- Bon... bon... bonjour Thomas, dit Eugénie un peu troublée. Je vais très bien, et toi? Elle se tourne vers son amie et la présente à Thomas.

- Je te présente mon amie Sylvianne, Sylvianne, voici mon nouveau voisin Thomas. Nous nous sommes rencontrés hier, il vient d'emménager.

- Enchantée, dit Sylvianne, en lui tendant la main. Elle regarde Eugénie et la voyant rougir, décide de la mettre encore un peu plus mal à l'aise et dit en souriant:

- Thomas, tu es nouveau dans le coin, tu pourrais déjeuner avec nous, nous pourrions apprendre à mieux se connaitre.

- Je ne voudrais pas vous déranger Mesdames, vous avez sans doute beaucoup à vous dire, répondit Thomas.

Sylvianne regarde son amie, qui est en train de fondre sur sa chaise et dit:

- Installe-toi Thomas, notre placotage du matin est terminé. Nous allions commencer notre commérage, tu nous sauves quelques jours de purgatoire. Nous le savons tous, commérer est un vilain défaut et presque un péché mortel.

- Mais oui, mais oui Thomas, dit Eugénie en retrouvant la parole, installe-toi à notre table, nous serions heureuses de ta compagnie.

Thomas s'installe et Eugénie raconte brièvement sa rencontre avec Thomas la journée précédente et explique à Thomas les liens qui l'unissent à son amie. Germain, voyant un nouveau client, vient prendre sa commande et retourne en cuisine.

- Je suis bien heureux de vous connaître, Sylvianne, dit Thomas. Je vous propose un petit jeu. Vous vous connaissez bien toutes les deux et Eugénie et moi avons un peu discuté hier. J'aimerais donc me mettre à niveau, nous allons tous les deux nous raconter nos vies en cinq minutes. Le temps est très court, mais cela nous oblige à aller directement à l'essentiel. Qu'en dis-tu?

Sylvianne lève les sourcils et dit en riant:

- D'accord, mais c'est toi qui commences!

Thomas regarde sa montre puis parle de son métier et de la grande satisfaction qu'il avait ressentie au cours de sa carrière en formant les jeunes étudiants. Il raconte son amour pour sa femme décédée, sa belle Isabelle. Il leur fait part du bonheur que lui procure son nouvel environnement et termine en énonçant la liste de ses passions et de ses plus grandes qualités en riant. Et tout ça en quatre minutes et demie. Il dit en terminant, c'est à toi Sylvianne.

Sylvianne rit et lui dit:

- Effectivement c'est concis, mais tu as raison c'est une façon intéressante de se connaitre un tout petit peu avant d'aller plus en profondeur. Je suppose que c'est le temps limité qui t'a obligé à abréger la liste de tes qualités, dit-elle en ricanant. D'accord je commence. Vérifie ta montre, Thomas.

Et Sylvianne commence, elle parle de son Arthur décédé depuis plusieurs années et de son inquiétude de voir son fils unique partir loin d'elle pour une durée indéterminée. Elle l'informe qu'elle vit elle aussi dans cette petite ville depuis plusieurs années et de sa chance d'avoir rencontré Eugénie qui est pour elle une excellente amie. Elle liste ses passions et ajoute pour rire la très longue liste de ses très grandes qualités. Elle termine la liste par le mot: modeste.

Eugénie éclate de rire et dit qu'elle va garder en mémoire la longue liste de ses qualités pour préparer l'oraison funèbre de sa bonne amie.

Thomas leur dit pour blaguer: je surveillais le temps, Sylvianne aurait pu continuer la liste de ses qualités encore un peu pour atteindre la limite de cinq minutes.

Leur déjeuner est servi au cours de la discussion, ils mangent en placotant de tout et de rien.

Thomas demande un réchaud de café et leur dit:

- Je suis bien content de vous connaître, Mesdames. Hier, j'ai eu la chance de rencontrer Eugénie et ce matin j'ai le privilège de déjeuner en votre compagnie. Ces deux journées contribuent à augmenter mon pourcentage de bonheur.

- Ton pourcentage de bonheur? demande Sylvianne.

- Oui, répond Thomas. Je calcule souvent mon pourcentage de bonheur. Je fais la liste des départements de tout ce qui est important dans ma vie, j'y accorde une note selon ce que je vis présentement, j'additionne toutes ces notes et je divise par le nombre de départements.

Les deux femmes le regardent et disent en même temps

- Hein?

- Bon je vous donne un exemple en fonction de ma vie actuelle. Si je donne une note concernant le bonheur que m'apporte mon nouvel environnement de vie, je note 100%. Si je calcule le bonheur que m'apporte ma santé, j'attribue 90% parce que j'ai de petits problèmes avec un genou. Si je calcule le bonheur que m'apportent mes relations familiales, j'attribue 100%, j'ai une belle entente avec mes frères, sœurs, neveux et nièces. Il y a bien une belle-sœur du côté de ma femme que je déteste, mais elle vit en Europe alors je ne la vois pas souvent, elle n'affecte pas ma note. Et je continue ainsi, lorsque j'ai noté tous les départements, j'additionne le tout et je divise par le nombre de départements. La note moyenne que j'obtiens représente mon pourcentage de bonheur en ce moment précis. En arrivant ici, j'étais un peu inquiet, car je quittais mon ancien environnement et mes amis et je craignais de m'ennuyer un peu et d’avoir de la difficulté à recréer des liens avec de nouvelles personnes. En vous rencontrant, je réalise que je vais pouvoir facilement m'intégrer à ma nouvelle vie et cela vient ajouter une note intéressante au département amitié. Vous comprenez Mesdames?

