Scène 27 - Impasse

Elle tendit l’appareil à Josh. Son regard compatissant devint de marbre. Il se leva, laissant S médusée et désemparée sans son téléphone, se dirigea directement vers Miranda qui débattait avec un ambassadeur et les membres de sa communauté sur un des sujets les plus délicats de l’actualité ; l’incendie du camp de migrants à Lesbos.

Josh la détacha - physiquement - de la conversation.

- Eh ! Mais qu’est-ce qui te prends ? furieuse, ajustant - en signe d’indomptabilité et de contrariété - ses bracelets Tennis, sertis de noirs diamants.

Sans répondre, Josh montra la photo de Monsieur Weird. Miranda, impassible, la regarda. Une seule pensée lui vint en tête ; cette fameuse nuit. Douleur de plaisir.

- Oui ? dit-elle simplement. Hypocritement. Qui est-ce ? en prenant le téléphone pour examiner la photo de plus près, minutieusement.

- C’est le mec qui m’espionnait à Vilnius ! C’est ce jeune policier qui a été trouvé mort sur le Cours la Reine et c’est le chum de ta filleule... Drôle de coïncidence non ? Tu le connais. Ton œil te trahit Miranda. Qu’as-tu à dire ? Dans quoi es-tu impliquée ? et S ?...

Avant même que Miranda puisse répondre, trouver une réponse plausible en évitant quelques détails juteux, Maximilien et Eric arrivèrent énergiquement, emmenèrent vigoureusement - mais avec la discrétion diplomatique que nécessite cette soirée guindée - Miranda et Josh vers la sortie. En retraversant la Grande Allée, ils croisèrent une horde d’homme en qamis émirati coloré, coiffé d’un ghutra tenu par l’agal traditionnel - sorte de tuyau noir assez lourd qui maintient le keffieh sur la tête. Suivis de quelques femmes vêtues d’ abaya, portant hijabs et niqabs. C’est précisément à ce moment que Maximilien remarqua qu’ils étaient tous vêtus d’habits militaires syriens sous leur traditionnel costume arabique. Et armés. L’information codée, qu’il avait reçue par le Quai d’Orsay, lors du discours officiel et répétée la minute d’avant fut donc vraie. Dans l’affolement, Miranda souleva précipitamment la quantité de tulle de sa robe et jeta ses escarpins pour contenir sa course vers la sortie. Sortie arrière de l’ambassade, Square Rapp. Impasse.

Scène 28 - Explosés

Eric qui avait étudié au Lycée italien Leonardo da Vinci, rue Sédillot les emmenèrent vers un passage oublié ; un chemin étroit qui traverse les deux cours de l’établissement scolaire, entre haies de cyprès de leylan au pouvoir d’opacité et d’orangers du Mexique au parfum fort, frais et épicé d’écorce d’orange et de poivron vert, ils se faufilèrent pour se retrouver dans la cour du lycée dont la haute grille en fer forgé, fermée à clé mis fin temporairement à leur fuite.

- Et S ???? Où est-elle ???? On doit aller la chercher, cria Miranda !

- Non trop tard. Je suis désolé, répondit froidement Maximilien sous les regards tristement approbateurs de Josh et d’Eric.

- Noooooooooooo, beugla de douleur Miranda, soutenue par Josh qui tombèrent tous les deux

Énergiquement mais maitrisé, Eric sortit de son smoking en lambeau son couteau Swiss, débloqua difficilement la serrure de la grille et au moment où il tira l’énorme porte, une énorme déflagration les projetèrent - tous -dans la rue, éparpillés, séparés. Inconscients assommés. Radicalement

Scène 29 - Extraits de vies

- Radieuse dans sa robe de soie orangée Pucci, elle éclata d’un rire joyeux. Ses cheveux de jais laissaient apparaitre une jolie paire de boucle d’oreilles en ambre d’un jeune créateur mexicain. Elle salua Arthur, un architecte français... Elle était heureuse de partager ce moment avec ses amis qu’elle avait rencontrés au cours de sa vie professionnelle ou en voyage d’agrément.

Ils se retrouvèrent.

