J’ai tout écouté. Tout entendu. Et franchement… j’ai le goût de rire. C’est ridicule! Mon cerveau est emmêlé. J’hésite entre la colère et l’amusement. Tout ce discours et ces regards… Voyons! Moi, malade ? Alzheimer ? Ou sont mes enfants ? Pourquoi tout cela ?

Wow! dis-je en rigolant. Vous avez travaillé fort pour monter toute cette histoire! Franchement, vous êtes de bons acteurs! Même toi maman! Je suis épatée!

Je continue de rire et je regarde tous les gens qui m’entourent. Tant d’amour autour de moi. Je suis chanceuse d’avoir ces gens qui tiennent à moi. Je suis touchée que l’on prenne le temps d’inventer une telle histoire. Je souris en balayant la pièce du regard.

Mais j’ai soudainement un doute. Pourquoi on me parle d’Alzheimer ? Ils savent pourtant que c’est ma plus grande peur que d’être atteinte de cette maladie neurodégénérative. J’ai tant lu sur le sujet suite à la mort de ma grand-mère il y 5 ans.

Mais…, bégayais-je, que se passe-t-il réellement ?

S’ensuit un long silence malaisant et je me mets à crier :

Qu’est-il arrivé aux enfants ? Xavier! Je veux voir mes enfants ? NON!! Karine est malade ? Elle a eu un accident ? Je suis confuse !! Ou suis-je ? Qui est cette femme ? dis-je en pointant Évelyne du menton. Ou est Jasmin ? XAVIER RÉPOND MOI! OU SONT LES ENFANTS ?
Karine et Jasmin vont bien! Ne t’inquiète pas ma fille! intervient ma mère en me tenant et en me pressant la main. Tout va bien. Tu es malade et nous sommes là pour t’aider, renchérit-elle.

Je sursaute. Ma tête tourne. J’ai la nausée. Je sens que je vais m’évanouir…. je cherche mes repères. Visiblement sentant mon tourmenta m, mère me tend un verre d’eau froide que lui a tendu Évelyne quelque temps auparavant. Je bois et en redemande en tendant le verre. Ma gorge est sèche. J’ai chaud. Tout cela n’a aucun sens pour moi. Je sais que ne suis pas jeune sans être vieille non plus. J’ai seulement 42 ans. J’ai encore toute ma vie devant moi. Une maison, un chalet, deux enfants, un mari aimant et une famille présente. Est-ce trop pour une seule personne ?

Alors pourquoi la maladie s’en mêle-t-elle? Qu’ai-je fais pour mériter cela? J’ai déjà entendu ou lu, enfin je ne sais plus, une citation de Blaise Pascal qui disait : "'Nous disposant toujours à être heureux il est inévitable que nous ne le soyons jamais.” Est-ce cela la réalité? Et ce que je vis présentement ? J’ai tout pour être heureuse et « Boom! » le pire scénario me tombe dessus et me transporte à mille lieux de mon idéal.

Je reste dans ma bulle encore de longues minutes. Mes trois colocs respectent mon silence avec empathie. Dans ce lit qui n’est pas le mien mais qui est d’un confort incroyable. Entre ces murs que je ne reconnais pas, hormis ces portraits de mes enfants et de mon couple que l’on a sans doute disposés là pour une touche de réconfort. On prend soin de moins. Je suis entourée d’amour, je ne peux dire le contraire. On m’explique une situation difficile et on s’attend à ce que je sois courageuse et forte à travers cela. Alors soudainement je respire fortement, sans panique toutefois, et mes yeux s’emplissent de larmes.

Je commence à comprendre et à réaliser ce qui se passe et ce que ces gens essais de me faire comprendre. J’observe à nouveau ces visages doux et amicaux. Je me redresse dans le lit, m’étant un peu affaissée dans ce brouhaha d’émotions. Je m’étire le cou, me dérouille les épaules et me racle la gorge. Je respire de mieux en mieux. Des secondes passent lourdement mais je prends mon temps pour mettre de l’ordre dans mes idées. Mon visage s’éclaire, je souris et de ma voix la plus claire j’affirme haut et fort :

C’est donc ça ce mystère du 23 août! Ha ben maudit!!!

Je laisse un long silence avant de poursuivre.

Alors pour vous et surtout pour Jasmin et Karine, car ils ont encore besoin de moi, je vais me battre et faire ce qu’il faut pour combattre cette foutue maladie.

Se collant contre moi, ma mère me fait un sourire festif et hurle vers les autres chambreurs :

ÇA C’EST MA FILLE! Une vraie battante! Je vous l’avais dit!!!!

Xavier, les yeux pleins d’eau, fait un geste victorieux comme le ferait un vrai fan voyant son équipe sportive préférée remporter le championnat. Cela me touche de le voir ainsi. Je commence soudainement à comprendre certaines réactions de sa part des derniers jours.

Par exemple, quand il m’a répété 20 fois de ne pas oublier d’aller chercher Karine à son cours de gymnastique et que je me suis choquée contre lui en disant que je n’étais pas encore amnésique pour oublier ma propre fille. Ou quand je me suis levée à 9h le matin et que je suis arrivée dans la cuisine, que Xavier et les enfants terminaient leur déjeuner. J’étais un peu surprise et ne comprenais pas trop ce qui se passait. Jusqu’à ce que Xavier me dise « Je te pensais malade, je t’ai laissé dormir mais… ça va? Tu n’es pas prête ? On doit partir chez ta mère pour l’anniversaire de ton oncle Laurent !!! J’étais sur le point d’appeler ta mère pour dire que nous ne pourrions être présents».

Moi qui suis d’habitude la première levée et prête à partir à ce genre d’évènement! J’ai dû courir d’un bout à l’autre de la maison pour me préparer… sans trop savoir exactement pourquoi je devais me dépêcher, ni-même qui est cet oncle !

J’ai de vagues flash de cette journée chez ma mère. J’ai souvenir de m’être couchée avec les enfants très tôt et je me rappelle du visage de déception de ma mère le lendemain matin quand je lui ai dit que c’était agréable de nous avoir invité pour un petit souper pizza. J’ignore ce que nous avions mangé et comment s’était déroulée la soirée, mais cette image me reviens en boucle. Je me rappelle aussi un peu du voyage de retour à la maison alors que Karine disait avoir rencontré son petit cousin Luc. Je ne comprenais pas de qui ou de quel évènement elle parlait. Xavier qui devait voir l’incompréhension dans mon visage, ne devait savoir quoi dire ou comment réagir. J’ai l’image d’un conducteur souriant, pantois.

Avec ces bribes de souvenirs qui me reviennent. Ces souvenirs flous que je croyais peut-être n’être que des rêveries ou des mirages, je dois donc me rendre à l’évidence et accepter ce qui m’arrive. Pour les enfants… ne serait-ce QUE pour eux!

Mes yeux alors se posent sur une Évelyne visiblement touché par cette scène. D’une voix frêle mais sincère, elle me dit une fois de plus :

Je vais t’aider si tu permets.