Au fond je pense que le destin fait plutôt bien les choses. Peut-être bien qu’il y a un truc là-haut, une énergie supérieure qui s’efforce de remettre de l’ordre là ou j’ai foutu le bordel…

A cinq mois et demi de grossesse, j’avais juste pris un peu de ventre.

Et on me trouvait des excuses sans même que j’en cherche :

“C’est la ménopause qui se prépare, tu ne peux pas lutter !” ou “Toute cette histoire avec ton collègue mort brutalement, ça te contrarie, donc tu grignotes ! Tu sais que tu es comme ça !”

Je ne savais que trop bien oui… que j’étais choquée en effet, mais surtout enceinte et pas du tout ménopausée ni boulimique. Je n’avalais plus rien et le stretch de mes jeans me sauvait la mise en me permettant de garder les mêmes vêtements à quelques exceptions près.

Et puis j’étais partie.

Voilà maintenant 3 mois que j’avais quitté la France, laissant derrière mois le cadavre d’un amant délicieux que je pleurerais longtemps, un mari des plus attentionnés et incapable d’imaginer que sa femme puisse le tromper et deux ados adorables qui me manquaient terriblement et ne sauraient jamais qu’une petite demi-sœur attendait sagement dans mon ventre bronzé et désormais bien arrondi.

J’avais fui. Avec l’autorisation de la Police qui m’avait d’abord longuement interrogée puis dont je n’avais ensuite plus jamais eu de nouvelles et avec la bénédiction de mon patron qui, au delà d’avoir perdu un précieux collaborateur, était ravi que je reprenne le flambeau de l’implantation au Brésil.

“C’est une affaire de 3 à 6 mois maximum” m’avait il promis “ et puis c’est parfait, vous enchainez avec le voyage prévu par votre mari ! ça va vous faire du bien ce break à l’étranger…Il faut juste que les flics bouclent vite cette affaire de meurtre et nous lâchent la grappe…Je me demande bien dans quoi a trempé Paolo…On ne le connaissait pas bien n’est ce pas ?”

En effet, connaitre le moindre centimètre carré de sa peau ne m’avait pas ouvert les yeux sur le personnage visiblement.

J’étais donc partie avec mon mari et un carton des affaires de Paolo que sa femme viendrait récupérer dans l’appartement de fonction qu’avait mis à ma disposition Xof’in à Duque de Caxias.

Apprendre que Paolo avait une femme m’assomma encore un peu plus. Non, décidemment je ne le connaissais pas. Quel était donc son plan quand il me proposait de partir avec lui ? Et quel était le mien désormais ? J’allais accoucher en secret et puis quoi ensuite ? Abandonner cet enfant ? Ou revenir avec elle façon “hey les gars je vous ai ramené une surprise, je l ai trouvé sur la plage ! “

Philippe était reparti après les 12 jours de notre séjour brésilien en amoureux. Du pur tourisme classique, organisé et sans réel surprise mais je trouvais ses efforts à mon égard plus que remarquables, lui que je connaissais si casanier.

Duque de Caxias était une grosse ville pas très sexy mais l’appartement était très correct et pas très loin de l’entrepôt. L’équipe sur place était au top, j’avais beaucoup de chance de pouvoir compter sur eux. Ils furent très vite autonomes.

Malgré les relances faites par Xof’in, je n’eus jamais de nouvelles de la femme de Paolo. Tant mieux peut-être. Avec le temps, ses vêtements avaient perdu de son odeur, je n’y plongeais plus mon visage en pleurs. Le carton restait là dans un coin de l’appartement . Lors de visio hebdomadaires avec Jean François au siège, je rendais compte de l’avancé des travaux, installation des structures de stockage, rampes de préparation de commandes et coordination des outils informatiques et de suivi logistique. Jamais personne chez Xof’in ne sut que j’étais enceinte.

Après seulement quelques semaines au Brésil, c’est tout à fait par hasard, à la plage, que je retrouvais Paloma, le destin vous voyez !

Jamais ne n’aurais pu imaginer la revoir ! Des années s’étaient écoulées, nos vies étaient complètement changées. Je m’étais approchée d’elle doucement dans le doute, elle avait regardé ma cheville, moi la sienne et on avait ri. Olodum passait à Belem le week-end suivant pour un festival, l’évènement suffit à nous faire retrouver la complicité d’autrefois. Elle travaillait au Museu do Amanha, un lieu hors norme près de la baie où j’allais parfois me poser à midi avec mon bauru… incroyable que ce sandwich typique Bresilien ait pour base de la mozzarela et du pain français, mais délicieux selon le type de viande et la qualité des pickles qui l’agrémentait. On se retrouvait souvent le midi Paloma et moi. C’était tellement agréable d’avoir une amie ici avec qui je pouvais partager mon amour de la musique et ma curiosité pour la culture sous toutes ses formes. Paloma me faisait visiter des endroits étonnants et atypiques. Nos week-ends étaient toujours bien remplis entre plages sauvages, musées et concerts. Nous avions nos habitudes dans un petit restaurant de la favela de Rocinha. Extraordinaire ! Notre endroit préféré restant sans aucun doute Le Morro dos Dois Irmãos d’où le coucher de soleil était magnifique et toujours différent. De mémoire nous étions seules à connaitre cet endroit il y a 20 ans, mais depuis, les touristes commençaient à y venir.

Elle me raconta de façon très succincte son mari décédé à l’étranger, qui avait certainement fui des business douteux dont elle ignorait tout, son échec d’enfant, sa détresse depuis lors.

Je lui racontais mes enfants en France qui me manquaient, mon mari, mon écart de conduite qui expliquait mon ventre, mon amant disparu du jour au lendemain et l’impasse dans laquelle j’étais.

“On ne connait jamais vraiment les gens” avions nous conclu en chœur.

Je ne sais plus à quel moment on a su, on a compris qui était l’autre et ce qui nous liait de façon si incongrue. On ne s’en est pas parlé. Jamais. Notre complicité était telle que se le dire aurait tout gâché à nouveau. Paolo était mort désormais alors…qu’est ce que ça changeait ? Son mari ne la trompait plus et je n’avais plus d’amant.

Je ne sais plus non plus à quel moment je me suis dit que cet enfant, l’enfant de son mari, serait pour elle.