Un ciel sombre et sans lune, idéal quoi! Une journée chaude, humide, suffocante, suivie d’une brise fraîche qui souffle en continue depuis l’orage survenu en fin d’après-midi… Une soirée parfaite pour laisser les fenêtres ouvertes… c’est tout bon!

Georges Girard, suant dans le noir, s’avance le cœur battant vers une fenêtre éclairée au bout d’un jardin… Se surveillant sans cesse afin d’empêcher ses pas de faire du bruit, il avance patiemment sous les frondaisons fournies de ce milieu d’été.

Il y a belle lurette que son manège dure, il la trouve si belle! Il se souvient encore de la première fois où elle s’est présentée au café où il travaille, pour boucler ses fins de mois. Avec un sourire charmant et une gentillesse peu commune, elle avait commandé un latté à emporter, ainsi qu’un scone aux bleuets.

Georges avait commencé à surveiller l’heure à laquelle elle passait, afin d’être toujours présent pour la servir. Il s’était rendu compte, au fil des jours, qu’elle affectionnait particulièrement les scones aux bleuets et, il lui en réservait toujours une « frais du jour » dans un sachet sous le comptoir, au cas où… Parfois lorsqu’elle était accompagnée d’une copine, Georges tendait l’oreille vers leur conversation pour en apprendre davantage sur la jeune femme. C’est ainsi qu’il avait su son nom, Clémentine… quel prénom charmant! Puis son métier, psychologue. Un jour, elle avait échappé son portefeuille et, se précipitant pour l’aider, il avait fait main basse sur une de ses cartes d’affaires. Clémentine Chastenay. Puis, une chose en menant à une autre, fouiller sur internet, puis les réseaux sociaux… lui avait donné une adresse personnelle. Son cœur avait alors explosé de bonheur!

Évidemment, toutes ces démarches avaient pris des mois…

Georges est patient, très patient et, ce soir, il s’aventure dans l’inconnu pour en voir, en savoir encore davantage sur l’ÉLUE!

Il faut bien dire que Georges est un peu, beaucoup, fanatique et minutieux. Il prend soin de sa mère vieillissante et vit chez elle, encore sous sa gouverne. Cela l’énerve tellement! Cette vieille bique crie toujours sur lui comme s’il avait 5 ans. Parfois, il ne sait pas ce qui le retient de lui faire mal comme elle lui faisait mal, en le frappant avec le tue-mouches « pour ne pas se faire mal aux mains » comme elle disait. Elle le traitait comme de la merde, ne cessait-il de se répéter pour s’en convaincre.

Ce soir, il touche à son but… tendu à l’excès… une voix? « LA sienne » le guide cœur battant. La fenêtre est toute grande ouverte. Georges allonge le cou, il la voit de dos, elle parle dans son portable s’appuyant au chambranle de la porte donnant sur la cuisine au fond du salon. Un sourire bête se fige sur ses lèvres… c’est ELLE! Sa voix enfle, elle semble en colère. Il ne l’a jamais entendue ainsi. Elle est contrariée et raccroche en disant: « Et puis, zut! »

En un mouvement de panique, il heurte le cadre en se reculant et s’immobilise aussitôt le souffle court, s’attendant à être pris en flagrant délit… Clémentine continue son soliloque volubile et ne se rend compte de rien. Alors, au bout d’un moment, il recommence à bouger vers l’avant pour l’apercevoir à nouveau…

Apparemment, ce sera tout pour ce soir. Elle s’est réfugiée dans la cuisine et il n’ose pas demeurer sur place plus longtemps. Georges s’en retourne vers sa voiture. Il l’a garée deux rues plus loin près d’un parc mal éclairé, discrétion oblige! Mieux vaut être trop prudent que pas assez!

Somnolant au salon tous les soirs en l’attendant, sa mère l’apostrophe dès son arrivée:

« D’où viens-tu sale moutard? - Oh m’am, lâche-moi les couilles! - Tout l’portrait de ta saleté de père! Tu me fais coucher tard à rentrer à pas d’heures! » Saleté de moutard, marmonne-t-elle encore pour elle-même, en prenant la direction de sa chambre.

Georges se dit que le jour où elle mourra, il fêtera sa délivrance en s’enivrant solide!

Sur ce, il prend la direction de son lit en rêvant de Clémentine, moins chiante celle-là!

Sur son lit aux draps froissés, il se laisse tomber tout habiller. L’hygiène n’est pas son fort, surtout le soir quand il se sent si fatigué… et avec cet accueil en plus! Vieille bique! Ses trois frères et ses deux sœurs ont fui la maison familiale le plus loin possible dès leur majorité. Pas surprenant! Lui, il n’a pas su faire… Il ne sait pas trop pourquoi? La peur de l’inconnu? La naïveté, la lâcheté? Georges ne se pose plus trop la question maintenant, il attend sa délivrance.

***

Clémentine coupe sa conversation téléphonique brusquement et se précipite dans la cuisine en bougonnant. Espérant qu’un thé chaud la calmera un peu… elle met l’eau à bouillir et mesure une cuillèrée de son thé vert préféré « perles de jasmin » dans sa tasse préférée.

Zut, à la fin, quand est-ce que ce mec lui lâchera les baskets?

Robert Gingras, un ancien client ne cesse de la rappeler même si elle l’a référé à un confrère, Jacques Vézina, psychiatre. Elle ne pouvait plus rien pour lui. Refusant toute introspection, l’homme d’une trentaine d’années a besoin de médicaments pour stabiliser son caractère bouillant et ensuite prendre des décisions réfléchies pour sa vie.

Décidément, si cela se produit encore, elle portera plainte à la police, même si cela lui semble inutile. Que pourraient-ils faire? Elle n’en a pas la moindre idée!

