Pleine de ce malaise brumeux et inconfortable, Marie finit par tendre à John le manuscrit de Anna : « Tiens, lis ça, pour voir ! Tu vas comprendre ce que je veux dire... »~~.Tienss, lis ça, pour voir ! Tu vas comprendre ce que je veux dire…~~ Intrigué, John commence la lecture du document en jetant de temps à autre des regards à la ronde, tantôt sceptique, tantôt surpris, parfois amusé, souvent troublé. Il a toujours eu l’habitude de l’excentricité de Anna, il n’y a rien de nouveau ici. Sauf que. Il y a quelque chose dans ce texte de plus tangible que dans les autres qu’elle lui avait fait lire dans le passé. Un je ne sais quoi sur lequel il n’arrive pas à mettre le doigt. Comme s’il y avait un détail majeur que Anna gardait caché, qu’elle ne révélait enfin que par l’entremise de cette horrible histoire. Se pourrait-il que…

Un frisson traverse John quand il lit le chapitre où Anna se fait prisonnière des bucherons fous. « C’est tellement noir, tellement tiré par les cheveux, aussi, et pourtant… » il ne peut arrêter sa lecture. Il veut savoir, comprendre d’où lui vient ce malaise, cette peur qui lui tord le ventre depuis le début de sa lecture et qui n’a pas grand-chose à voir avec le texte lui-même.

***

La première chose que Anna ressent en reprenant conscience est cette immense migraine qui pulse dans ses tempes. Comment un mal de tête peut-il faire aussi mal ? C’est horrible, se dit-elle. Insupportable. Qu’est-ce qu’elle a bien pu boire la veille pour en arriver là ? Puis elle ouvre les yeux, et tout lui revient en mémoire en un coup, comme une bonne claque au visage, du genre qui laisserait une marque toute la journée, quelque chose de bien senti, qui picote longtemps. Une vérité qui la heurte, qu’elle aurait finalement préféré oublier.

En même temps de voir, elle sent ses environs. Autour d’elle, malgré la pénombre du soir, elle comprend que de nombreux corps gisent en rangés organisées. Une odeur poignante, d’une force qui coupe le souffle, émane de ces corps et des environs. Elle comprend qu’il s’agit de cadavres, de vieux cadavres. De tous les corps qu’elle peut deviner dans cette pièce exiguë – et elle en devine une bonne vingtaine au minimum – elle est certaine d’être la seule qui respire encore. ~~Sont-ils~~ Est-ce là des victimes de l’Événement, ou bien du couple fou ? Elle préfère ne pas y penser.

Sans prévenir, son corps se contracte et elle vomit. L’odeur est trop forte, sa migraine trop intense. La situation la dépasse, elle vomit encore. Comme elle est encore étendue, la bile lui coule dans les cheveux, ajoutant au parfum ambiant déjà saturé. Elle tente de se redresser malgré qu’elle se sente très faible. Combien de temps était-elle restée enfermé ici ? Elle n’a~~vait~~ rien bu ni mangé depuis longtemps, ses forces sont ~~éont taientt~~ au minimum, mais quelque chose de plus fort la pousse à se mobiliser : le besoin de quitter cet enfer.

SElle tente de se relever mais sies mains sont toujours liées dans son dos, rendant la tâche plus difficile ~~encore~~. Repliant ses jambes contre son ventre, elle réussit tant bien que mal à rouler pour se mettre à genou. Elle doit prendre une pause, ce changement de plan lui fait tourner la tête davantage. Puis vomir. Encore. Anna doit attendre que la pièce cesse de tourner. L’odeur autour est très prenante, à un point tel où son corps ne peut simplement pas s’y accoutumer. Elle se sent comme dans la gueule chaudasse d’un monstre carnivore. La décomposition fait rage, elle entend ~~même~~ les mouches, les vers et la vermine s’activer dans la charogne. Il faut qu’elle sorte d’ici. Mais comment ?

Au bout d’une moment, elle parvient à se redresser. Chancelante, elle cherche autour d’elle la porte. Là, sur sa droite. Le mur est de construction rudimentaire, sans détails ni recherche. La porte, faite dans le même bois, n’a ni chambranle ni linteau. Anna se dit qu’elle est dans un réduit construit sur le tard, ou bien dans une cabane intérieure quelconque. Naturellement, la porte est verrouillée de l'extérieur, mais ça ne va pas l’arrêter.

Tant bien que mal, enjambant les corps qui sont dans son chemin, elle recule comme elle peut dans le petit espace pour se donner un élan, puis fonce vers la porte qui s’ouvre d’un seul coup d’épaule – en fait, le mur complet se brise sous le poids de son corps, désarçonnant Anna qui s’attendait à devoir lutter plus longtemps contre sa prison. Prise par surprise, les mains toujours liées dans le dos, elle tombe avec le mur. La chute est dure, sa tête se cogne au passage et l’assomme à moitié, mais elle lutte contre la noirceur soudaine. Il lui faut se dépêcher à quitter cet endroit maudit et puant.

