De l’endroit où je vis maintenant depuis quelques années et après réflexion, je me sens assez dure avec Ruth, ma grand-mère. Elle n’a jamais voulu que me protéger ainsi que mon grand-père que j’aime tant. Mais en voulant me protéger ils ont plutôt manqué de confiance dans ma compréhension des choses, ma maturité et l’empathie, que je n’affiche pas, mais que je ressens profondément. Je reviendrai vers eux bientôt. J’en fais le serment.

Finalement, ce jour-là, au lieu d’aller au café du coin, Ruth proposa plutôt d’aller chez mon grand-père. Et c’est confortablement assis dans son jardin, que j’ai appris qui était Raphael.

Ruth parla la première:

Ma petite-fille que j’aime tant. - un long silence suivit -. J’espère que tu ne m’en voudras pas de te dire cela que maintenant. Je regrette mais je n’en ai jamais trouvé la force afin de ne pas perturber davantage la perte dans la mort soudaine et dramatique de tes parents, de ma fille Marie et de Charles, fils de ton grand-père. Je trouvais cela déjà assez lourd, inutile d’en rajouter. Et à l’âge de 5 ans, que comprendrais-tu? Tu as cessé de parler en apprenant la nouvelle que nous t’avons apportée le jour d’après. Le choc a été cruel. Nous étions chavirés.

Grand-père enchaina:

Mais ce n’est tout. - nouveau long silence -. Et si tu nous en veux après ce que tu vas apprendre maintenant, nous accepterons de nouveau ton recul et nous t’attendrons. Tes parents étaient reconnus et admirés par les communautés médicale, culturelle et architecturale. Ils participaient, tout comme moi dans le monde des affaires et de Ruth dans le domaine des arts, à toutes sortes d’événements mondains mais aussi caritatifs. Beaucoup de gens tournaient autour de leur vie professionnelle et sociale. Ta mère, notre tendre Marie, ne passait jamais inaperçue, elle était réellement aussi belle que Ruth. Ton père Charles non plus par ailleurs, mais bien que très séduisant et charmeur même, aucune proposition sentimentale ne le troublait, ni même ne l’effleurait. Son amour pour Marie était sacré et sa fidélité, un incontournable. Ta mère cependant éprouvait une nette faiblesse par son besoin de plaire sans pour autant tomber dans la facilité des moments de passage.

Et arriva ce qui devait arriver. Un homme lui fit la cour discrètement au départ mais de façon très tenace. Nelson, un homme digne et dénotant un grand pouvoir de séduction par son humour, son intérêt pour tout et son intelligence émotionnelle, était reconnu dans le monde politique et défendait plusieurs causes humanistes. Ta magnifique maman était une femme élégante, d’une grande finesse, intelligente et une médecin généreuse. Elle aimait le gens sincèrement et avait comme objectif de rejoindre Médecins sans frontières lorsque tu serais indépendante et autonome. La communication et l’attirance envers Nelson furent pratiquement immédiates. Charles partait fréquemment en voyage d’affaires en Europe agissant comme chargé de projets architecturaux et s’absentait plusieurs semaines. Il n’a jamais soupçonné que ton père biologique était… Nelson.

Grand-mère continua:

Et il y a autre chose. Le soir de l’incendie, il y avait réception chez tes parents. Nelson y était bien sûr. C’était une soirée d’été magnifique où plaisirs en tous sens et alcool se côtoyaient aisément. C’est pour ça que je t’ai ramenée dormir chez moi. Tu sais le drame alors survenu dans la nuit. Et nous n’avons jamais su qui avait allumé l’incendie. Nous n’avons jamais su si c’était criminel ou accidentel. Le doute persista toujours. Connaissant tes origines, ton grand-père et moi avons cassé les ponts avec Nelson. Nous lui avons demandé de partir avec sa famille et de ne pas chercher à te connaitre. Nelson a quitté la ville.

Raphael prit la parole:

Ce que tu ne sais pas aussi, c’est que Nelson est mon père. Tu es ma demi-soeur et quand ma mère est décédée, mon père m’a raconté son histoire de vie. Je ne me considérais pas lié par l’interdiction de tes grands-parents et j’ai tout de suite voulu te connaitre…

Je n’entendais plus. Tchai était couchée sur mes genoux temblants. Elle geignait un peu et imprégnait ses griffes dans mes cuisses. Tellement d’émotions se contredisaient, s’entrechoquaient en moi. La trahison par le silence a été certainement la pire. J’avais deux pères. Raphael était mon demi-frère. D’où peut-être la facilité à connecter tous les deux et il m’approchait si doucement. Maintenant, son regard intense et sa patience infinie prenaient un tout autre sens. Il voulait connaitre sa petite soeur… Abasourdie, je me retrouvais soudainement, le mot est faible, avec une fratrie… et un père biologique et vivant!

Je serrai Tchai sur moi, c’était un peu trop. J’avais le goût de fuir, loin. À 15 ans bientôt 16, je pourrais vivre indépendamment de tout cela et en toute quiétude pour laisser descendre tous ces rebondissements de mon passé et toutes ces confessions. N’ayant aucun problème financier, bien au contraire, tout m’était permis. Je pensai immédiatement à l’Europe mais cela pourrait tout aussi bien être l’Alaska! Je quittai.