J’étais préoccupé par ce soudain comportement d’Amélie. Elle, si confiante et spontanée, si enthousiaste dès qu’il s’agissait de nous deux, toujours ouverte aux projets que nous pouvions faire, même les plus fous. Elle m’avait raconté dans les moindres détails sa rencontre avec sa mère. Et depuis, elle n’était plus tout à fait la même. Et ce congé de nous deux, fut-ce le yoga dont je ne connaissais que peu de choses, ne m’inspirait pas.

Que des doutes puissent subsister en elle quant à notre avenir ensemble, je pouvais la comprendre. Femme de tête et moi homme fonceur manquant parfois de recul, je me permettais rarement d’hésiter et de nier mes sentiments quels qu’ils soient. Je l’aimais et je comprenais que l’amour pouvait aussi être une décision à partir duquel survenait plus qu’un simple désir de l’être aimé mais une obligation d’engagement. Ce qu’Amélie savait sans doute mais sans être prête à assumer consciemment ces obligations découlant de l’engagement.

Elle revint une semaine plus tard rassérénée, calme mais consciente de ce congé de travail qu’elle devrait reprendre au plus vite. Comme on était samedi, elle avait encore une journée pour se remettre la tête dans un quotidien occupé. Il faisait un soleil radieux et je proposai une longue marche jusqu’au fleuve. Je me privai d’aborder cette déferlante qui l’avait tant remuée.

Nous nous sommes retrouvés dans un sentier fréquenté par une multitude de gens pris du même désir que nous de respirer cet avant- goût de l’été après un trop long hiver. Les tenues décontractées annonçaient le début d’un printemps prometteur. Les choses sérieuses attendraient et nous étions heureux de nous retrouver après cette semaine de séparation. Amélie avait plein d’anecdotes à raconter, toutes plus rigolotes les unes que les autres sur le déroulement de cette semaine de yoga qu’elle venait de passer. Notre marche nous conduisit dans ce parc que j’avais souvent fréquenté avec des amis. Avec toute l’innocence de nos douze ans, nous nous surprenions à épier ces couples qui s’embrassaient, certains avaient plus d’audace et nous enseignaient les prémices de l’amour. Des tulipes s’ouvraient joyeusement sous ce soleil complice. Je la pris dans mes bras quand mon portable vibra.

–Tu as toujours le même numéro de téléphone? Fit une voix joyeuse. J’hésitai à répondre.

-Antoine, c’est bien toi? Reprit la voix. Je refusais d’admettre mon bouleversement et j’étais mal à l’aise en présence d’Amélie.

- Bonjour Maryse, me décidai-je à répondre? Comment vas-tu? Amélie s’éloigna aussitôt de moi, aussi mal à l’aise que moi.

- Bien et toi ?

Je ne répondis pas autrement que par une question.

- Que se passe-t-il? Tu es où en ce moment?

- Je suis à Montréal, en visite chez une amie. On pourrait se voir?

- Je vis à Québec maintenant et je travaille dans un restaurant.

-Mais je peux très bien me rendre à Québec tu sais. Je suis ici pour deux semaines. Si tu as un weekend de liberté, je pourrais le passer avec toi.

-Non je regrette. Je travaille tous les weekends.

-Tu es bien certain qu’on ne puisse se voir, ne serait-ce qu’une unique soirée ou deux ?

- Non Maryse. Il vaut mieux qu’il en soit ainsi. Il faut assumer ses choix n’est-ce pas?

- Tu sais que j’ai regretté d’être partie si tôt après la collation des grades. J’en ai eu le cœur en miettes pendant des jours. J’avais eu si hâte de revoir mes parents, comme une gamine après la fin des classes.

Je vis le malaise d’Amélie qui voyait mon bouleversement mais qui ne pouvait rien y faire ni rien dire. Et j’étais aussi très mal à l’aise. Je décidai d’en finir et mettre un frein à toute velléité de Maryse de s’adonner à d’illusoires fantasmes à mon sujet.

- Maryse, je dois t’annoncer que je suis terriblement amoureux d’une jolie journaliste aux talents d’artiste. Tu m’as quitté laissant derrière toi un homme meurtri mais je suis guéri maintenant grâce à une femme que je désire épouser plus que tout.

-Tu n’as pas perdu de temps.

-Merci Maryse. Le hasard s’est appliqué à bien faire les choses ajoutai-je, me rapprochant d’Amélie pour la serrer contre moi. Adieu Maryse. Sois heureuse de ton côté.

-Au revoir Antoine, fit-elle la voix basse, et félicitations. Je raccrochai.

–Tu trembles, fit doucement Amélie.

-Désolé ma chérie. Je ne m’attendais pas à un tel retour du passé. Pour une surprise, en voici toute une! Allons prendre un pot, tu veux bien?

-Ouf! Une bonne bière ne sera pas de trop! Comment te sens-tu après cette surprise?

-Bizarre, c’est tout ce que je peux te dire. Tu ne dois pas t’inquiéter. Je crois qu’elle a compris.

Je ne pouvais nier la décharge émotive ressentie en entendant la voix de Maryse. J’avais été très amoureux de cette femme et j’en avais eu une peine immense quand elle décida de rompre et de retourner dans son pays.

Nous marchèrent longtemps pour revenir sur nos pas et emprunter la rue Saint-Jean. Une fois assis l’un en face de l’autre dans un petit bar sympathique, je rassurai Amélie sur cette incursion soudaine et inattendue de Maryse. Quand elle est retournée en Suisse, la coupure entre nous avait été définitive. Je savais qu’elle avait encore des amies d’Université à Montréal mais jamais je n’aurais eu le moindre doute qu’elle pouvait tout à coup ressurgir dans ma vie. Amélie et moi attachions tous les deux des valeurs importantes à la fidélité et Maryse appartenait à un passé révolu.

Les jours suivants furent très occupés pour chacun de nous. Amélie travaillait dur pour découvrir ce qui pourrait devenir un véritable scandale si elle arrivait à débusquer des fraudes commises dans chacun des nombreux comités que comptait le Ministère de la Santé. Ceux-ci se vautraient trop souvent dans d’inutiles représentations et voyages coûteux sous les prétextes les plus fallacieux.

De mon côté, la restauration n’était pas à l’abri de problèmes parfois insurmontables. J’envisageais de quitter ce domaine où la corruption a ses assises même si j’avais la chance de travailler dans un climat plutôt serein.

Assis face à face, j’osai la question qui me brûlait les lèvres depuis que mon amoureuse était revenue de sa retraite de yoga.

Je lui pris les mains et lui demandai le plus simplement du monde :

-Et puis? Interrogeai-je. Elle me regarda intensément et ses yeux s’embuèrent.

-Antoine, tu sais que je t’aime, n’en doute pas. Et en te découvrant toujours un peu plus, mon amour se conforte toujours un peu plus à chaque fois que nous sommes ensemble.

-Il y a beaucoup de « plus et de un peu plus » dans cette nouvelle déclaration d’amour. Que veux-tu me dire?

- Si nous procédions d’abord par des fiançailles?

J’étais ravi. À sa façon, elle me répondait « oui ».

-Nous pourrions d’abord vivre ensemble dans mon loft. Je t’y invite, il est confortable et pas très loin de ton travail.

-Je veux te présenter d’abord à mes parents. Ils t’aimeront, j’en suis certain.

-Ces fiançailles, pourquoi ne pas les célébrer en famille?

-Je t’adore. Passant devant une boutique de bijoutier, je m’empressai de l’inviter à choisir sa bague de fiançailles. Je ne lésinai pas sur le prix.