Se calmant un peu, elle téléphone au bureau de Jacques espérant lui laisser un message pour discuter du « cas » entre gens du métier… Débriefing !

Elle tombe sur sa boîte vocale. Elle se nomme et aussitôt Jacques prend l’appel:

« Clémentine, long time no see, qu’est-ce qui me vaut l’honneur de cet appel? »

Heureuse de pouvoir sortir son stress avant d’aller se reposer pour la nuit, elle déballe à Jacques tout ce qui s’est passé depuis qu’elle lui a référé Robert Gingras.

Il lui prête oreille attentivement puis, lui laisse savoir que le client en question ne s’est jamais présenté au rendez-vous fixé… il y a de cela quelques semaines…

Puis, la conversation roule vers des sujets plus personnels, il lui demande des nouvelles fraîches en dehors du travail et, cela étant, Clémentine raccroche plus calme.

Eh bien, ça me fait une belle jambe.! Il faudra que je demande conseil…

Sur ce, elle se dirige à la salle de bain, se disant que son rituel du soir lui fera le plus grand bien comme d’habitude. Le réconfort des petites habitudes, quoi!

En plus, ce soir, une douche fraîche sera immensément bienvenue.

L’eau tiède fraîche qui coule sur son corps las, lui donne le sentiment de renaître pour un instant.

Juste relâcher un peu, se dit-elle en soupirant. S’enroulant dans le drap de bain, elle a le goût de s’allonger sur le lit toutes lumières éteintes et de laisser la brise du soir finir de la rafraîchir. Elle rêvasse un peu et tout s’efface lorsqu’elle s’endort quelques instants plus tard…

La nuit lui apporte un sommeil agité… une course folle à travers un épais fourré qui s’ouvre sur une clairière au clair de lune… elle se sent observée mais ne voit rien bouger autour d’elle… soudain devant elle un visage lunaire avec de grands yeux bêtes et un sourire découvrant des dents jaunis, cassées… un sourire béat, béant! Un énorme ballon de baudruche qui représente une tête qui flotte devant ses yeux! Elle se remet à courir sans fin, la peur au ventre…

***

Jacques est tout heureux d’avoir eu des nouvelles de Clémentine. Ils se sont un peu côtoyés à l’Université par l’entremise d’un couple d’amis communs. Séparés depuis, Sébastien et Jeanne, ne sont plus dans leur cercle depuis plusieurs années déjà… Mais seul dans son salon, Jacques se remémore les bons souvenirs qu’il a de ces lointaines années et de sa rencontre avec Clémentine.

Cette soirée où, on lui avait présenté cette jeune étudiante de deuxième année, en psychologie, alors que lui commençait sa résidence en psychiâtrie. Clémentine était une amie de Jeanne elles suivaient le même cursus. Elle lui était apparue, sensible et attentive, un sourire gêné mais vrai. De grands yeux verts mordorés, ourlés de cils bruns, des cheveux auburn ondulés, coupés à la mâchoire. Un petit air sauvage et rangé à la fois. Plus petite que lui de quelques pouces seulement, silhouette élancée et souple.

Elle portait un jean taille haute et un chemisier court en dentelle qui soulignait sa taille fine.

C’était une soirée de septembre particulièrement chaude et il l’avait invité à l’accompagner pour marcher dans le parc juste à côté de l’apart des amis. Ils s’étaient assis sur un banc et avaient devisé tard dans la nuit, sans jamais retourner à la fête, il l’avait ensuite reconduite jusque chez elle.

Une de ces petites chambres meublée dans un immeuble vétuste qui abritait surtout des étudiants, avec cuisine et sanitaire communs.

Promesses de se revoir qui dans le brouhaha de leur vie respective s’était soldé par deux ou trois rencontres par an puis plus rien…

Finalement, il songea qu’il aimerait bien l’inviter de nouveau, un de ces quatre, et pris la direction de sa chambre. La journée avait été assez fertile en évènements, il avait besoin de repos.

***

Postée, derrière le plein jour à sa fenêtre en saillie, Monique Ouellette passe ses soirées à surveiller les alentours de sa maison et le parc mal éclairé qui fait face à celle-ci. Elle aime bien surveiller ses voisins, leurs allers et venues la distrait au plus haut point!

Ce soir, d’une drôle de bagnole rouille est sorti un bonhomme rondouillet, habillé de noir, qui a soigneusement fait le tour du périmètre tous phares éteints pour ensuite se stationner sous les arbres dans le coin le plus sombre du parc donnant sur la rue.

Elle se demande bien ce que mijote ce gars…il n’a pas l’air net!

Elle l’a même vu revenir au bout d’une demi heure, reprendre sa voiture et rouler, de nouveau, tous phares éteints jusqu’à l’intersection suivante, avant d’ouvrir ses phares de croisement pour se glisser dans la circulation de l’artère principale.

« Mais bon, maintenant, il faut que j’aille dormir, se dit la vieille pipelette, j’en ai assez vu pour

ce soir.»

Sa perruche, de sa cage recouverte pour la nuit, lâche un couac lorsqu’elle entend sa maîtresse traversé la cuisine comme pour lui souhaiter bonne nuit!

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Robert Gingras est insulté de s’être fait raccrocher la ligne au nez. Il faut qu’il la revoit, qu’il lui

explique « à cette bonne femme de psychologue » qu’il n’est pas fou… Il tourne et retourne dans sa tête des façons de se rapprocher, des façons pour lui faire comprendre… « Je ne suis pas violent! » Il ne veut pas rencontrer un homme, les femmes sont mieux pour comprendre la nature humaine, c’est ce en quoi il croit fermement.

Puis, rompu de fatigue, il s’endort dans sa petite chambre meublée sur son sofa défoncé.

***