En premier, je réponds aux nombreux textos de Tom, alias Thomas, qui pourra le partager avec Andrée, ma soeur numéro 1.

——— Ne pouvais te répondre, ondes brouillées par hélicoptères. Grosse présence des Gorillas Girls (demande explications à ta femme). Lolita arrivée la dernière avec Didier. Il semblait en contrôle et aussi connaître la Dame en charge de la manifestation. Il est retourné à l’intérieur du Palais de Justice. Aucun dénouement possible n’a transpiré parmi la foule en se séparant. À suivre ce soir au Grand Journal. On s’en reparle. ———

Bon, en voilà un qui ne s’acharnera plus à mon esprit jusqu’à demain et Andrée, informée par nous deux, veillera sûrement à temporiser l’impatience du beau-frère !

Claire m’offre le gîte car la noirceur pointe à l’horizon et il serait plus prudent d’attendre au lendemain pour reprendre la route vers Québec. Nous prenons calmement la kyrielle de feux rouges. À présent nous ressentons la fatigue, ayant perdu le feu sacré à faire le pied-de-grue en attente d’une quelconque vedette comme notre adolescence en était ponctuée. Nous décidons même de casser la croûte dans un bistrot du Vieux-Port, histoire de nous détacher de cette grande effervescence vécue plus tôt. Mais surprise ! en arpentant les dalles de cet endroit populaire, déjà les airs de Noël égayent l’endroit et les badauds ! Tout un contraste tel que nous le souhaitions ! L’heure du magasinage des Fêtes semble déjà en opération charme !

Réveillée tôt, je me suis préparée à reprendre la route, confiante que Mimi a déjà pu s’entretenir avec Didier afin de connaître les tenants et aboutissants du célèbre procès. J’ai déjà hâte de franchir le seuil de ma porte afin de relancer ma soeur ou mieux… de me rendre directement chez-elle, car son visage vaut mille mots à un appel téléphonique. Claire, en bonne hôtesse, cuisine en un temps deux mouvements de délicieux croissants — merci à Pillsbury — coiffés de sa légendaire confiture au pimbina, recette reçue de sa marraine dont elle a toujours fièrement reproduit le processus de conservation de ces petits fruits rouges, méconnus dans nos grandes villes.

Contente de l’horaire prévu, je roule maintenant sur la 20, soulagée d’avoir terminé cette escapade dans la métropole et au Palais de Justice où j’y ai vécu une gamme d’émotions à l’opposé de ce que j’avais prévu. J’ai tout mon temps pour réfléchir aux suites plausibles de cet événement, pour le moins perturbateur dans notre clan familial. Est-ce que Mimi sera en mesure de m’informer sur cette femme et son intrusion à la manifestation ? D’où lui vient un certain charisme pour s’adresser à une foule tantôt tumultueuse, tantôt silencieuse ? Et quel est le lien avec Didier de la femme avec qui il semblait argumenter pour qu’elle temporise cette huée féministe ? Plus encore, toutes ces femmes portant le blanc… qu’avaient-elle en commun avec Lolita ? Et puis, les Gorilla girls ont franchi nos frontières ! Qui les avait invitées ?

L’imagination et l’élaboration de mes propres perceptions m’ont accompagné tout au cours des kilomètres parcourus. Enfin, après un bref arrêt à la maison pour un léger dîner et rendre compte à Michel de ce qui c’était passé, il m’apprenait que les différents postes de télé ne semblaient pas diffuser tous les mêmes résultats ou suites probables au procès abondamment médiatisé. Raison de plus pour m’enquérir auprès de Mimi l’issue que Didier semblait privilégier.

Le souffle court, j’attendais fébrilement d’apercevoir une ombre que la dentelle du rideau ne pouvait dissimuler. En m’ouvrant la porte, Mimi semblait plus détendue, presque souriante. Oh ! Je connaissais bien ma benjamine… Étant l’aînée de la fratrie, que de fois j’avais désamorcé les drames anodins de mes jeunes sœurs, ceux-ci allant de la chaîne de vélo débarquée à un rendez-vous promis simultanément à deux petits copains… et pour le moins qu’on puisse le dire, Mimi avait toujours eu le tour de se mettre les pieds là où il ne fallait pas !

Salut ma Chère ! As-tu le goût d’un bon beigne ? Didier s’est arrêté dans une crêperie en bord de route et en est ressorti avec une montagne de beignets, on ne pourra jamais tous les manger !

En espérant arriver dans un bon temps pour le bavardage, je ne pouvais croire ce propos jovial saluant mon arrivée.

Bien oui, j’ai tout mon temps puisque Michel a déjà prévu souper chez notre fils.

Didier, tant qu’à lui, était passé pour rassurer Mimi, puis avait filé tout droit au bureau du Doyen qui l’attendait. Il tenait à lui rendre compte du déroulement du procès. Il faut dire que le Doyen et tous les professeurs de droit avaient d’abord siégé sur différents procès, reconnus à jamais célèbres; c’est ce qui étoffait autrefois leur curriculum vitae dans l’espoir d’obtenir un poste d’enseignant.

Selon ce que Mimi avait appris, Didier était satisfait de sa plaidoirie, bouclant ainsi son assistance auprès de Lolita. Bien que connaissant parfaitement le point de Loi concernant les conjoints non-mariés, il avait mis tout en œuvre pour assurer une défense pleine et entière en faveur de Lolita. Mais la Loi, c’est la Loi ! La Cour avait confirmé la constitutionnalité du régime québécois pour les conjoints de fait. Me Ann Audrey Goldberg de Montréal, acolyte au dossier, avait elle aussi brillamment défendu les intérêts de Lolita. Au sortir du Palais de Justice Me Goldberg, ne décolérant pas de l’issue de toutes ses heures de travail, de réflexions et de recherches, lui avait tout simplement signifié qu’elle préférait rentrer chez-elle. Fait inusité: Didier avait remarqué ses traits tirés par une amertume qu’elle ne pouvait cacher.

