‹ Tu te souviens l’avoir eue avec toi à quel moment pour la dernière fois? ›, s’informe Ronald sur un ton très empathique.
‹ Je croyais l’avoir mise dans la poche de mon short comme je le fais toujours. But I don’t understand what’s happened. It’s not there anymore. Et je n’ai pas quitté la plage depuis ce matin. ›

Je constate que ‹mon gaillard› est beaucoup plus à l’aise en français qu’il ne voulait me le laisser croire… Et il parle de la clé de son auto au singulier car c’est une clé électronique sous forme de carte de crédit.

‹ Vous l’aviez sur vous quand vous êtes allé nager après votre intervention auprès de ces dames … ›, lançais-je plutôt timidement, sans aller plus loin. Je ne voulais pas qualifier trop rudement l’altercation puisque Maddy se trouve en face de moi. Et je ne tiens pas non plus à avoir l’air trop fouineuse. C’est bien assez que Ronald m’ait repérée, jumelles aux yeux, scrutant les gens sur la plage, je n’allais pas en rajouter!
‹ Oh!… Maybe you’re right! I didn’t think of that… Je vais peut-être devoir retourner à l’eau. Mais il me semble que j’aurais senti si je l’avais perdue ainsi, non? ›
‹ Mais ce qui est clair, c’est qu’elle n’est plus sur vous, ni ailleurs d’ailleurs. Alors forcément, vous l’avez perdue à votre insu. À moins que quelqu’un ne vous l’ait volée…? › C’est encore moi qui joue les enquêteuses. Et autant Ronald que Maddy me donnent raison.

Thomas se gratte la tête d’une main, en regardant au sol, l’autre main sur la hanche. Il réfléchit mais se rend finalement à l’évidence: il doit tenter de récupérer sa clé au fond de l’eau car c’est la seule piste qu’il a pour espérer mettre la main dessus.

Nous le regardons s’éloigner et je me tourne tout de suite vers Maddy, qui, visiblement mal à l’aise, semble vouloir maintenant me raconter son histoire. Je l’arrête cependant en lui proposant plutôt de venir chez moi, à quelques pas d’ici, où je l’écouterai avec plaisir tout en réparant sa chemise. Ce à quoi elle acquiesce avec enthousiasme. Nous saluons Ronald qui nous envoie la main du fond de la salle où il est en train de nettoyer une table.

Je suis ravie d’avoir enfin une vraie rencontre avec quelqu’un d’ici! J’installe Maddy dans le plus confortable fauteuil de ma petite maison. Elle se retrouve donc devant la fenêtre donnant sur la terrasse d’où je l’observais tout à l’heure dans des circonstances bien différentes. Et à son regard, je comprends qu’elle sait que j’ai vraiment tout vu.

Je lui fais tout de suite enfiler l’une de mes chemises pendant que je m’installe pour repriser la sienne. J’ai un petit pincement au coeur en la voyant revenir s’asseoir avec moi, car ce vêtement appartenait à ma soeur qui nous a quittés l’an dernier. C’est la première fois que je vois quelqu’un d’autre la porter. C’est un pièce de vêtement magnifique en pure soie, comme la sienne, et Maddy la porte avec autant de grâce que ma soeur Odile le faisait. Elle me tire rapidement de mes pensées, en me disant:

‹ Je suis désolée que votre opinion de moi soit basée sur ce que vous avez vu tout à l’heure sur la plage. J’avoue que j’ai honte. Je ne sais pas trop ce qui s’est passé… Il m’arrive de m’emporter plus souvent que je ne le voudrais depuis quelque temps. J’ai peut-être besoin d’un vrai et long repos. ›

Elle a parlé doucement, sans artifice et sans quitter la mer du regard. Je l’ai sentie sincère et vulnérable. Évidemment que j’ai mille questions à lui poser, mais j’avance avec précaution, je ne voudrais pas qu’elle se referme.

‹ Peut-être travaillez-vous plus que d’habitude ces temps-ci? Le stress est parfois sournois, tentai-je délicatement. ›

Elle détourne le regard de la fenêtre, et se tourne vers moi. Elle m’apprend qu’elle est comptable, chef de mission dans une succursale d’une grande entreprise française qui a pignon sur rue sur Ducos à une vingtaine de minutes d’ici.

