À son réveil le lendemain matin, Camille se glisse subrepticement hors du lit. Elle enfile ses vêtements de la veille, son manteau et ses bottes avant de sortir discrètement à l'extérieur. Elle aspire une énorme bouffée d'air frais. Elle sent l'oxygène qui ravitaille chaque particule de son corps.

Malgré le temps maussade, Camille sourit. Elle a du pain sur la planche aujourd'hui. La nuit précédente est déjà un lointain souvenir. Jasmine et elle avaient tenté un rapprochement sans jamais aborder le vif du sujet. On aurait dit deux boxeuses peu enclines à en venir aux poings dans le ring. Elles s’évaluaient l'une et l'autre avec des propos vagues, sans âme. Ce fut une nuit courte et froide. Chacune de leur côté du lit.

Camille embarque dans sa voiture. Un vieux hit d’Elvis Presley retentit dans l'habitacle. Une chanson sentimentale ne reflétant pas son état d'esprit, elle enchaîne avec du Jimi Hendrix. Sa guitare démente sera son phare du jour.

Il est encore tôt, à peine 7h. Néanmoins, Camille sait que son père, Paul, est debout. Il a enseigné à sa fille les vertus de débuter sa journée aux aurores. «Le moment doré de la journée», dit-il. Il profite de ces heures précieuses pour méditer, écrire, jogger. Il donne un sens à son quotidien. Camille n'a pas hérité de cette discipline spartiate, mais elle apprécie l'immobilité de l'aurore. S'asseoir avec un bon roman tôt le matin lui donne le sentiment de gagner le gros lot à la loterie du temps. Aujourd'hui est une journée charnière.

«Bonjour papa!». Camille lui donne un câlin d'ourse polaire.

Son père, dans l'embrasure de la porte de sa coquette maison, affiche un large sourire. Il adore sa fille. «Raconte-moi».

Assise dans le salon, une tasse de thé à la main, Camille se confie. Elle a tôt fait de relater ses états d'âme.

Elle connaît son père. C'est un homme de peu de mots. Par son silence et son sourire engageant, il ouvre un espace bienveillant à son interlocutrice. Celle-ci sent son esprit prendre de l'expansion. Tout est clair dans sa tête.

À l'issue de la discussion, Paul comprend que sa fille prendra des risques aujourd'hui. Ça ne sert à rien de tenter de l'en dissuader.

«Écoute ton cœur», lui lance t-il, alors qu'elle se dirige vers sa voiture.

La pluie se met à tomber alors qu'elle roule sur l'autoroute. Il en faudrait bien plus pour affecter l'humeur de Camille. Elle est en mission. L'objectif? Se libérer.

Son téléphone sonne. Jasmine. Pas de place pour les distractions. Camille laisse sonner. Un message texte de Jasmine: «J'ai quelque chose à te dire.»

«Ça attendra.», se dit Camille.

Elle arrive bientôt à destination. Un cabinet d'avocats. Lebon & Fils. C'est ici que Camille travaille depuis huit ans. Elle s'était lancée en droit avec l'espoir de devenir la justicière de la ville. La magouille avait eu raison de son enthousiasme. La désillusion était totale. Les discussions avec ses patrons ne lui avaient attiré que des sarcasmes.

Aujourd'hui, c'est la dernière fois qu'elle met les pieds dans cet endroit immonde.

Camille salue distraitement la réceptionniste. Elle se dirige vers le bureau de Mr Lebon. Elle sait qu'il n'y est pas ce matin. Elle utilise sa clef pour entrer avant de refermer doucement la porte derrière elle.

Elle ouvre la porte de la penderie. Le coffre-fort est identique à ses souvenirs. Soucieux d'assurer sa loyauté, son patron lui avait naguère partagé la combinaison.

La petite porte métallique s'ouvre avec un déclic. Camille retient son souffle. Ces liasses de billets constituent le fonds d'urgence du cabinet.

Longue inspiration. Expiration interminable.

«Écoute ton cœur.»

Quelques minutes plus tard, elle est assise dans sa voiture. Elle tambourine sur le volant au rythme de Hendrix.