Scène no 36 03h59 17 novembre 2022, héliport près des conteneurs

Josh et Miranda arrivèrent à la porte du quartier B où Eric, Steven, Claudine et Robert les attendaient avec une inquiétude qui transperçait leurs regards effrayés.

Où sont partis les autres, le vice-président et ses invités ? demanda Josh à son équipe
Nul ne le sait, répondit Claudine au regard fixe
Est-ce moi, ou ai-je rêvé ? demanda Robert
Avez-vous vu comme moi de géants style Atlantes ? questionna Steven

Eric, Josh et Miranda se regardèrent. Eux qui avaient été les plus éloignés de l’explosion restèrent interloqués.

Mais qu’avez-vous vu Steven ? interrogea Miranda ?

Robert répondit à la place de Steven qui semblait trop sonné.

Des hommes très grands, hors normes, qui parcouraient la plate-forme et firent disparaitre M. Spikerson. Je suis certain mais… je n’en sais plus sûr, dit-il confus en cherchant du regard le soutien de ses coéquipiers.

Miranda réfléchit, se retourna, vérifia que la porte était bien fermée et dit sûre d’elle :

C’est impossible !!! Vous avez tous été intoxiqués par les fulminates de mercure, l’orichalque mélangé à l’acide lysergique que contient la plate-forme. Ce mélange produit des hallucinations. Vous avez tous eu des visions hallucinogènes.
Mais non, non, répondirent ensemble Claudine, Robert et Steven
Mais oui, c’est ça ! Voilà, je comprends mieux pourquoi tu es là, s’exclama Josh en fixant Miranda
Mais pourquoi ? questionna Eric

Aucun n’eut la réponse.

Josh rouvrit son talkie-walkie à la fréquence 3 et entendit qu’un hélicoptère allait arriver pour secourir le reste des équipes vivantes.

D’un bond, ils sortirent sur la plate-forme et se dirigèrent vers l’hélicoptère de la Compagnie Labrador Rouge qui les attendait. Miranda monta la première et Eric, le dernier, ferma la porte.

Scène no 35 05h15 17 novembre 2022, Alt Hotel St. John's

Claudine, Miranda, Eric, Josh, Robert et Steven arrivèrent à Saint-Jean, épuisés, ébranlés, mais soulagés d’être en vie. Leur esprit était revenu. Des chambres à l’Hôtel Alt leur avaient été réservées par les secouristes du Labrador. Miranda regarda Josh et lui dit à l’oreille : « Ce n’est pas possible, Josh ». Il ria.

Scène no 37 09h00 17 novembre 2022, St John Airport

Miranda avait commandé un hélicoptère pour se rendre à Fogo Island. Josh, qui, surpris, avait acquiescé, enchanté. Il connaissait bien l’endroit. Un lieu exceptionnel. Du Miranda sans faute.

Il avait laissé, à la réception de l’hôtel, un mot à ses collègues les prévenant qu’il était parti avec Miranda pour quelques jours et qu’il allait communiquer avec eux plus tard avec un rapport et un plan détaillé. Ainsi ils laissaient croire aux dirigeants de la plate-forme qu’ils avaient tous disparus.

Scène no 38 19h00 18 novembre 2022, Fogo Island Inn

"More than an architectural masterpiece, Fogo Island Inn shows what’s possible when someone cares about the planet and its people."* a écrit un magazine d’architecture & lifestyle.

La millionnaire canadienne native de l’île de Fogo, Zita Cobb, a raconté à Dezeen lors d’une interview en 2014 comment elle avait amené des designers internationaux à travailler avec des artisans locaux "pour préserver certaines des choses que nous craignions de perdre".

Perdu sur cette île au nord-est de Terre-Neuve, dénommée Fogo (feu) par les pêcheurs portugais venus exploiter la pêche à la morue dès le moyen-âge, cette petite île de 25 kilomètres de long a trouvé un écrin parfait pour qui souhaite aborder sur ces rivages lointains: Fogo Island Inn.

Cet hôtel raffiné conçu par l’architecte terre-neuvais Todd Saunders est un paquebot d’un nouveau genre tourné vers l’Atlantique. Ancré sur des pilotis d’acier, à l’architecture unique en forme de X, l’hôtel est résolument exclusif et luxueux. Il est aujourd’hui le repaire tendance d’une clientèle en quête de nouvelles expériences, désireuse de se confronter à une nature grandiose, au silence et à l’inédit.

Josh aimait le design épuré scandinave privilégiant largement le bois, la culture ilienne au mobilier entièrement fabriqué sur l’île, et des textiles naturels comme la laine, le coton et le lin. Rocking chair, courtepointe et poêle à bois rappellent l’esprit authentique de l’île. Quoi de mieux pour ces ex mariés d’observer le spectacle fascinant des icebergs dérivant après leur traumatisante expérience de la nuit précédente.