Étant lui-même déçu du résultat, chemin faisant vers Québec, il élaborait déjà une ébauche de tactiques pour les présenter à la Cour Suprême du Canada, se disant qu’il devait bien y avoir une jurisprudence ailleurs, dans les provinces de l’Ouest. Mais, à vrai dire, Lolita ne lui avait même pas donner le mandat d’une pareille suite du dossier… Tout, pour le moment, demeurait dans son imaginaire.

Deux jours s’étaient passés où, cette fois-ci, Mimi se présentait à la maison pour prendre un café. Je gardais en tête une question primordiale à lui poser. Tout d’abord, elle se disait extrêmement soulagée : Didier ne lui avait jamais paru autant détendu et ce, depuis fort longtemps ! Il avait utilisé toutes ses connaissances pour ce dossier mais, au grand jamais, il ne pourrait ignorer ce principe de la loi, tel que décrit au Code Civil. Au fond de lui, il se sentait soulagé que le juge le spécifie clairement et même sévèrement à Lolita car lui, il n’avait jamais réussi à ce qu’elle donne foi en ses arguments légaux maintes fois exprimés.

Les femmes habillées de blanc dans le chaos de la manifestation, étaient en fait les membres vivant à l’abbaye et, comme un essaim d’abeilles s’échappant de la ruche, elles avaient titillé puis enrôlé leurs connaissances et amies déjà sensibilisées à la cause des conjointes “oubliées” par la Loi du Québec. Toutes ces femmes réunies faisaient légion d’honneur pour le mouvement RÉVOLTE AU FÉMININ en arborant fièrement le blanc comme symbole de paix. N’eut été de la présence de ces Gorilla Girls, venues d’ailleurs, la manifestation aurait été hautement appréciée tant par son calme que par son message.

Je n’avais qu’une question. Devais-je la réserver pour plus tard ? Mais cette femme dont la voix portait haut et fort dans un climat si houleux, qui était-elle ? Présente au Palais de Justice, je pouvais en témoigner. Mais Mimi continuait à me raconter les péripéties du beau-frère.

En cherchant sur Internet afin de trouver une sorte d’ermitage pour se réfugier à l’abri des menaces collées à son pare-brise, Didier était tombé sur celui que “Mina” dirigeait sans que son nom de famille y soit mentionné. Il ne pouvait jamais s’imaginer qu’elle était la même, qui autrefois, partageait les activités de sa sœur Faustine ! Ce n’est que rendu à l’ermitage, choisi pour la discrétion des lieux, qu’il avait reconnu l’amie, écrivaine à l’époque. Et, le premier soir après la rencontre de groupe, Mina lui avait parlé de sa frangine et de son implication dans le mouvement. Cette dernière avait finalement quitté la France pour se rallier avec les Gorilla Girls. Didier était sous le choc ! Sa petite sœur vivait à quelques heures de chez-lui sans jamais l’avoir su ! Il avait vite constaté en arrivant au Palais de Justice qu’elle était bien là, avec les autres venues aussi d’ailleurs. Elle excellait à imposer l’autorité, le calme et la détermination à conjuguer avec toutes les réalités de ces autres femmes, les Canadiennes, sinon les Québécoises. Elle les rassurait que tout rêve leur était permis ! Les Femmes deviendraient plus solides pour se faire respecter dans leurs différences et leurs potentialités !

Alors ma question semblait caduque au fil de cette conversation à savoir qui était la femme ? Mimi, je le sentais, ne semblait plus malaisée pour me donner une réponse. Il n’y avait aucune anguille sous roche, ni abcès à crever et ni secret à taire. J’apprenais un peu de ce qu’avait été la vie de Didier auparavant ?

Ayant lui-même fait la paix avec son passé, quelque peu anarchique, Didier n’avait jamais cru opportun de renouer avec ses parents. Par télécopieur Il les avait pourtant rejoints pour leur 50e anniversaire de mariage mais sans plus. Il se disait nullement intéressé par sa fratrie, vivant tous dans l’entourage des parents. Et depuis toutes ces années Mimi n’avait plus insisté, ni même rencontré les membres de sa belle-famille. À vrai dire il ne s’imaginait pas qu’une de ses sœurs désirait prendre la même bouffée d’air que lui… ses parents avaient passé sous silence ce fait si dramatique pour eux. Cette révélation avait été la cause du grand désarroi de son homme ! Mimi connaissait quelques chapitres de sa jeunesse, allant des nuits entières à faire le pitre jusqu’au bateau accosté à Marseille mais, par respect, elle n’avait jamais cru bon l’asticoter davantage pour déterrer ses expériences pénibles de jeunesse. Plus encore, Mimi en n’avait jamais glissé mot à ses sœurs.

Ce soir-là, au départ de Mimi, je me sentais épuisée… telle une terre maintes fois remuée dans son sillon. Puis le sommeil engourdissait presque mes réflexions. Que d’éléments nouveaux s’ajoutaient au grand bouleversement de ces derniers jours !

Éveillée au beau milieu de la nuit, comme par magie, une pensée martelait ces mots décousus dans ma tête…

Groupe de Femmes

Véritable consensus

Pouvoirs inconnus…

Enfin ! Je comprenais le défi du haïku lancé par Mimi, ma chère sœur numéro 2…