- Entre « L’homme sans qualités » et « L’homme-dé », les nuits sont bien différentes d’une chambre à l’autre, chuchota Miranda à Eric.

Josh pouffa de rire et ajouta « question de couettes ! »

- Après avoir commandé un Crown Royal - deux glaçons pour Josh, sans pour Miranda- ils s’installèrent nus dans le jacuzzi du roof top de l’hôtel Fogo Island et dégustèrent ce whisky canadien produit près du lac Winnipeg de la province du Manitoba. En toute intimité, sous la voie lactée, il regardait le spectacle fascinant de l’Atlantique. Spectacle de la nuit...quelle nuit !

- -Ensuite des Soulages sublimes, un très beau Poliakof parmi des moyens, un portrait de Diego Rivera par Modigliani qui l’a excité dès le départ entre des photos de Brancusi. Le syndrome de Mallarmé s’est davantage manifesté lorsque in live il a touché le paravent aux acrobates de Fornasetti. Ecole hollandaise, année 40, design scandinave, art moderne & design.

Beau plaisir, enfin. État de fatigue…

- A Eivissa, Miranda se baladait nonchalamment dans les boutiques à la recherche de...rien. Ces boutiques de touristes la déprimaient. Elle descendit l’ancien pont- levi de Dalt Alta pour retrouver Josh assis à la terrasse du fameux et mythique Gran Hotel Montesol, un verre Rioja- Rouge l’attendait. Elle embrassa Josh amoureusement, enleva ses sandales Antik Batik. Ils aimaient ce court moment d’attente au port d’Ibiza avant de monter sur le ferry Balearia et voguer jusqu’à la magique île de Formentera. Leur île.

- Eric, wagnérien, depuis son adolescence, d’ailleurs membre de Bayreuth depuis que Chéreau a mis en scène le Ring pour le centenaire du festival, contemplait avec des yeux d’enfant ce salon-musée et s’exclamait devant chaque détail de l’histoire compliquée et tumultueuse du grand musicien. Josh, insensible à l’esprit wagnérien et à ce décor impersonnel et muséal travaillait sur l’organisation et la préparation de la conférence de presse qui scellera l’opération.

- Les nombreux séjours sur la terre du chaud pays mexicain en tant qu’heureux touriste ont su faire sortir en lui les beautés authentiques et naturelles de ses peuples, de ses paysages, de ses cultures. Au fil du temps, expériences et émotions -chaque fois- surent intensifier ses liens et ses passions de l’inconnu. Voyager seul permet de se laisser vivre. Surtout seul, surtout vivre.

- Entre les hamacs rapportés de Bahia et les canapés recouverts d’un tissu de la collection Dunes de la grande styliste Dominique Picquier - un de couleur sable et l’autre d’un bleu sauvage - Josh et Miranda profitaient de ces moments, loin des différentes plates-formes de la planète. Et surtout loin de cette très désagréable aventure survenue en novembre dernier. De très mauvais souvenirs qu’ils essayaient ici d’oublier. Il le fallait.

- Un méga mal de crâne réveilla Josh, mais la forte odeur de thé au ginseng lui fit prendre conscience qu’il n’était pas dans son lit et personne à ses côtés. Nu, il leva le torse, découvrit une vue impressionnante à presque 360° sur la ville matinale. Il se souvient d’une partie de la veille et, un vif coup de sueur le saisit. Mais avec qui avait-il passé la nuit ?

- Sur la terrasse du café Condorelli, face à la façade baroque du Duomo de Siracusa, Eric et Miranda sirotent un Spritz, l’un à l’Aperol, l’autre au Campari, plus fort. Miranda aime ce parfum si italien, cet amaro de couleur rouge vif,

à l’écorce d’orange et de diverses herbes aromatiques.

- Plus tard, il le retrouva à son hôtel, par hasard. Ou y-a-t-il vraiment de hasard? De sa terrasse, où il travaillait sur un dossier particulièrement délicat, Maximilien apercevait la chambre n°20 ; une ombre masculine, à la musculature dessinée bougeait lentement. Il était seul. Sa radio portative jouait « Calentita » featuring Nuria. Le vent chaud du sud caressait les murs et les plantes. Il était accablé. Son verre de mezcal reposado attendait sur la table en fer forgé. D’un shoot, il le but et alla frapper à la porte n°20. Josh ouvrit, nu, sans complexe. Il se jeta dessus sans se présenter.

