Newton les avait bien repérés. Ces petits protégés de la têtue Miranda avait-il dû se murmurer, sourire aux lèvres, mégot au bec, sous une barbe jaunie, roulant à travers les sèches cendres terreuses de l’ingrat paysage de cet immense continent.

Après que Marcelo avait subitement stoppé net la Rover sur l’accotement dans un nuage de poussière, que l’instant tendre de surréalisme viril fut passé, que leur avenir survivrait à la complexité masculine, aux questionnements irréversibles de leur masculinité, leurs coutumes, de leur virilité, éducations, tolérances en discontinues ou pas, sans dire un mot, les regards fixes sur le paysage africain d’où surgissait parfois des girafes insolentes, des troupeaux de Gazelle de Grant sautillantes ou des phacochères armées de leurs deux cornes dirigées vers le haut, sorte de sanglier de savane, ils redémarrèrent sur la route aride et unidirectionnelle vers l’horizon précis. Mission.

La chaleur insupportable -même pour un natif comme Abdoulaye- écrasait sa lourdeur partout dans le pays. Ce pays appartient à ce qu'on appelle communément la zone soudanaise de type tropical, à part le Nord qui est une zone sahélienne... Et la saison sèche dure environ huit mois. Ils la traversaient, la subissaient, la vivaient.

La jeep s’approchait de l’aéroport, la signalétique désuète indiquait - comme partout dans le monde où se trouve un aéroport- les gates, les compagnies aériennes où doivent commencer les voyages des voyageurs.

Sur l’ordre de Miranda, Marcelo arrêta le 4x4 en pleine savane, à 3km du hangar 8. Son toit miroitait sous les forts rayons solaires. Ils remarquèrent qu’une agitation inhabituelle d’hommes semblables aux troupeaux de la faune locale, comme un mélange de rhinocéros dégrossis et d’antilopes enveloppées, s’excitaient dans tous sens, envahissant le tarmac, terrifiant les manutentionnaires reconnaissables à leurs gilets zébrés orange et noir. Une agitation inhabituelle.

- Tu as rencontré Antonio Guterres ? demanda Marcelo en prenant la paire de jumelles Bushnell Nitro sur la banquette arrière, en essayant d’apercevoir la mallette ou Newton.

- Oui, bien sûr ! répondit Abdoulaye d’une voix sûre. J’ai accompagné en 2016 Amina J. Mohammed dans une mission au Nigéria sur un projet spécial pour promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes et aussi à assurer un environnement humain durable au sein d’OMD...

- Ah oui, le Millennium Development Goals. Deux de ses objectifs... Bravo jeune homme !

Abdoulaye sourit fièrement et sortit méticuleusement de son étui le téléobjectif binoculaire thermique Pulsar Accolade 2 LRF d’une portée de 4800 mètres environ. Il savait très bien que l'abréviation LRF pour Laser Ranger Finder pouvait grâce à un télémètre intégré lui permettre de mesurer instantanément la distance qui le séparait de son sujet. De ses sujets. Avec une définition plus que précise de 1640x1480 pixels et un enregistreur vidéo intégré -de jour comme de nuit- grâce à l'infrarouge qui détectait tout mouvement, les cibles n’avaient aucune chance de lui échapper. Il avait découvert -lors d’une précédente mission en Polynésie- que l’engin avait aussi une fonction streaming qui rendait possible la connexion via un réseau Wifi et permettait la diffusion en ligne des images capturées directement sur You Tube. Miranda adorait. Josh en raffolait.

La mise au point faite, il s’assura que Marcelo avait mis hors contrôle le véhicule. Stabilité, silence, il commença à shooter.

Et là... sans indice apparent, subitement, surprise impensable ; une gigantesque méga explosion explosa. Terrifiante, éblouissante. Des flammes rouges, oranges, indigo, vertes, violettes, telle une aurore polaire en plein désert dont seul un phénomène si lumineux peut revêtir la beauté ou… l’horreur.

Tous disparurent, tout disparut sous l’œil en télescope. Effrayant. Dantesque. Terrorisant.

Marcelo aux réflexes conditionnés ordonna à Abdoulaye de continuer à filmer. Moment monstrueux du présent. Il envoya à l’équipe basée à Ouézzin-ville et en Europe un message vidéo live :

« THE END : mission avortée - misión abortada - mission aborted - misheni imetolewa ».