*

"Plus qu'un chef-d'œuvre architectural, le Fogo Island Inn démontre ce qui est possible lorsque quelqu'un se soucie de la planète et de ses habitants."

Scène no 39 20h30 18 novembre 2022, Fogo Island Inn

Pendant que Miranda se douchait, Josh réserva une table dans la spacieuse salle à manger à la gigantesque hauteur de plafond. Il savait que Miranda adorait les incroyables lustres floraux dessinés par l’architecte hollandais Frank Tjepkema. Une merveille qui -le soir- étincelait comme des étoiles flottantes à travers les larges baies vitrées tournées vers l’océan.

Miranda avait eu le temps de passer rapidement à la boutique de l’hôtel pour trouver une petite robe noire, simple et élégante et un pull en cachemire noir et un pantalon coupe droite à Josh. Heureusement que dans son sac à dos, elle avait toujours une paire d’escarpins noirs à semelles rouges. Le must en toute circonstance.

Elle se sentait bien, enfin. Sa tenue de guerrière pétroleuse et les vêtements de travail de Josh avaient été portés à la laverie par l’attentionné concierge Timothé, le sosie d’un jeune et talentueux acteur franco-américain dont elle oubliait le nom.

Scène no 40 20h45 18 novembre 2022, Fogo Island Inn

Isolés à une table située à l’angle de la pièce, Josh et Miranda avaient l’impression d’être suspendus dans un vide glacial. Un verre de Icewine Vidal Pilliteri à la saveur confidentielle à la main, ils restaient silencieux. Un regard, un sourire et puis ils frappèrent délicatement leur verre à leur…retrouvaille. Ils étaient songeurs, peut-être perturbés, perturbés de se retrouver – encore - dans un endroit inédit, dans une des nombreuses situations inédites, comme toujours. Le temps entre eux -entre absence et retrouvailles- reste un mystère, reste inédit.

Qu’est-ce que tu es belle…, dit doucement Josh
Quelle charmeur… lui répondit tout aussi doucement Miranda
Qu’est-ce que tu es beau…ajouta-t-elle

Une lueur dans les yeux de Josh la fit frémir. Les plats arrivèrent ; coquilles Saint-Jacques avec panais et gelée à la rhubarbe pour Josh et morue salée et navet émincée pour Miranda.

Le chef Jonathan Gushue vint les saluer et leur expliquer personnellement ses créations culinaires.

Ils le remercièrent avec courtoisie et dégustèrent avec attention cette cuisine respectueuse de l’île.

Scène no 41 21h30 18 novembre 2022, Fogo Island Inn

Miranda se souvient des moments extraordinaires qu’elle passa avec Josh au Yémen, l’ancienne Arabie heureuse, le royaume de l’oubliée Reine de Saba.

Josh, te rappelles-tu notre rêve ? lui demanda-t-elle
…celui de traverser l’île de Socotra à dos de chameau ? lui répondit après avoir judicieusement réfléchi.

Il connaissait si bien son ex-femme et savait exactement que la situation du moment laissait voyager les pensées de Miranda.

Scène no 42 février 2010, Yemen

En 2010, Miranda fut affectée à Sanaa en tant que Manager par un consortium associant Total, Hunt Petroleum et l’entreprise de son père, au sein du fameux projet appelé “Sustainable Development and Community Relations”

Pendant la construction du terminal d'exportation de gaz naturel liquéfié, situé à Bal’haf, ses principales tâches devaient apaiser les différentes communautés yéménites, gérer la construction des écoles, préserver -parfois- le seul arbre d’un village, envoyer une équipe pour colmater des fuites d’anciennes canalisations dues aux racines géantes d’arbres centenaires. Ces trajets en Jeep accompagnée d’une cavalerie armée de quatre véhicules du désert duraient des heures. Les 140km du gazoduc reliant la côte du sud du Yémen dans le gouvernorat de Shabwa à l’Ataq étaient des excursions périlleuses. Plusieurs fois elle fut prise en otages mais son interprète yéménite savait calmer ses compatriotes. Les nombreux aller-retours entre les deux villes, traversant l’implacable désert du Rub al –Khali et les étroites routes des montagnes du Hidjâz mettaient Miranda parfois dans des états d’insécurité et de stress mais la confiance en son chauffeur Hamed qui conduisait prudemment la calmait.

Avec Josh, lorsqu’il venait la visiter, ils partaient les weekends découvrir le pays, toujours accompagné d’Hamed et d’Ali, leur guide. Ils s’étaient séparés, mais restait des amis et des amants depuis cette période tumultueuse de l’université.