Déjà, elle entend le couple râler et s’exclamer au loin, alerté par le raffut. Elle voit qu’elle est dans une espèce de garage, une sorte de grange sans doute attaché au reste de la vieille maison. Combien de temps a-t-elle pour f~~uitter~~ uir avant que les deux fous n’arrivent ? Surement quelques minutes, voire quelques secondes tout au plus. Faisant fi de sa douleur, elle se campe sur ses jambes et se précipite vers la seule porte qui semble mener à l’extérieur. Elle coure – titube – jusqu’à la porte, mais trop tard. La femme l’ouvre alors qu’Anna n’est qu’à quelques pas de la sortie. Sans réfléchir, Anna se retourne pour fuir la fourche que la femme pointe vers elle. Elle n’aura d’autre choix que de passer par l’intérieur de la maison, mais c’est sans espoir. L’homme ouvre à son tour la deuxième porte de la salle, bloquant la dernière sortie potentielle. Il tend devant lui son fusil de chasse, dirigé vers Anna qui se fige, essoufflée, le cœur qui débat. Elle est prise au piège. m^

« You really thought you could get away with it that easily ? » ~~Tu pensais pas t’en tirer aussi facilement, toujours ?~~

~~« You really thought you could get away with it that easily ? »~~ Le visage de l’homme est tordu par un rictus mauvais. Ses yeux exorbités la fixe avec appétit. Derrière elle, Anna entend la femme rire, un son grinçant étrangement déplacé en ce lieu de malheurs. La nudité du couple semblait grotesque, saugrenu, aurait même été risible, si la situation n'était aussi affolante. LMais la peurm^ ~~lui~~ tord l’estomac d'Annan quand e~~nna~~ lle r~~oit~~ emarque l’homme faire un signe du menton à sa femme. En se retournant,m^ elle voit la femme jeter sa fourche au sol et prendre sur un établis ~~uortirortir d’une de ses p~~ un énorme couteau de chasse. La femme s’approche de Anna en faisant danser le couteau d'une main à l'autre , un sourire vicieux lui fend le visage, ses yeux sont grands ouverts sur le spectacle de la terreur qui doit sans doute irradier de Anna . Anna tente de reculer mais se prend les pieds dans un objet et tombe sur le dos, sur ses mains, une douleur violente enfle dans son épaule droite, pendant ce temps la femme continue d’approcher lentement, ten faisant durer un suspence qui l'amuse~~anser le couteau d’une main à l’autre~~, un ricanement lui échappe, obsédant, Anna pousse ses pieds au sol pour reculer un peu plus, s’échapper comme elle peut, mais pour aller où, retourner auprès des cadavres, faire la morte, si seulement c’étaient des ours elle pourrait prétendre être déjà morte pour se sauver mais clairement ils vont voir dans son jeux, c’est sur, ça y est, ça doit être la fin, sa fin, bien trop douloureuse, bien trop effrayante, bien trop... ^

La femme l’agrippe par le chandail et le déchire d’un coup de couteau. Puis fait pareil avec son pantalon, une jambe à la fois. Sans force, Anna ne peut que se résigner. Sur sa gauche, l’homme la regarde avidement, la bouche ouverte, est-ce sa langue qu’elle devine entre ses lèvres ? Sa main sur son entre-j…

***

John interrompt sa lecture. Il ne s’était pas rendu compte qu’il était autant crispé. En soupirant, il ordonne à ses muscles de se détendre. Pour se donner contenance, il regarde par la fenêtre, essayant d'ignorer les traces sanguinolentes qu'a laissé le pauvre oiseau pour observer le calme qui règne dans le ciel bleu limpide de cette fin d’après-midi. Déjà, il sent sa respiration revenir à la normal.

« Anna, c’est pas possible d’avoir une imagination aussi délirante, qu’il dit en regardant sa sœur. Genre, c’est vraiment intense ton récit. C’est quoi, le deal ?

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Ben, tu dis que c’est une de tes patientes qui t’as raconté son histoire, que tu fais juste t’en inspirer. Mais les détails, Anna ! Les odeurs, le vibe… C’est comme si tu y étais toi aussi… »

Anna détourne la tête, lève les yeux vers le plafond. Elle essaie de ravaler les larmes qui montent, mais sans pour autant se défiler de l’épreuve dans laquelle elle s’est volontairement enfoncée en faisant lire son manuscrit aux deux personnes les plus importantes de sa vie.

« Anna, reprend John de sa voix la plus douce, qu’est-ce qui est vrai dans cette histoire, qu’est-ce qui est faux ? Elle est où la limite entre la fiction inventée et la réalité ? Anna, dis-moi, s’il te plait : es-tu victime d’une agression ? »