Contrariée, Vivianne se dirige vers la porte d’entrée, la vigueur des coups ne laissant aucun espoir que le visiteur indésirable lâche prise et s’en aille si elle l’ignore. Elle aperçoit sa voisine Cécile à travers le rideau, c’est bien une des dernière personnes qu’elle s’attendait à voir.

-Bonsoir Mme Levasseur…

Le visage blanc et visiblement paniquée, Cécile interrompt vivement Vivianne.

-J’ai besoin d’aide! Léonard…

-Respirez, qu’est-ce qui se passe?

-J’ai entendu un grand fracas dans le salon, une fenêtre brisée, Léonard a crié comme s’il s’adressait à quelqu’un dans la maison…. J’ai figé et je n’ai pas osé descendre du premier étage tout de suite…. Puis c’est redevenu calme et quand je suis allée voir, Léonard était par terre!

Ne faisant ni une ni deux, Julien qui s’était approché de la porte, s’élança à l’extérieur en entrainant Cécile à sa suite.

Bouche bée, Vivianne les suivit plus lentement vers la maison voisine, soulagée que Julien soit là. C’est un bon vivant, plein de charme, qui saurait amadouer sa voisine peu avenante tout en étant doté d’un sang-froid exemplaire dans les situations urgentes. Elle le trouva en train de faire des manœuvres de réanimation sur son voisin âgé. Cécile sanglote et gesticule autour d’eux.

-Appelle le 911!.... Et essaie d’éloigner un peu madame svp, lui dit Julien.

Vivianne s’exécute et tente de calmer Cécile.

-L’ambulance s’en vient, vous devriez prendre une veste, votre sac à main, le portefeuille de votre mari pour que vous soyez prête à partir avec lui.

-Oui mais s’il y avait encore quelqu’un dans la maison?

-Allons, je suis certaine qu’il n’y a pas de danger, mais je vais avec vous si vous voulez.

Elles se dirigent vers la chambre. Vivianne n’est pas rassurée et dirige son attention vers la décoration des lieux pour ne pas céder à la peur. La maison est impeccable mais un peu austère. Des photos ornent les murs, un jeune garçon figure sur certaines photos qui semblent anciennes et un jeune homme sur d’autres un peu plus récentes mais qui datent sans doute de quelques années. Ce jeune homme… elle l’avait déjà vu, mais où?

Cécile interrompit ses pensées avec son flot incessant de paroles.

-Mon pauvre mari, je serai perdue sans lui. Il était si nerveux dernièrement, et il déteste que des gens viennent à la maison, cet intrus l’a sûrement achevé…

-Je suis persuadée qu’il va s’en sortir, Julien fait tout ce qu’il peut… regardez, on voit déjà les feux de l’ambulance qui arrive sur le chemin. Voulez-vous qu’on prévienne quelqu’un? Vos enfants peut-être?

-Pas la peine… Personne ne viendra.

Les ambulanciers prirent Léonard en charge tandis que Julien soutenait Cécile qui tremblait un peu et l’aida à monter dans le véhicule. Il l’assura qu’il allait vérifier si quelqu’un était entré et qu’il barricaderait la fenêtre. La dame lui fit un pâle sourire en lui touchant le bras. L’ambulance parti rapidement et Vivianne se rapprocha de Julien.

-Tu rigoles? On ne va pas courir après un voleur imaginaire alors qu’on pourrait reprendre notre souper…Et s’il existe vraiment, pourquoi prendre le risque de tomber sur quelqu’un de dangereux?

-Bah quoi? Pauvre femme, je peux bien prendre quelques minutes pour placarder sa fenêtre brisée… Ne me dis pas que tu as peur? S’il y a réellement quelqu’un qui est entré dans la maison, il est sûrement déjà parti.

-Tu as raison…. Je suis un peu nerveuse ces temps-ci, je fais des cauchemars. J’imagine des choses depuis que je suis arrivée…

-Et s’il est encore là, ça nous fera une distraction! poursuivit Julien amusé.

-Ok, arrête et finissons-en!

Ils récupèrent une grande planche pour la fenêtre, font rapidement le tour de la maison et ne voient personne. Vivianne s’arrête devant la photo du jeune homme et se rappele soudainement pourquoi il lui semble familier. Il apparaissait sur plusieurs photos qu’Adélaïde avait laissées dans l’enveloppe. C’était qui? Le fils des Levasseur? Julien devient hilare quand Vivianne lui rapporte son questionnement. Il lui souligne que ses vieux voisins désagréables pourraient bien être ses grands-parents biologiques.

-Sortons d’ici avant que je devienne aussi sévère que ma supposée grand-mère!

-Je l’ai pourtant trouvée charmante cette dame!

Ils sortirent en riant et rentrèrent chez Vivianne. Elle réchauffa les plats et servit du vin. La soirée ne s’était pas déroulée comme prévu mais elle était très heureuse que Julien soit là pour détendre l’atmosphère. C’était bien sûr la chose à faire, porter secours à ses voisins, mais Vivianne ressentait maintenant le stress que cela lui avait occasionné. Elle n’avait aucune affinité avec eux, mais voir Léonard inanimé sur le sol et Cécile en panique l’avait peinée. Elle repensait à l’intrus… Est-ce que Cécile l’avait imaginé? Elle était âgée et peut-être qu’elle devenait égarée. Comme son père avant d’être placé en CHSLD, la maladie d’Alzheimer jouait des tours à sa mémoire et son discours devenait décousu, ses souvenirs s’entremêlaient avec le présent. Ouf… un peu comme ses cauchemars des derniers temps.

Julien vit qu’elle semblait fatiguée et lui proposa d’aller prendre un bain pendant qu’il rangeait la cuisine. Elle protesta qu’il était son invité mais il ne lui laissa pas le choix. Elle abdiqua et monta à l’étage. Elle se glissa dans la baignoire et l’eau chaude détendit lentement ses muscles. Elle relaxa un bon moment puis se résolue à sortir du bain pour ne pas laisser Julien seul trop longtemps. Elle enfila un pyjama et un peignoir et descendit au salon. Julien avait allumé un feu. Il était installé confortablement sur le sofa au milieu des papiers et des photos de l’enveloppe d’Adélaïde. Il semblait absorbé par sa lecture.

-Oh désolé de mon indiscrétion! Je suis tombé là-dessus en rangeant la cuisine.

-Pas de soucis, je t’ai raconté ce que je savais, tu sais bien.

-Hum… tu as tout lu?

-Je me suis surtout attardée aux documents légaux. Je rencontre le notaire cette semaine pour clarifier le tout. Le reste, bof, c’est des vieilles lettres, ma mère et ma tante qui s’échangent des nouvelles de moi quand j’étais petite…je ne voulais pas trop en lire pour ne pas être trop triste….

-Hum ouais…

-Oui j’avoue… j’avais peut-être un peu peur de ce que je lirais!

-Ah! Ah! Tu n’es pas passée à travers la pile! Faut pas négliger les détails…. Il y a des lettres d’amour d’Adélaïde et un certain Oscar. Mais le plus intéressant, tu devrais vraiment lire les lettres de ton oncle, le frère d’Adélaïde.

-Celui qui est parti aux États-Unis et a coupé les ponts avec toute la famille? Personne n’a plus jamais parlé de lui. Ça date de très longtemps…

-En tout cas, lui semble te connaître… il t’a écrit!