‹J’adore travailler dans les chiffres et gérer des équipes. Mon travail est satisfaisant et bien payé. J’aime aussi mes collègues. ›

‹ Alors, le travail ne semble pas être une source de problème, rétorquai-je maladroitement avant d’ajouter:
La vie n’est jamais facile pour personne. Nous avons tous nos problèmes même si certains ont l’air de ne pas en avoir. Tout le monde fait face à des défis petits et grands. ›
Je tentais de la mettre à l’aise afin qu’elle ose se laisser aller à la confidence. Je la sentais hésiter. Mais elle choisit de parler:
‹ J’ai eu des problèmes dernièrement avec un ex-amoureux qui a décidé de me pourrir la vie puisque je ne veux plus la partager avec lui! C’est un homme plutôt violent qui n’est pas habitué à se faire dire non. Alors, il ne lâche pas le morceau! Et ça me rend nerveuse. ›
‹ Je vois. Je n’ai jamais eu ce problème, mais j’ai une amie qui a subi cette violence et ça la tenait en état permanent d’hypervigilance. Elle avait très peur de son ex-mari. Elle a été chanceuse puisqu’il a fini par quitter la ville. ›

Maddy m’a raconté tout le stress qu’elle vit, à chaque jour, craignant de le voir apparaître partout où elle se trouve. Il lui fait vraiment la vie dure, la menace, la suit. Il l’a déjà frappée plus d’une fois, alors elle craint vraiment pour sa sécurité et ça dure depuis plusieurs mois. La police ne peut, ou ne veut, rien faire. Maddy est à cran et ne contrôle plus ses réactions comme en témoigne la scène disgracieuse dont j’avais été témoin plus tôt sur la plage. Elle a sincèrement pensé que la femme du couple avait déplacé ses affaires et elle s’est emportée lorsqu’elle a cru que cette personne lui mentait. Et toute sa frustration et sa rage des dernières semaines ont profité de la brèche pour s’exprimer librement.

Surprise de se voir agir de façon si exagérée, totalement hors de contrôle, comme une folle, elle se demande maintenant si pour avoir la paix, elle ne devrait pas partir au loin. À ce moment-là, elle m’apparut fatiguée, découragée. Je voulus lui faire sentir que je la comprenais. Je lui ai demandé si je pouvais faire quelques chose pour elle. Mais elle refusa poliment mon aide.

J’avais eu le temps de compléter la réparation sur sa chemise et, pendant qu’elle se changeait dans ma chambre, je me demandais si j’irais plus loin dans cette relation. J’étais tentée de me faire une amie de cette femme que je découvrais sensible et intelligente, mais en même temps, les gens à problèmes, j’avais déjà donné. J’étais venue ici pour avoir du plaisir. Pas pour jouer les consolatrices et me faire l’alliée de la victime d’un connard qui pourrait aussi bien finir par s’en prendre à moi!

De retour au salon, sa sollicitude et sa reconnaissance m’ont tout de même fait chaud au coeur. Maddy était très heureuse de voir qu’il n’y avait plus aucune trace de dommage sur son chemisier. Elle m’a aussi dit le bien que cela lui avait fait de parler, que cela lui arrivait très rarement qu’elle me remerciait pour cela aussi.

Et elle ajouta du même souffle que pour fêter notre rencontre, elle avait envie de m’emmener souper dans un petit resto sympa qu’elle connaissait à l’Anse Mitan. Comment refuser une si sincère invitation? Moi qui ne manque jamais une occasion de passer un bon moment et de voir du monde, je n’allais certainement bouder mon plaisir!

C’est en arrivant au bar de la plage pour y prendre la voiture de Maddy que nous avons la surprise d’y voir Thomas attablé sur la terrasse. Il est au téléphone et il prend des notes. Il a l’air contrarié. Nous arrêtons pour nous informer auprès de Ron au sujet de la fameuse clé.

La barman nous explique que non seulement, Thomas n’a pas retrouvé sa clé, mais qu’il devra attendre que le locateur de sa voiture lui en fasse parvenir une nouvelle. Mais c’est l’heure de fermeture du commerce et le propriétaire de l’agence de location doit d’abord tenter d’entrer en contact avec son employé pour le convaincre de faire cette livraison en dehors de ses heures de travail. Et ladite clé de secours se trouve à au moins une heure trente de voiture d’ici.

‹ Et ce n’est pas tout, il devra aussi payer pour ce dommage. On parle d’une somme proche de 700 €. Thomas est en furie! ›, ajoute Ronald.

Nous sommes désolées pour lui. Et je crois lire dans les pensées de Maddy qu’elle se sent un petit peu responsable de ce très fâcheux contre-temps qui accable Thomas.

En effet, c’est après avoir mis fin à la ‹bagarre› qu’elle avait initiée qu’il s’est jeté à l’eau. Il avait probablement l’esprit un peu troublé ce qui lui a peut-être fait oublier la présence de sa précieuse clé dans la poche de son short. Ou pas. Pour ma part, je n’irais pas jusqu’à culpabiliser Maddy car en fait, c’était une mauvaise idée dès le départ de garder un objet de cette valeur dans la poche préalablement abîmée - et qui ne ferme même pas - d’un maillot de bain.

Je suis néanmoins touchée par ce qui lui arrive. Mon gaillard était mon héro de la journée et de le voir se débattre dans les emmerdes administratives me peine. Il me vient même une idée audacieuse et je me tourne vers Maddy pour en tester la validité:

‹ Il en a pour au moins une couple d’heures à attendre ici. On pourrait peut-être l’emmener manger avec nous. Qu’en penses-tu Maddy? ›