Elle adorait se promener dans le vieux souk de Sanaa où un antiquaire, au fond d’une étroite allée, avait une formidable boutique. Des poteries, des bijoux, des cailloux, des bricoles. Josh trouva à l’occasion une petite jarre datée du VIIIe avant JC que l’antiquaire avait conseillé de la jeter par terre si par hasard les douaniers à l’aéroport la découvraient. Le vieil antiquaire préférait qu’elle soit vendue à un connaisseur étranger que de la retrouver par des voyous sur le marché noir des œuvres d’art et de la drogue.

Miranda et lui prenaient plaisir à marchander dans les nombreuses échoppes d’izars, ces longs pagnes que portent les yéménites avec à la taille leur djambia, terme arabe désignant le poignard à lame courte et courbe, porté sur la ceinture comme accessoires du vêtement traditionnel.

Josh avait lu que les premières traces du jambiya dataient de l'époque de la Reine de Saba, il y a maintenant plus de 5 000 ans. Il prenait plaisir à porter ces vêtements lorsqu’il se trouvait dans ce pays accompagné de sa femme. Miranda, en revanche, le portait comme châle.

Souvent le dimanche, ils partaient déjeuner dans la vallée de Wadi Dhar et s’arrêtaient toujours voir le Palais du Rocher, l’incroyable Dar Al Hajjar. Ce palais fut la résidence d'été de l’Imam Yahya. Erigé sur un rocher de 50 m de hauteur, il fut construit dans les années 1920. Avec sa maison-tour de brique crue, aux façades animées de frises géométriques en blanc de chaux, il représente très remarquablement l'architecture yéménite. Une beauté !!!!

Depuis, le site a - malheureusement -été touché par des frappes aériennes de la coalition menée par les Saoudiens. Un bombardement qui visait des chiites Houthis. Comme beaucoup d’autres habitations et villes du Yemen. Un désastre humanitaire.

Scène no 43 Mars 2010, site de Bir’Ali, Yemen

Près du campement d’habitations de Bal’har, à une vingtaine de kms, se trouve Bir’Ali, un lieu paradisiaque entre roches noires volcaniques et sable immaculé, de simples cahutes rudimentaires longent la plage de l’océan Indien. Miranda se pâmait pour les poissons fraichement pêchés et le riz à la cardamone servis midis et soirs par l’aubergiste. Seul manquait un délicieux rosé gris du Lubéron. C’était toujours ce jeune yéménite, Jaden, d’une beauté raffinée aux yeux émeraude et aux cheveux d’ébène. Grand et mince, il marchait lentement dans son izar tissé d’un coton aux couleurs claires et au motifs géométriques.

Evidemment, ces joues remplies de qat qu’il mastiquait longuement à longueur de journée lui colorait les dents et la langue en vert. Il était en revanche euphorisé…Ce qui faisait mourir de rire Josh.

Miranda avait lu par hasard, quelques années après, lors son retour à Paris, un article de Franck Galland, « Ressources en eau : prospective et stratégies » que malheureusement, depuis le XVe siècle, « la culture du qat serait la principale culture du Yémen : plus de 30 % des terres arables lui seraient consacrées, et les surfaces cultivées auraient doublé depuis les années 1970. Cette culture consommerait entre 40 et 45 % des ressources en eau du pays, et représenterait 70 % des pesticides utilisés, occasionnant une pollution des nappes phréatiques et des sols. Le khat porte atteinte à la vie économique yéménite. »*

* Franck Galland, « Ressources en eau : prospective et stratégies. », Diplomatie - Les grands dossiers.,‎ août-septembre 2015, p. 39-43

Josh et Miranda aimaient escalader Husn al-Ghurab, la Citadelle du Cordeau, l’antique Qana, un des ports de la route de l’encens. Ces réserves creusées dans la roche volcanique noire, maintenant à ciel ouvert, surplombent la plage de sable blanc à l’eau translucide, d’un bleu azur. Fabuleux décor pour les amoureux férus d’antiquités.

Au loin, l’île de Socotra, le joyau de la biodiversité de la mer d’Arabie qu’ils parcourront à dos de chameau avec un guide et un cuisinier lors de leur prochain séjour. Ses récifs coralliens et sa faune endémiques, comme ses dragonniers - Dragon blood Tree - et ses baobabs chacals, qui semblent sortir d’un tableau de Diego Rivera leur donnaient envie de s’évader, de dormir dans une tente, de faire de la plongée, de vivre au bout du monde. Ils prendraient l’avion d’Aden où poules, coqs et brebis partageraient l’espace. Ils en rêvaient.

Scène no 44 23h45 18 novembre 2022, Fogo Island Inn

Après avoir commandé un Crown Royal - deux glaçons pour Josh, sans pour Miranda-, ils s’installèrent nus dans le jacuzzi du roof top de l’hôtel et dégustèrent ce whisky canadien produit près du lac Winnipeg de la province du Manitoba. En toute intimité, sous la voie lactée, il regardait le spectacle fascinant de l’Atlantique. Spectacle de la nuit…quelle