- Quel drôle de façon de voir la vie, lui dit Eugénie

- Je te rappelle que j'étais professeur de philosophie, Eugénie, dit Thomas. Je cherche à comprendre le monde en me livrant à une réflexion rationnelle sur la vie. Je cherche à savoir et à comprendre. Ma façon de calculer mon niveau de bonheur m'a toujours été très utile. Voyez-vous quand vous avez des problèmes dans la vie, vous ne voyez souvent que les problèmes. Avec mon système de calcul, les bons côtés de la vie viennent contrebalancer les plus difficiles. C'est exactement comme lorsque vous étiez à l'école. Si vous aviez une note désastreuse en mathématiques, vous pouviez vous dire que vous étiez une mauvaise élève. Disons maintenant que vous étiez un génie en français et très bonne en histoire, en géographie et en éducation physique, vous aviez forcément une bonne moyenne sur votre bulletin. Vous pouviez regarder votre bulletin en vous disant que vous étiez géniale et que vous alliez mettre vos énergies sur les cours dans lesquels vous aviez plus de difficulté. Cela vous encourageait énormément et vous permettait de vous fixer des objectifs et de vous lancer des défis. C'est exactement comme dans la vie. Je vous invite à faire ce calcul, c'est très bon pour le moral.

Sylvianne fut la première à le questionner

- C'est bien beau tout ça, mais il a certains départements, comme tu dis, qui seront toujours mal notés. Mon mari Arthur est décédé depuis 7 ans et il me manque encore énormément. Je ne pourrais pas noter ce département avec une bonne note.

- Chère Sylvianne, reprenons mon exemple de notes à l'école. Tu es veuve, tu ne suis plus le cours « Vie de couple 101 », tu ne peux pas noter ce cours. Tu suis présentement le cours « Célibataire 101 », comment notes-tu ce cours? Aimes-tu ta vie de célibataire? As-tu des activités qui t'apportent du bonheur? As-tu découvert des passions que tu ne connaissais pas? Y a-t-il des choses que tu fais maintenant et que tu n'avais pas l'opportunité de faire lorsque ton mari vivait, est-ce que cela contribue maintenant à ton bonheur? Avec mon super système pour apprécier la vie, on ne donne une note que pour les cours qu'on suit, que pour les départements qui touchent notre vie présente et pas pour le reste. Mes vieilles habitudes de professeur me rattrapent, je vous invite à faire ce devoir, Mesdames. Faites votre liste, attribuez une note et faites la moyenne pour obtenir votre note moyenne de bonheur! Rappelez-vous que vous faites le devoir pour vous-même, personne ne portera de jugement, c'est vous qui déterminez la note. La largeur de votre sourire nous donnera seulement une idée de votre moyenne!

- Ta façon de faire les choses me plait, Thomas, dit Eugénie en souriant, je vais faire mon devoir, ce sera une bonne façon de faire le point sur ce que je vis présentement.

- Je vais faire la même chose, ajoute Sylvianne.

- Bien cela étant réglé, Mesdames, j'ai eu une idée ce matin en prenant mon café sur mon immense patio. J'aurais envie de donner une fête pour souligner les dernières belles journées d'été. Je pourrais ainsi rencontrer mes nouveaux voisins. Ma maison est l'endroit idéal, j'ai un immense patio couvert, ce qui serait parfait s'il pleut et ma maison est encore toute propre, j'ai fait faire le grand ménage dans tous les recoins avant d'emménager. Tous ceux qui aimeraient se joindre à nous pourraient apporter un petit quelque chose à manger et à boire. J'adore cette façon de faire et si on se retrouve avec seulement des desserts, on mangera du dessert! On pourrait faire cette fête, dimanche prochain sur l'heure du diner, madame météo annonce du beau temps. Qu'en pensez-vous Mesdames?

- C'est une bonne idée, on embarque, dit Sylvianne

- Parfait, dit Eugénie, on s'occupe des invitations.

- C'est génial, dit Thomas, je prépare les décorations pour le patio!

Germain, leur serveur, se présente à leur table et dit

- Excusez-moi de vous déranger, mais dois-je vous proposer le menu pour le diner, Mesdames et Monsieur?

Eugénie, Sylvianne et Thomas éclatent de rire!

- C'est déjà l'heure du diner? questionne Thomas. Mesdames le temps passe très vite en votre agréable compagnie. Je vais payer mon déjeuner et vous quitter. Je vous dis à dimanche. Bonne fin de journée à vous deux.

Sylvianne et Eugénie le saluent et décident finalement de rester diner. Elles en arrivent à la même conclusion: Thomas est un drôle de personnage.

Germain prend leur commande et repart en cuisine en espérant que Thomas, le beau parleur, ne lui volera pas la belle Eugénie, la femme de son cœur.