Quelques semaines ont passé depuis la visite de son fils.

Tiens, un appel de Simon, j’espère que tout va bien.

-Maman, ça ne va plus. Angela doit rester couchée toute la journée pour tout le reste de la grossesse. La prescription est repos, repos et repos. On a besoin d’aide, de ton aide.

Angela est orpheline, ses parents sont décédés et elle était fille unique. Ses amies veulent bien prêter main-forte, mais elles travaillent et elles ont aussi leurs obligations familiales. Ils ont pensé engager une « nounou » pour aider, Simon n’a pas aimé les entrevues, il n’a pas confiance en la personne.

- Je comprends votre besoin, cela voudrait dire que je devrai aller vivre temporairement à San Francisco pour le temps de gestation et pour vous assister après l’accouchement?

- Oui, c’est bien cela, est-ce possible pour toi?

- Je vais y réfléchir et te revenir, d’ici là, tente de te calmer un peu. Je comprends ton inquiétude, mais il ne faut pas qu’elle se déjette sur le dos d’Angela. Le stress du “repos imposé” est suffisant, elle n’a pas besoin de se sentir coupable en plus.

Assise sur le fauteuil du salon, les yeux fixés vers la fenêtre, Juliette regarde le fleuve et elle est chamboulée par la demande de Simon. Bien sûr, il est normal de se tourner vers ses parents pour crier à l’aide. Jamais elle n’aurait anticipé une si grande demande qui lui impose de choisir l’autre encore une fois.

Elle décide de peser le pour et le contre pour mesurer les impacts qu'auraient sa décision sur sa vie de femme retraitée versus sa vie familiale. Bien sûr, ses enfants vivant géographiquement aux antipodes l’un de l’autre et elle au centre lorsqu’elle vivait à Washington DC faisait en sorte qu’elle voyait rarement ses enfants en personne. Les communications étaient fréquentes via des appels, des textos ou des vidéos sur FaceTime. Depuis plusieurs années que son mari est décédé, elle s’est habituée à vivre seule, à penser à elle et à faire ses choix en conséquence de la joie que l’action lui donnera.

Là, Simon lui demande de s’oublier, de s’expatrier dans une ville qu’elle connaît moins, de vivre en famille dans leur maison. Elle aime bien Angela, mais elle n'est pas sa fille. Comment se sentirait-elle en étant au service de l’autre et d'avoir à répondre à ses besoins physiques et moraux ? Elle est déchirée.

Une fois le tableau complété, le constat est que la seule raison pour laquelle elle irait aider Simon pour les cinq mois avant l’accouchement est pour des raisons de culpabilité qui la dévore de l’intérieur. Elle se sent responsable de leur bonheur alors qu’ils sont tous les deux des adultes. Elle réfléchit et se dit que probablement que Simon était dans le "peak" de son émotion de panique lorsqu’il lui a fait cette demande. Il était la victime et sa mère devenait son sauveur. Un jeu émotionnel qui sous-entend de la manipulation.

- À qui puis-je parler de ce que je vis sans que la personne ne me juge, me traite de mère-ingrate et qu’elle juge que mon enfant est un gougeât? Son nouvel ami ne porterait certainement pas de tels jugements.

Elle appelle René et lui laisse un message dans la boîte vocale.

- Bonjour René, comment vas-tu? J’aurais besoin de bénéficier de tes bons conseils pour un problème que je n’arrive pas à résoudre toute seule. Je sais que cette semaine la petite Juliette est chez sa maman. Est-ce que tu pourrais passer chez moi ce soir après ton travail? Je t’invite à souper.

René répond par texto au message vocal de Juliette. Avec plaisir, j’arriverai vers 17h30.

Enchantée, Juliette est convaincue qu’ensemble ils trouveront une solution gagnante pour tout le monde.

Durant le souper, Juliette explique les tenants et aboutissants de la demande de Simon. Elle est quelque peu en panique parce qu’au fond d’elle, elle est déchirée. Son cœur lui dit non, alors que sa tête lui dit oui. Si seulement c’était son cœur qui disait oui, la question ne se poserait même pas et elle serait déjà au chevet d’Angela.

Malgré son jeune âge, René a une sagesse et une douceur qui font du bien à l’âme. Tous deux en viennent à la conclusion que le mieux serait d’aller chez Simon pour un court séjour de deux ou trois semaines pour les aider à trouver les bonnes ressources. Certaines solutions ont été trouvées avec René, à la suite de recherches qu’ils ont effectuées sur Google, dont certaines associations de parents de grossesses multiples, des associations pour qu’ils se sentent moins seuls, qu’ils bâtissent un réseau pouvant les accompagner dans les défis à surmonter. Ensuite, Juliette pourra faire des suivis téléphoniques pour avoir des nouvelles et se déplacer lors de la naissance des triplés pour rencontrer ses petits-enfants et aider dans les premières semaines.

Enchantée de sa soirée, Juliette remercie son nouvel ami qui devient de plus en plus précieux. Elle a hâte d'annoncer la bonne nouvelle à Simon!