Le conducteur de la Trans Am eut un moment de panique en observant Peter et Simon sortir de la pizzeria en trombe et détaler à toute allure.

– Fuck, fuck, fuck, fuck, fuck, fuck hurla-t-il en martelant son volant d’un poing rageur. Ils m’ont certainement repéré! Ils venaient à peine d’être servis. No way qu’un ado laisse de la pizza sur la table! pensa-t-il, incrédule.

La colère et la stupéfaction s’estompèrent toutefois rapidement quand il réalisa les conséquences de cette échappée. Je suis un homme mort constata-t-il avec effroi. Le Boss va me tuer quand il va apprendre que j’ai perdu un kid de douze ans accompagné d’un comptable! Un comptable, crisse! ESTIE. DE. CAVE!!! aboya-t-il dans le silence de l’habitacle en s’empoignant par les cheveux.

Il alluma une cigarette pour calmer ses nerfs et améliorer sa concentration. Il fallait qu’il trouve une solution, et vite. Une lumière clignotante sur l’écran du téléphone reposant sur le siège du passager captura soudainement son attention. Shit! Le GPS sur le vélo du kid! Il est toujours actif! La Trans-Am est peut-être repérée, mais j’ai encore l’œil sur eux! se réjouit-il. Jusqu’à temps qu’ils changent de voiture, réalisa-t-il toutefois promptement, car le flic a dû dire au comptable qu’on suivait son char. Il faut absolument que quelqu’un prenne le relais rapidement. Mais qui?

Il composa le numéro de celui qui serait le plus motivé à agir, même si ça comportait un certain risque. Pas tant pour le gars qui prendrait la balle au bond que pour sa propre personne. Mais advienne que pourra. Entre l’éventualité d’un séjour à l’hôpital pour quelques os cassés et un aller direct à la morgue, le choix était assez facile.

– Mike? répondit la voix au bout du fil. Je viens de parler à mon frère. Tu as retrouvé le kid?

– Oui… et non, répondit le conducteur de la Trans-Am. Il y a eu un fuck up. J’ai été repéré. Je l’avais dit au boss que j’avais pas le char le plus discret, grommela-t-il entre ses dents.

– YOU’RE FUCKING KIDDING ME! rugit Patrick Légaré. J’espère pour ta blonde que tu as une bonne police d’assurance-vie, poursuivit-il d’une voie menaçante.

– Oui, euh non! bafouilla Mike. C’est pas si pire! J’veux dire : je sais où se dirige le kid, mais il faut faire vite, car son oncle va probablement changer de char.

– Texte-moi l’adresse! ordonna Patrick. Et assure-toi que je puisse facilement te rejoindre 24/7. On va avoir besoin d’avoir un talk, toi et moi. Et ça va me mettre de mauvaise humeur s’il faut que je te cherche, conclut-il en guise d’avertissement. So much for careful planning se dit-il en s’emparant de ses clés d’auto. Il faudrait improviser. Ce qu’il ne détestait pas pour autant. Contrairement à son frère, il savait garder la tête froide en toute occasion.

En sortant de la 132, il rappela Mike pour confirmer la position du kid.

– Il est toujours chez son oncle? demanda-t-il sans autre forme d’introduction.

– Oui, mais ça fait quinze minutes que le tracker est fixe. Le comptable doit être en train de ramasser une couple d’affaires répondit Mike, en espérant que ça soit le cas.

Patrick tournait le coin de la rue quand il vit Peter et son neveu s’engager sur la voie à bord d’une Toyota Camry rouge pompier. Patrick sourit. Ça, ça faciliterait le travail de filature. Visiblement, la blonde de Peter ne travaillait pas pour la SQ!

Il ralentit afin de créer suffisamment d’espace pour conserver un œil sur la Camry sans éveiller les soupçons. Son propre véhicule – une Rav4 noire – était des plus anonymes qui soit et faisait partie des VUS les plus vendus au Québec. Ou les plus volés, c’est selon. Un savant dosage de patience et de ruse devrait lui permettre de filer Peter sur une longue distance.

Peter s’engagea sur la 20. Ils avaient un bon quatre-vingt-dix minutes de route à faire, peut-être même deux heures dépendant du trafic dans le pont tunnel. Aussi bien en profiter pour informer Simon d’un autre chapitre de leur historique familial rocambolesque.

– Je t’ai déjà parlé d’Entrelacs? lui demanda-t-il d’un ton empreint d’intrigue…

La circulation s’allégea considérablement à la hauteur de Terrebonne, ce qui embêta Patrick. S’il était certain de ne pas avoir été repéré jusqu’ici, le degré de difficulté de sa mission de surveillance venait de monter en flèche. Il passa une commande à Siri.

– Salut Bro, répondit son interlocuteur. Tu as trouvé tout ce qu’il faut pour faire la job?

– On a eu un changement de programme et j’ai dû improviser, l’informa Patrick. Je file le frère de l’enfant de chienne et son fils depuis une heure sur la 25. On vient de dépasser Mascouche. Tu as une idée de leur destination?

Kevin Légaré demeura silencieux une trentaine de secondes puis s’exclama : Le père! Le père avait des terres dans le coin de Matawinie! Tu te rappelles? Ils nous faisaient chier avec ça au secondaire! Ils se prenaient pour des gosses de riches! Une place avec un nom péteux! Ils disaient qu’il y avait tout un secteur qui leur appartenait!

Patrick pianota sur son GPS et s’écria : Entrelacs! Le coin des Anglais à Entrelacs! Je te gage que c’est là qu’ils s’en vont!

– Je suis pas mal sûr que tu as raison, Bro, répondit Kevin. Tu peux arrêter à St-Roch pour chercher du renfort. J’vais avertir la gang.