Depuis la lecture du testament en 2015, j’ai revu mes sœurs que 2 fois, en 2017 et en 2019, dans des contextes d’affaires. Pendant la pandémie, les rencontres étaient virtuelles. Tous les étés, en juillet, elles venaient passer 2 semaines au lac pendant que Sarah, les enfants et moi visitions ses parents en Nouvelle-Écosse.

Granny avait légué la majeure partie de sa fortune à la Fondation dont la mission était clairement définie; elle avait aussi dicté la composition du conseil d’administration de la Fondation. Mon père et mes sœurs jumelles y siégeaient; dire que les discussions étaient animées serait un euphémisme.

Pour les 70 ans de papa, à sa demande, on mettait de côté nos différends. Nous étions tous impatients de nous retrouver au lac pour profiter de chaque instant dans notre refuge familial. Christina et Sophie débarquaient avec maris et enfants pour 5 jours avant la rentrée. Le lundi, on avait un CA de la Fondation pour approbation du budget et du plan d’action, avant l’ouverture du bureau de la Fondation à Katmandou. On avait convenu tous ensemble que d’ici là, pas de discussion d’affaires, juste du fun!

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Chris, Mona et Martha descendirent en trombe de la méga bagnole que conduisait Sophie et dévalèrent le talus jusqu’au quai pour retrouver leur grand-père qu’elles adoraient lui, qui les visitait à Londres dans le temps des fêtes, tous les ans. Les 5 cousins passèrent leurs journées sur le lac à voile, à plonger, à nager; ils se cachèrent dans la cabane construite par mon père 35 ans plus tôt à l’orée de la forêt, derrière la maison; Christina et moi avons cueilli des champignons dans les sous-bois; Sophie a fait des bouquets magnifiques avec les fleurs au bord de l’allée; Rob et Mitchell, mes beaux-frères ont joué au tennis; Sarah nous a régalé avec les meilleurs poudings aux bleuets de la terre après que les enfants eurent englouti des hotdogs; on a fait des feux de camp et mangé des smores bref, la totale du bonheur en été chez Granny avec mon père qui rayonnait, entouré de sa famille au grand complet.

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Le lundi matin, pendant que les adultes tenaient leur CA, Mona l’ainée des cousines, guiderait les plus jeunes dans la création de leur herbier. En référence à celui de Granny ouvert sur la table de la cuisine, le plan était de trouver, autour de la maison, le plus de plantes comme celles qu’elle-même avait collectionnées dans son enfance. La tradition, bien ancrée depuis des générations, se poursuivait avec les plus jeunes qui, eux aussi, initieraient leurs enfants plus tard.

Bianka arriva un peu avant 9h, on s’installa dans la salle à manger avec ordis et écran pour accueillir Florent et Reena sur Skype. Sarah était aussi présente à titre d’observatrice.

Après 10 minutes, je sentis un malaise : Sophie semblait distraite et consultait son ordinateur en parlant en sourdine avec Christina. Reena et Florent présentaient les organismes qu’ils souhaitaient soutenir pour les projets de microcrédits et artistiques. Après les détails sur le budget, Bianka donna congé à nos collègues népalais, puisque personne n’avait de question.

Bianka nous demanda si nous avions des commentaires. Sophie prit la parole en premier en prenant bien son temps pour exprimer calmement son opinion :

- Bien que les installations, l’équipe népalaise, la recherche pour les projets semblent bien ficelées, j’ai un problème majeur avec la mission que la Fondation s’est donnée au Népal et les projets que Reena et Florent veulent soutenir.

Sophie brancha le fil de son ordi sur l’écran principal et afficha les orientations que Granny nous avait dictées pour la Fondation :

… Poursuivre la mission philanthropique de la Fondation Amy C. Drummond pour l’éducation et l’alphabétisation des filles au niveau international et à la mise en place de la Maison Amy C. Drummond, au Québec, qui sera vouée à l’expression artistique sous toutes ses formes, pour les jeunes issus de familles déplacées, immigrantes au Canada.

- Je n’ai aucunement l’intention de te confronter, David. Au contraire, dit Sophie en me regardant dans les yeux, je crois qu’après les dernières années de tension entre nous, Christina et moi avons la volonté de nous impliquer plus dans la Fondation, pour travailler avec toi à la mission de Granny, si tu le veux bien.

J’écoutais en silence, la main appuyée sur le front, le cœur me débattait à 100 milles à l’heure, Sarah prit ma main sous la table mais je la repoussai et m’appuyai sur le dossier de ma chaise. J’avais bossé pendant 3 ans pour monter le projet Katmandou, c’était mon travail qu’on remettait en question.

Christina poursuivit :

- David, Granny ne serait certainement pas contre le microcrédit, les coops et l’émancipation par l’art, différentes façons d’encourager l’empowerment des femmes, mais elle nous a demandé de nous concentrer sur l’éducation et l’alphabétisation à l’international. Je pense que les projets que Reena et Florent proposent sont fantastiques et importants pour les femmes népalaises, mais ils ne sont pas en lien avec la volonté de Granny et la mission qu’elle a données à sa Fondation pour le volet international.

Papa qui, depuis 2 jours, avait vu ses enfants se rapprocher, se leva et marcha autour de la table comme quand il nous sermonnait (ce qui était plutôt rare) quand on était petits:

- Est-ce qu’on pourrait pas modifier la mission pour permettre aussi le financement de coops et le démarrage d’entreprises de microcrédit?

Christina, l’avocate de la famille répondit :

- Pas vraiment, papa, c’est dans son testament. En tout cas pas comme ça, cette année.

Je me levai subitement. J’avais cette habitude de m’isoler quand la pression montait. Depuis des années, mes idées, mes projets, mes plans se dessinaient pendant mes voyages, quand je me retrouvais seul. Il fallait que je sorte marcher dans la forêt, tout de suite.

- Excusez-moi, j’ai besoin de prendre l’air.

Sarah tenta de me suivre :

- Sarah, j’ai besoin d’être seul.

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Dehors, il pleuvait légèrement, juste une bruine qui exacerbe les parfums des fleurs, les odeurs de terre, de gazon. Les verts étaient plus vifs aussi.

Mes idées s’embrouillaient, j’étais étourdi. Ma vie n’était pas aussi rangée qu’elle le paraissait. J’aimais tendrement Sarah, j’admirais sa détermination, son engagement, comment elle m’encourageait dans mes folies sans rien demander. Mes jumeaux Adam et Eli étaient la perle de mes yeux, je les adorais de tout cœur.

La première fois que Reena m’a accompagné à Calcutta en 2019, on a commencé à s’aimer, comme si le drame qu’on avait vécu ensemble nous avait liés, passionnément, fougueusement. C’était notre secret, cette vie-là n’appartenait qu’à nous 2 et moi, David Drummond, je ne pouvais pas m’en passer.