scène 9 – décembre 2020 – quelques part au Mexique

Après quelques semaines passées à Colima, je décidai de partir à la découverte d’autres endroits que le Mexique cache merveilleusement et, évidemment, de retrouver égoïstement ma solitude, perdue avec ma volonté de remplir ma mission d’ange gardien, hors de mon contrôle. La compagnie d’Alice est agréable et joyeuse. Seulement, je venais de réaliser que le sentiment de vivre des moments comme j’en avais vécu avec ma mère me pesait terriblement. Le temps se faisait donc pressant de m’évader. Comme je l’ai toujours fait depuis mon adolescence ; Montréal, Paris, Yemen, Napoli, la CDMX Colima… ailleurs !

Ne voulant surtout pas que les années aient une emprise sur mon temps, non pas sur ma « maturité » débutante malgré les signes évidents qu’ils sculptent mon corps et mon visage, mais sur la réalité de la vie ; la séduction – du moins - ne semblait pas prendre une ride. Heureusement que les mexicain(e)s aiment les vieux. Bref ... Je devais partir et vivre ma vie d’éternel célibataire. Et non pas de « vieux garçons », horrible expression qui ne convient plus au XXIe décomplexé.

A ma décision, Alice m’écouta et m’encouragea en me souhaitant un bon voyage où que j’irai. Quant à elle, elle pensait retourner à Montréal pour les fêtes de fin d’année mais l’idée d’un froid insupportable et d’une neige encombrante la laissait songeuse et même agressive. Je lui conseilli de profiter de son pays d’adoption et, pour sa sécurité, et pour son climat et pour ses plages, et de ses…surfeurs. Elle me sourit affectueusement et me serra dans ses bras en m’assurant de ne pas m’inquiéter. Elle resterait à Colima avec ses amis mexicains. En fait, Juan, Maria et les enfants étaient devenus sa famille. Celle sur qui – maintenant – elle pouvait compter sans crainte et personne - seuls Tarzan et moi -savait où elle était partie. Son appartement à Montréal était loué au nom de Tarzan qui lui transférait les loyers perçus sur un compte anonyme au Costa Rica.

Contrairement à mes habitudes de solitaire gâté, j’ai voulu voyager en autocar au lieu de prendre l’avion. Le temps m’était libre. Mais en préparant l’itinéraire, je m’aperçus que je devais passer par la CDMX et que certains endroits - par la route - n’était peut-être pas sécuritaires pour un gringo voyageant seul. Il y a tant de légendes et, aussi, de réalités. Je pris donc l’avion…survolant les paysages montagneux de la Sierra Madre del Sur, vers cet état du sud-ouest, équivalent à trois fois la Belgique ; Oaxaca.

scène 10 – 10 décembre 2020 – Oaxaca

L’hôtel Azul dont le jardin et une des suites furent dessinés par le grand artiste mexicain Francesco Toledo, mort l’an dernier, qui fut l’un des « promoteur culturel engagé, l’artiste, dont les œuvres ont été exposées dans les plus grandes capitales, défendait avec ferveur la cause indigène et celle de l’environnement. Les animaux, insectes et autres squelettes, peuplent son univers créatif aux tons chauds, mêlant art et artisanat. Une esthétique de la nature, anthropomorphique, fantastique, parfois érotique, qui sublime les traditions d’une civilisation indigène millénaire. » écrivit Frédéric Saliba dans son article obituaire dans Le Monde daté du 19 septembre 2019.

J’aime ce lieu citadin colonial dont l’architecture et la décoration à la mexicanidad contemporaine remplissent les odeurs de soleil et de mezcal.

Mon sac défait et rangé, un pantalon en lin gris perle, mon t-shirt en lin vert amande acheté dans ce concept store de la capitale, Avenido President Mazarick, mes sandales capreses trouvées à Ortigia dans cette boutique typiquement sicilienne et, mon fidèle sombrero discret en paille de Teotitlan del Valle, je traverse le hall d’entrée sans m’empêcher de prendre une photo de l’harmonieux jardin avec son bassin d’eau étendu horizontalement et son mur de cactus millénaires. Dans la calle Manuel Abasolo, je longe cette rue colonialement étroite et me dirige à l’Hotel Los Amantes, cette boutique-hôtel au design épuré et mexicain, avec sa terrasse sur la vue grandiose du Templo Santo Domingo. Je suis ravi. Comme à l’habitude je m’installe à la table près de la rangée de cactus qui grâce au parasol noir protège agréablement le soleil de sa chaleur de décembre. Une cerveza* artisanale, un mezcal los amantes reposado et un guacamole accompagné de chupalines* sont mes péchés-mignons lorsque je viens dans cette ville fascinante, vieille de plusieurs milliers d’années comme en témoignent les différents temples aztèques de la région ; Monte Alban, par exemple, étant le plus connu.

