« Ce soir la lune est majestueuse, le firmament retient son souffle devant tant de rondeur. Un bruissement d’ailes se fait entendre, un hymne à la grande Dame chanté par les papillons de nuit ». Madelon regarde là-haut briller l’objet céleste et soupir d’aise. Les deux amies sont assises sur une couverture dans le parc du canal, c’est une agréable soirée. « Est-ce que tu aimes ces vers Cendrine ? C’est ce beau ciel ce soir qui m’a inspirée ».

—C’est ravissant, tu es très douée Madelon. Comme je voudrais pouvoir m’exalter devant la pleine lune moi aussi. Bien sûr, c’est un splendide tableau, mais tantôt je m’endormirai en l’oubliant …

—Tandis que moi, je vais vibrer toute la nuit en repensant à ce moment.

—Tu es vraiment un être à part, à la fois doté d’une grande sensibilité et d’une force qui te rend invincible…et te protège aussi, j’en suis convaincue.

—Cendrine, tu es une fée. Non! tu es ma fée des étoiles et je t’aimerai toujours.

—Tu es trop gentille ma petite.

—Non vraiment, tu es une femme qui sait écouter, qui ne juge pas et qui adore s’amuser. Une rose dans un champ d’orties.

Madelon met sa tête sur l’épaule de sa fée des étoiles et pointe son doigt vers la lune qui baigne dans une lumière phosphorescente. Cendrine contemple la lune et se dit que tout va bien à présent. Odette et Madelon ont pu réintégrer leur logement après qu’Adélard se soit rendu aux autorités. C’est un Alfred un peu penaud qui a cogné à sa porte, tout juste le lendemain soir de ses retrouvailles avec ses amies, pour l’informer des derniers événements. Il avait cherché son frère pendant des jours dans les endroits que celui-ci fréquentait avant de partir travailler dans le Grand Nord. Alors qu’il était sur le point d’abandonner ses recherches, il l’avait reconnu parmi les clients d’un bar miteux, seul, penché au-dessus d’un bock de bière à moitié bu, sur la table devant lui, cinq grands verres vides alertaient sur son état. Alfred amena son frère chez un ami en qui il avait confiance, en banlieue, dans une maison un peu isolée. Une fois ce dernier dégrisé, ils parlèrent à cœur ouvert. Adélard avoua être entré par la force chez Odette, de l'avoir menacée, mais qu’en entendant hurler le jeune, il s’était tout à coup repenti d’avoir agi de la sorte et s’était enfui par les escaliers de secours. Depuis son méfait, il traînait dans les coins mal famés et buvait comme un trou. Adélard semblait complètement anéanti, remâchait sans cesse qu’il avait gâché sa vie, qu’il n’avait pas su être un bon mari, ni un bon père et pire encore, il admettait qu’il n’aurait jamais dû se marier et qu’Alfred aurait été un meilleur parti pour Odette. L’homme ayant posé des gestes incriminables était usé, fatigué, il n’avait plus rien du redoutable voyou d’autrefois. Quelque chose dans son corps se brisait.

Alfred a déménagé la semaine suivant l’incarcération de son frère. Il retournait dans le village de son enfance avec l’intention de s’impliquer dans l’un des organismes de la région qui venait en aide aux hommes en difficulté. Cendrine pensa qu’Alfred avait trouvé une façon de racheter le mal qu’avait pu commettre son frère.

Odette et Madelon, de leur côté, embrassaient une nouvelle vie faite de petits bonheurs et de rires. Elles pouvaient vivre au quotidien sans inquiétude. Même qu’un jour, alors qu’Odette prenait l’air sur son balcon, un monsieur marchant avec une canne s’arrêta pour la saluer. Vu d’en haut, il apparaissait minuscule sur le trottoir. Toutefois, les six étages qui les séparaient ne firent pas obstacle à ce premier contact amical. Les jours suivants, le monsieur passa et repassa, envoyant toujours la main à Odette, qui sortait de plus en plus souvent sur son balcon. Cela aurait pu prendre fin subitement si Madelon n’était pas descendue à la rencontre de l’inconnu par une belle journée ensoleillée et si elle ne l’avait pas invité à prendre le thé avec sa mère. Autrement, Hubert, un homme d’une vingtaine d’années de plus qu’Odette, beaucoup plus grand en personne que la distance du sixième étage jusqu’au sol n’avait permis de supposer, ne serait peut-être jamais entré dans leur vie.

Madelon avait ce flair unique pour reconnaître les êtres bienfaisants.

Cendrine et Madelon rentrèrent au complexe d’habitation bras dessus bras dessous. À leur étage, des boîtes en carton avaient été soigneusement pliées et ficelées, celles-ci attendaient sagement appuyées contre le mur du couloir. Elles témoignaient d’un récent aménagement.

—Cendrine, c’est sûrement celui ou celle qui sera ton nouveau ou nouvelle locataire.

—Oui, on verra bien qui s’amène à notre étage.

—Quelqu’un de bien, j'en suis certaine. Ça ne peut être qu’une bonne personne. Tu savais que le nombre 6 évoque la féminité, la beauté, l’amour et la famille. Qu’en numérologie ce chiffre est synonyme de compassion, compréhension et harmonie. Le 6 représente le gardien, celui qui protège et veille sur ceux qui lui sont proches.

—Dis donc, tu en sais des choses ma belle Madelon. Réflexion faite, nous habitons à l’étage du bonheur parfait, parmi les fées, les poètes, les illustrateurs de livre pour enfants…

—C’est vrai, c’est le travail que fait Odette

—De gens bien intentionnés…

—Tu penses à Alfred.

—Évidemment, il n’était pas parfait, mais je me suis bien amusée avec lui.

—Il va te manquer.

—Hum! Je ne crois pas. Maintenant que le calme est revenu, mieux vaut le préserver.

***

Après avoir laissé Madelon, la première chose que fait Cendrine en entrant chez elle est de coller son oreille au mur mitoyen avec l’appartement voisin, où une personne a aménagé en après-midi. Mais, elle n’entend que le silence, pas le moindre bruit pouvant lui donner un indice quelconque qu’un être humain s’y trouve.

Le lendemain matin, à peine éveillée, Cendrine perçoit le son de grelots. Elle se lève précipitamment et se rend à pas feutrés jusqu’à la porte d’entrée de son logis, convaincue que le bruit vient du couloir. Pourtant, tout y est silencieux. Elle est arrivée trop tard ou peut-être que le son venait d’ailleurs.

Laissant pour l’instant ses investigations, elle se prépare un café et une omelette, s’installe à la table devant les grandes fenêtres, regarde passer un énorme navire marchand avec sa cargaison, soupire en se faisant à elle-même une réflexion, « le calme c’est bien, mais ce n’est pas tellement excitant ».

À dix heures pile, elle sort pour faire des courses. En sortant de chez elle, elle remarque sur le paillasson de la porte voisine deux paires de souliers à grelots, du genre que porteraient des lutins.