- Oui, tu as raison. On dirait bien qu’on est suivis. Mais qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour me trouver dans de tels draps!...

- Ce que tu as fait au bon Dieu, ma belle? Tu as confronté sa loi, tu as fait disparaître la gravité! Et ça, en termes de gravité, c’est grave pas à peu près!

Pendant ce temps, Linda suivait dans le rétroviseur la méchante Mercedes noire aux vitres teintées qui fonçait vers eux à toute blinde, zigzaguant entre les voitures et les camions sur le pont.

- Faudrait aller plus vite, ils se rapprochent…

- Je fais ce que je peux, mais c’est pas une Ferrari et je ne suis pas Gilles Villeneuve!

- Gilles qui?

- Villeneuve, Gilles Villeneuve! Tu connais pas? ( C’est fou ce que les filles, même brillantes, ne connaissent rien de ce qui est important, se dit Robert…)

- Non, je devrais?

- Ahhh, laisse faire. On a Schumacher qui nous colle au cul!

La Mercedes des méchants méchinois se rapprochait effectivement de plus en plus.

- S’ils nous pognent on pourra leur commander un numéro trois pour deux avec un extra egg rolls

- Sérieux, Robert, ils s’approchent et ils font clignoter leurs phares!

La voiture avait effectivement ralenti derrière eux et faisait des appels de phares. D’un brusque coup de volant les malfrats se placèrent juste à côté d’eux. Les vitres teintées empêchaient de voir ce qui se passait dans l’autre voiture, jusqu’à ce que le passager descende sa glace.

- Hey Robert! Ousque tu vas comme ça avec ta belle pitoune?

- Ha ben! Guy-Guy la zoune. Est bonne celle-là. Fausse alerte ma belle, c’est un de mes chums de hockey, dit Robert en levant le pouce.

Sitôt arrivée à leur hauteur, la voiture véloce avait accéléré brusquement pour se noyer allègrement dans les joies frivoles et indicibles de la rive-sud…

- Faudrait que j’aille prendre une bière avec lui à un moment donné, ça fait trop longtemps…

- Euh, Robert, faudrait peut-être penser à autre chose qu’à aller prendre une bière là… C’était peut-être pas des livreurs de mets chinois, ceux-là mais nos chinois doivent quand même être à nos trousses.

Nos deux fuyards roulaient à bonne vitesse sans toutefois trop dépasser les limites pour ne pas se faire arrêter (comme ce qui venait d’arriver à Guy-Guy la zoune, les deux mains sur son bolide, et tenu en joue par un gars de la SQ en face du Dix-Trente). Linda avait eu la présence d’esprit de jeter par-dessus bord les deux puces de leurs téléphones. Elle aurait bien voulu se débarrasser carrément des téléphones mais Robert avait protesté avec véhémence (Hey! Woh! C’t’un iPhone 14 pro! J’ai pas fini de l’payer!). Elle avait souvent vu ça dans les films, ceux qui ne voulaient pas se faire prendre détruisaient leur téléphone, ou au moins la puce.

Robert avait ramassé deux poutines italiennes chez Jos Patates et un six pack de Molson export au dépanneur. On ne crèverait ni de faim ni de soif.

- Tu sais, Robert, tu disais tout à l’heure qu’il fallait mettre la communauté scientifique internationale au courant de mes résultats si je voulais être protégée.

- Oui, bien sûr.

- Mais, y’a un petit problème…

- Ah bon? Aucun problème ne résiste à Super Robert!

- Bon. Écoute. Moi, j’ai toute la théorie, je peux t’expliquer tout ça sur papier.

- OK, c’est cool… Fa que?

- Fa que, la technique, c’est l’affaire de Min.

- Quoi? Tu veux dire que…

- Je veux dire que sans Min je ne peux rien démontrer dans les faits.

- Oui, mais au labo? Tu m’as bien fait une démonstration!

- Oui, c’est vrai. Mais c’est Min qui avait tout monté le set-up.

- Ça veut dire qu’y a plus de mine dans notre crayon!

- C’est pas mal ça, oui. Sauf si Min survit et qu’il garde le secret.

- Shit!

- Oui, c’est ça. Exactement, shit!

Robert conduisit en silence jusqu’au shack du bout du chemin. On s’y installa du mieux qu’on put et, une fois les poutines avalées et les bières vidées (une pour Linda, cinq pour Robert), vint le temps de se perdre dans les bras de Morphée.

- Y’a juste une chambre et juste un lit, fit remarquer Linda.

- Oui, c’est vrai. Mais, t’as écouté mon cadeau.

- Ton cadeau? (la vidéo, sur le téléphone, c’est vrai!). Oui, oui, j’ai écouté. C’est vraiment gentil de ta part.

- Pas plus que ça? Je te déclarais mon amour, je t’ouvrais mon cœur dans cette vidéo! Tu sais tout le courage que ça prend pour faire ça?

Linda était mal-à-l’aise, elle ne savait pas trop comment réagir. Robert était gentil, mais de là à dire qu’il y avait de l’amour…

- Y’a juste une chambre et juste un lit... On pourrait essayer, non?

Robert, sans le vouloir, laissa échapper un rot de Molson. Bonjour le romantisme…

- Écoute Robert, on n’est pas dans une situation pour s’envoyer en l’air. Min est presque mort et on a des espions chinois à nos trousses…

- Min par ci, Min par là… J’aurais aimé mieux qu’il crève celui-là!

- Ho! On se calme! Min est mon ami!

- J’m’excuse, c’est pas vraiment ça que je voulais dire. Mes mots ont dépassé ma pensée…

- Essaye de pas dire tout ce que tu penses et de penser un peu plus ce que tu dis. Mais, bon, la pensée ça ne semble pas être ton fort…

- Tu penses ce que tu dis, là?

- Qu’est-ce que t’en penses?!

Finalement, Linda prit le lit dans la chambre et Robert s’installa sur un fauteuil.

À trois heures du matin, Linda senti une forme se blottir contre elle.

- Robert? Mais qu’est-ce que?

- Ah envoye donc, je t’aime moi, je n’y peux rien. C’est quand même pas la première fois que tu couches avec un gars?

- Non, Robert, c’est non!

- Come-on fais pas ta mitou féminazie. On va juste se faire du fun…

- Non! Robert, non! NON TABARNAC!

Sur ces douces paroles, Linda attrapa ce qui lui tombait sous la main (un ancien cendrier très lourd et laid en verre vert) et frappa Robert qui devint tout à coup moins insistant.

Linda, exaspérée, espérait quand même ne pas l’avoir tué. Ce serait trop bête.

Appeler le 911! Oui, mais on n’a plus de puces dans nos téléphones… Linda se souvint avoir vu une antiquité en rentrant. Yess! Un contempra comme celui qu’avait sa mère dans son adolescence. Un contempra bleu poudre à roulette. Pourvu qu’il marche…

À son grand soulagement, le téléphone émit une tonalité. Elle signala le 911, on lui répondit tout de suite.

- 911, j’écoute

- Oui, MERCI! Je vais vous faire une historie courte : 1) Je suis poursuivie par des espions chinois 2) Mon assistant s’est jeté par la fenêtre du 4e étage 3) Je suis dans un chalet perdu au fond des bois avec un gars un peu saoul 4) Le gars a essayé de me baiser 5) Je l’ai assommé 6) J’espère qu’il est pas mort.