La porte se referma. Sans complexe.

- Miranda sous son grand panama arlésien prenait son petit-déjeuner sur la fabuleuse terrasse du Kolatéral, une maison d’hôte, incroyablement contemporaine dans une église du 17e siècle transformée par le grand architecte Philippe de Sonmessir et tenue par sa dynamique femme, Anne-Emile, la créative et ancienne directrice de la communication de l’agence parisienne BTWEZ.

- Eric remarqua le regard interrogateur de ses amis et leur dit rapidement qu’il collectionnait les pichets en terre cuite et qu’il avait rencontré Joachim à Limoges lors d’un vernissage en 2017.

- L’élégant jeune homme s’approcha de l’oreille de Josh en l’entourant de son bras et lui avoua qu’une de ses copines aimerait le rencontrer. Surpris et amusé, Josh accepta, tout en se demandant laquelle des filles pouvaient bien vouloir le draguer. Il espérait que c’était celle qu’il avait remarquée précédemment. Il avait l’habitude de se faire draguer mais de cette manière, c’était la première fois. Était-ce vraiment pour une des filles ou une maline astuce du garçon de le draguer discrètement ? Il s’en foutait, en fait. Il se leva et suivit donc Robert.

- Miranda avait commandé un hélicoptère pour se rendre à Fogo Island. Josh, qui, surpris, avait acquiescé, enchanté. Il connaissait bien l’endroit. Un lieu exceptionnel. Du Miranda sans faute.

- Josh et Miranda aimaient escalader Husn al-Ghurab, la Citadelle du Cordeau, l’antique Qana, un des ports de la route de l’encens. Ces réserves creusées dans la roche volcanique noire, maintenant à ciel ouvert, surplombent la plage de sable blanc à l’eau translucide, d’un bleu azur. Fabuleux décor pour les amoureux férus d’antiquités.

- Au loin, l’île de Socotra, le joyau de la biodiversité de la mer d’Arabie qu’ils parcourront à dos de chameau avec un guide et un cuisinier lors de leur prochain séjour. Ses récifs coralliens et sa faune endémiques, comme ses dragonniers - Dragon blood Tree - et ses baobabs chacals, qui semblent sortir d’un tableau de Diego Rivera leur donnaient envie de s’évader, de dormir dans une tente, de faire de la plongée, de vivre au bout du monde. Ils prendraient l’avion d’Aden où poules, coqs et brebis partageraient l’espace. Ils en rêvaient.

-Quelle surprise ! d’apercevoir dans l’immense salon en béton près de lacheminé épurée où elle reconnue une grande toile de Jean-Paul Riopelle

« Sans titre », datée de 1953 et récemment vendue chez Christie’s à Londres, les fameux Josh et Eric. Dès l’entrée, un serveur lui présenta, sur un plateau en argent du XVIIIe, une coupe de champagne qu’elle but « d’une traite » et fusilla Josh d’un regard mi-militaire, mi-mielleux. Toujours charmeur, il s’approcha d’elle, lui prit les mains et l’embrassa doucement dans le cou.

Il savait comment l’amadouer.

-Après avoir admiré le fameux buste de Rodin, il entra dans le café et trouva Eric comme prévu à la table du fond, vue sur la rivière de l’Our, une Diekirch, -première brasserie du Grand-Duché- à la main. Eric, toujours confortablement élégant portait un pull de couleur marine au col carré où il laissait apparaitre un carré Hermès aux motifs de différentes cannes sur fond gris tourterelle, du vert et du rouge bordeaux adoucissaient l’allure campagnard de ce gentleman.

-Miranda haussa les épaules, rajusta sa jupe vert d’eau sous son manteau et lança un regard non moins complice à Josh.