Stupéfaits ils étaient. Abasourdis. Surtout. Ils restaient là sur cette route sauvage. Seuls. Tous les deux, désertiques. Il ne restait plus rien. Rien de vivant. Rien. Sauf des débris. Débris fusant de partout, en vol tels des fusées de bois, de tôle. Tel surtout un affreux feu d’artifice incontrôlable. Indésirable. Brusquement un morceau - jaune- déchiqueté, en flamme, vint atterrir sur le pare-brise brûlant instantanément les essuie-glaces.

Le téléobjectif continuait sa mission et diffusait en live sur les appareils cellulaires de chacun la catastrophe para militaire. Catastrophique.

Scène 28 – Une piscine dans un verre

Miranda était arrivée quelques heures plus tard, en début de soirée, juste à l’heure pour apéro si attendu. Anxieuse, elle était. Cette mission -depuis le texto de Newton reçu en mai- ne lui apportait aucune assurance ni confiance et son inquiétude envers Marcelo pour qui elle était si intimement attachée devenait insupportable. Aussi pour Abdoulaye, ce gentil collaborateur, nouvellement arrivé dans l’équipe qu’elle appréciait justement pour ces qualités naturelles et son expérience sur le terrain africain. In-tranquilité.

Elle avait -donc- précipitamment quitté ses amis où elle loge à chacun de ses séjours dans l’oppidum de la Celtique méditerranéenne. Cette Arles, ce lieu stratégique aux portes de la Camargue.

Tout au Collatéral - dans cette église du XVIIe siècle revisitée- produit du sens et fait sens, en pleine résonance avec l’époque. Brutaliste, frondeur, généreux, austère, lumineux, arty, convivial et mystérieux sont les qualificatifs qui achoppent ou s’opposent pour définir ce qui est maintenant une maison-hôtel.

Qu’on se le dise ! criait en couleur criarde la devise de Anne-Marguerite et Philipp, d’anciens londoniens du monde de la pub et de la finance, propriétaires heureux de ce lieu inclassable, de ses lettres attachées sur le mur du gigantesque hall d’entrée.

Miranda devait rejoindre Josh. La situation était critique et délicate. Ses nombreux échanges de courriels avec les hautes directions internationales lui donnaient les preuves tangibles et irrécusables de la délicatesse de chaque décision, de chaque geste et la rendait - pour une fois- fébrile quant à l’aboutissement de cette mission. Géopolitique.

Entre Arles et Montclus, les départementales sinueuses et encore bordée de platanes, telle l’image d’une France provençale, vue et filmée maintes fois par des réalisateurs de cinéma d’un autre âge, longent la Cèze depuis le Rhône arlésien. Miranda conduisait vite, virages compris. Les paysages s’effilochaient derrière les aillerions de sa voiture de sport ; des pins parasols, des cyprès, des oliviers, des chênes verts, des champs de lavandes et de tournesols paradaient dans une collection de couleurs tels des petits mannequins endimanchés sur les podiums agricoles.

La montée du village la calma. Elle envoya à Josh un court message de son arrivée imminente. Gertrude ouvrit le portail au moment même où la 911 pointa son capot rouge. Elle la gara à droite sous l’autre mûrier chinois qui déployait aussi ses larges feuilles au bout de ses longues branches tortueuses. Car’s collection.

Gertrude l’embrassa de ses gros bras généreux et l’invita à passer directement au jardin, à l’arrière de la maison où des hectares de garrigues proposait la liberté savoureuse des parfums délicats si uzétiens. Josh l’attendait sous une des tonnelles, celle ombragée de jasmin avec un énorme verre ballon de Crément rosé et de nombreux glaçons.

- Une piscine ! s’écria-t-elle. Guapo tu es merveilleux lui lança-t-elle lascivement dans l’oreille alors qu’il l’embrassa amoureusement dans le cou.

- Viens...Assis toi...y Salud !

- Je suis épuisée.

Les verres dentelés chantèrent, les bulles roses rayonnaient, ils s’allongèrent sur les longues chaises en rotin tressé, dans un état toujours impeccable malgré les années déjà utilisées par les arrière-arrière-grands-parents paternels.

- As-tu regardé les vidéos d’Abdoulaye et les messages de Marcelo ? lui demanda Josh d’un air sérieux

- Non, je conduisais...répondit-elle d’un air excédée

- Incroyable... inimaginable, regarde !

Josh cliqua sur son iPad et les images apparurent violemment.

Miranda fixait l’écran, but une longue gorgée. Puis deux. Son visage se décomposait entre chaque gorgée. Un « Oh la vache » sortit de sa bouche puis « Putain ».

Josh la regarda.