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*bière

**sauterelles

Scène 11 – 10 décembre 2020 – Santa Maria Atzompa

En contemplant le Templo Santo Domingo sous un soleil plombant, à l’architecture baroque hispanique, construit par les Dominicains et inauguré en 1608, je décidai d’aller voir - malgré l’effet de bien-être du mezcal fumé- un ami artisan à Santa Maria Atzompa, à une dizaine de kms du centro. C’est mon ami Louis-Philippe, éditeur d’une maison d’édition d’objets qui me l’a présenté en 2018 lors de l’exposition de la Mexico Design Week au Museo Nacional de Antropologia où il présenta sa première collection d’objets design artisanaux. Un succès…

Sur la route encombrée, parfois cahoteuse, mon chauffeur zapotèque retrouve le village, soit une rue, et m’arrête devant un garage de réparation de voiture. Je lui dis de m’attendre et l’inviterais à prendre une bière au retour.

Au fond du garage, des voitures juchées, capots ouverts, pneus crevés, je découvre l’atelier artisanal de terre cuite où je suis accueilli amicalement grâce au mot d’intention de Louis-Philippe envoyé pendant le trajet. La nouvelle collection est belle et fine. J’aperçois sur une étagère un vase en production de la collection de Louis-Philippe avec mon ami designer Adan. Je prends une photo et lui enverrai avec un petit mot. Peut-être séjourne-t-il à la CDMX ? sauf si la programmation d’expositions en Europe, le retient à Paris ou à Londres ou à Luxembourg ville. Who knows ?

scène 12 – 11 décembre 2020 – Boulemiche - el Centro de Oaxaca, Mexico

Les grandes assiettes, vases et petits verres de mezcal en terre cuite, noire, spécialité de la région - même si le « vrai » barro negro se trouve à San Bartelo Coyotepec, petit village commercial, au sud, non loin de l’aéroport- achetés dans l’atelier Zapatta la veille sont disposés sur le meuble en rotin de ma chambre à l’ambiance discrète mais colorée d’un bleu…azul. Tout en les contemplant, j’ai cette passion pour la terre cuite, toute période et provenance confondues. Entre les Vallauris et les ethniques, mon cœur se balance entre beauté et beauté !

En sortant de l’hôtel ce matin où je m’apprête à prendre mon petit déjeuner dans l’endroit « trendy » de Oaxaca, le Boulemiche, je suis bousculé par un jeune homme, très beau, à l’allure sportive. Instinctivement, je fouille mes poches et, rassuré, je saisis mon portefeuille et mon téléphone. Seul mon sombrero est de travers… et, une soudaine douleur à l’épaule se fait sentir. Putain !

Sans réservation, mais seul, l’hôtesse vêtue d’un legging noir, d’un top assorti et d’une longue et légère chemise en crêpe imprimée de motif d’oiseaux multicolores, cheveux attachés en chignon décontracté m’installe sur une longue table entourée de locaux et de touristes américains. Je commande – comme à l’habitude - un jugo verde, des huevos rancheros* et un café au lait d’amande.

Mon livre « Poussières mexicaines » de Pino Cacucci me fait rêver par ce récit de voyages et me guide dans un Mexique d'un millier d'ethnies, un Mexique qui depuis plus d'un siècle sert de refuge aux vaincus de toutes les guerres civiles, un pays qui n'est pas seulement pauvreté lancinante ou richesse obscène. L’auteur nous fait croiser au fil des pages et des chapitres de singuliers personnages, comme des mécaniciens philosophes et des vendeurs de pneus anthropologues ou des éleveurs de coqs et même une modeste logeuse dépositaire de légendes millénaires – elle me rappelle d’ailleurs Marguerita qui vivait dans sa loge de la rue gay-Lussac lors de mon arrivée à Paris -. Ce livre décrit le Mexique par ces beautés et l’esprit juste qui s’en dégage. Le pays aux innombrables paradoxes. Fascinant. Octavio Paz l’aurait aimé, je pense.

Por favor, otro cafe con leche, demandais-je au jeune serveur**
Bien Senõr***

A ce moment précis, je lève les yeux et aperçoit à la table d’en face, seul, le mec qui m’a bousculé en sortant de l’hôtel et dont la douleur à l’épaule se fait moins sentir. Je le regarde fixement et il me semble l’avoir déjà vu. Je cherche où je peux bien l’avoir vu, rencontré. Impossible de m’en rappeler. Mon téléphone vibre d’un message et regarde l’écran ; un petit mot Whatsapp d’Alice pour m’informer que tout va bien et me demande comment se passe mon séjour où que je sois. Je lui réponds que tout va bien et, là… je lève la tête de nouveau et ma mémoire travaille ; c’est le fameux surfeur qui semblait intime avec Alice. Que fait-il ici ? il me regarde avec un sourire qui me donne des frissons.

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* œufs, tortillas, nachos, purée de haricots, avocat, coriandre, tomates et sauce bien relevée.

** un autre café au lait, s’il vous plaît

*** bien, monsieur