Une heure plus tard, Simon considérait Maude avec curiosité alors qu’il écrasait son troisième mégot de cigarette depuis leur rencontre, furieux que la nicotine ne semble pas vouloir calmer les tremblements de ses mains.

- La nicotine augmente le stress, plusieurs études l’ont démontré. C’est d’ailleurs pour ça que c’est… illégal, lui avait-elle dit soudain, comme si elle lisait dans ses pensées.

Perplexe, Simon plissa les yeux, assis de l’autre côté du pupitre. Maude Comtois était observatrice… Depuis une heure, il ne lui avait encore rien révélé, cherchant plutôt à voir à qui il avait affaire. Il n’était pas déçu. Non seulement la jeune femme avait eu le cran de revenir, mais elle n’avait pas semblé effrayée outre mesure par son entrée en scène. Alexis n’avait peut-être fait que s’amuser lorsqu’il l’avait fait descendre, mais son courage, sa curiosité, sa détermination, et surtout ses connaissances en biologie et en médecine faisaient d’elle une candidate inespérée. Qui sait? Peut-être serait-elle la clé dans leur recherche d’un traitement à cette maladie étrange qu’un nombre de plus en plus élevé d’entre eux commençaient à développer. Et si non, eh bien peut-être à tout le moins lutterait-elle à leurs côtés.

Simon se leva en allumant une quatrième cigarette et contourna le pupitre. Il fit un geste de la main à Maude, l’invitant à se lever, et ramassa sa canne.

- Venez, lui dit-il, j’aimerais vous montrer quelque chose.

Maude était intriguée, et légèrement anxieuse. La veille, elle ignorait toujours l’existence de cet endroit, et voilà qu’elle suivait un étranger dans ces profondeurs. Un homme affable certes, mais elle devait admettre être curieuse de sa condition. Une claudication marquée malgré la canne (causé par un genou qui semblait ne pas vouloir plier), des tremblements répétés des mains, un côté du visage qui se contractait involontairement en un tic qui lui faisait cligner de l’oeil. Était-ce un accident qui avait atteint son système nerveux?

Elle jetait des regards nerveux autour d’elle, en suivant Simon. La présence de l’écran géant, à son arrivée, l’avait convaincue que les lieux étaient sous surveillance caméra. C’était généralement le cas à la surface aussi, elle en avait l’habitude, mais ici, dans cet endroit inusité, ça la rendait inconfortable. Et puis… Elle tira sur le col de sa chemise. Elle avait trop chaud.

Soudain, elle arrêta de marcher, et Simon fit encore deux ou trois pas avant de le remarquer et de se tourner vers elle.

- Est-ce que tout va bien? lui demanda-t-il.

- Oui… Je veux dire, non. Je ne suis pas habituée à ce silence dans ma tête. C’est troublant. Je peux tout entendre, les moindres détails. Par exemple, pas seulement le bruit de nos pas, mais le glissement de votre pied qui ne quitte jamais vraiment le sol, le son de ma respiration, de la vôtre, les fluorescents qui bourdonnent... Ça me donne mal à la tête.

- C’est normal au début, vous vous habituerez.

Maude haussa les épaules. C’était en admettant qu’elle veuille s’habituer, et elle n’en était pas certaine. Mais… Elle souhaitait absolument savoir ce que tout cela signifiait et, de façon évidente, une partie de la réponse se trouvait là où Simon la conduisait. Elle reprit sa marche, franchissant les trois pas qui la séparaient de l’homme, et il se remit en route en claudiquant.

- Désactiver les implants fut notre première étape, expliqua-t-il, avant même de développer les bloqueurs. Ici, le signal de l’Annonceur est neutralisé pour tout le monde, mais la plupart de nos membres ne le reçoivent plus à la surface. C’est cependant risqué, il faut être observateur, remarquer ce qui se passe autour de soi, feindre d’être toujours connecté et avoir un comportement qui passe inaperçu le plus possible. Beaucoup de nos membres ne remontent jamais à la surface une fois l’implant désactivé. Il y a toutefois un net avantage, outre d’être libre de ses pensées, c’est que le GPS ne fonctionne pas non plus. Ainsi, il est impossible d’être retracé.

Maude enregistra cette nouvelle information. Elle ignorait que l’implant était aussi un GPS, mais ne fut que peu surprise. En un peu plus d’une heure, dans l’absence de l’Annonceur, elle avait remarqué à quel point son omniprésence d’avant contrôlait et régulait tout. Ses pensées, son humeur, ses désirs… Il était logique de croire qui ceux qui avaient intérêt à contrôler son existence voulaient aussi, probablement, savoir où elle était en tout temps.

- Mais… demanda-t-elle, lorsqu’ils perdent ainsi la trace de quelqu’un, n’essaient-ils pas de le retrouver? Comment une personne peut-elle simplement disparaître?

- Oui, pour cette raison, nous n’avons pas des milliers et des milliers de membres. Et lorsqu’une nouvelle personne arrive, nous ne désactivons pas l’implant sans avoir pris des précautions. Cela nécessite de longues préparations. Généralement, nous faisons sortir la personne du pays et la désactivation se passe à l’extérieur. Nos connaissances indiquent que le contrôle de l’Annonceur s’arrête à nos frontières. C’est pour ça qu’il est compliqué et parfois risqué de sortir. Il arrive aussi que nous simulions un accident causant la mort, mais c’est plus difficile, car le corps doit disparaître.

Maude pensa à sa famille. Déjà, ils pensaient qu’elle songeait à quitter la résidence familiale. Elle n’aurait qu’à mentionner en passant qu’elle voulait explorer le monde, ça brouillerait les pistes avec les agents gouvernementaux. Car après avoir goûté à ce silence et à cette liberté de penser, Maude était bien décidée à l’avoir en permanence. Peu importe les risques, et peu importe à quel point sa famille lui manquerait. Elle ne savait d’ailleurs pas comment elle arriverait à gérer l’entre-deux. Car il faudrait bien qu’elle retourne à la surface, le temps de préparer son « départ ».

Elle garda le silence pendant plusieurs minutes, perdue dans ses pensées. Elle sursauta presque lorsque Simon posa la main sur son bras et lui dit « C’est ici ». La lourde porte devant laquelle ils s’étaient arrêtés étaient verrouillée par un système de sécurité complexe. Simon entra un code sur un clavier, puis colla son œil à un capteur électronique. Lorsque finalement la porte s’ouvrit, Maude n’était pas préparée à ce qu’elle découvrit de l’autre côté.