-Comme prévu, Marcello, toujours aussi virilement beau avec sa barbe de jais, ses cheveux mi longs bouclés, ses yeux pers et portant une parka militaire aux médailles décoratives, se tenait sur la dernière marche devant la pierre tombale de ce moine bénédictin devenu saint. Miranda se permit de l’embrasser sur le coin de sa bouche, évitant de lui mordre la lèvre supérieure. Envie qu’elle avait, ouvenirs excitants...

-Le petit déjeuner servit sur la terrasse privée et ensoleillée de la chambre d’Eric diffusait ce parfum matinal délicieux du réveil. Particulièrement lorsqu’il est virilement partagé. La nuit avait été torride. L’odeur du café noir aida les garçons à se réveiller langoureusement. Ils se mirent à rire. Les cheveux ébouriffés pour Eric alors que Joachim gardait cette allure de militaire impeccable.

- A ce moment, la porte du restaurant s’ouvrit sous un courant d’air d’hiver et une jeune femme entra, cheveux attachés en chignon défait, manteau en chevreau gris acier, déchiré́, une écharpe fine en cashmere framboise, trouée. - Marie Toussaint !!!!, s’exclama Miranda

- Un grand moment de bonheur mercredi soir aux tuileries lors de leur visite –trop courte, toujours lorsque c’est le bonheur - au 6e Pavillon des Arts. Deux portraits d’homme de Corneille de Lyon ( ? -1574)- ce peintre du roi Henri II et de Charles IX représentant en beaucoup de petits tableaux selon l’ambassadeur vénitien, je cite, deux point, ouvrer les guillemets : « toute la cour de France tant les gentilshommes que les demoiselles avec tout le naturel imaginable » ont sublimé sa vue, arraché un coup de cœur Une beauté vraie.

Scène 30 - Nietzsche

Le plan rouge Alpha était en état d’alerte ce soir-là. Tout Paris était en alerte. Souvenirs. Mauvais souvenirs. Ce plan fut mis en œuvre réellement pour la première fois le 13 novembre 2015 ; il est totalement adapté aux attentats faisant un grand nombre de victimes. Les ambulanciers militaires arrivés sur les lieux, rue Sédillot ont su extraire Miranda, Eric, Josh et Maximilien de la zone de danger. Le corps médical de la BSPP, issu en majorité du Service de santé des armées, s’est particulièrement sensibilisé aux blessures de guerre de soldats projetés en opération extérieure. Il a ainsi pu mettre en œuvre le principe du « damage control » dans le traitement des hémorragies. Seul Maximilien fut en danger. Et S, retrouvée vivante, sous les décombres de l’avenue Rapp.

- Miranda, Eric, Maximilien, chuchota difficilement Josh

- Monsieur, ne parlez pas. Aucun mouvement. Je vous rassure, tout va bien. Vous êtes sous le choc. L’équipe du Réseau national des cellules d’urgence médico-psychologique présidé par le Dr Hubon est présent pour vous apaiser, vous offrir une présence contre les risques de débordement émotionnel et vous remettra une fiche explicative sur les symptômes présents et à venir. Pendant la période post-immédiate, les équipes CUMP assureront votre surveillance et votre suivi psychiques. Tous. Vous êtes presque sauvés... Je ne sais pas ce que vous faisiez devant le lycée, Quelle chance... mais l’enquête le dévoilera.

Les deux Ambulances Davout accompagnées de six membres de la BSPP - la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, unité du génie de l'Armée de terre française, placée sous l'autorité du préfet de police de Paris- et des Dr Hubon et Marcelinos partirent, sirènes hurlantes vers l’Hôpital Américain de Paris, déviant les bouchons dus aux voitures de polices, brigades d’intervention spéciale et démineurs paralysant la Rive gauche.

Miranda faiblement consciente cherchait par des gestes hésitant la main de Josh et essaya de lui dire...

- Je ...

- Moi aussi, souffla Josh en essayant de dessiner un sourire sur ses lèvres partiellement paralysées, une simple larme coulait de son œil fixe.

Le concert aigüe des sirènes s’éternisait dans le ciel parisien comme une musique de Nietzsche dont les mots de Zarathoustra chantaient à l’infini

« C'est une joie enivrante pour celui qui souffre de détourner les yeux de sa souffrance et de s'oublier. »