Ils reviendraient demain avec le nécessaire. Anne est assommée. Vraiment.

Peut-on s’en retourner chez toi, Sylvie? Je peux pus supporter cet endroit.

Bien sûr, Anne! Allons-nous-en.
Anne a peine à croire tout ce qu’elle soupçonne désormais de ce Charles qu’elle pensait bien connaître. Puisque la perquisition n’est pas terminée, elle comprend qu’elle n’est pas au bout de ses surprises. Tout cela, chez elle! Chez elle?!? Elle se sent tout à coup si étrangère à ce lieu et à tout ce dont il recèle. Vivement la vente de la maison et le divorce. Mais… pour le moment, tout cela doit attendre. Charles est introuvable et la maison lui apparaît maintenant comme une caverne d’Alibaba où tout peut être mis au jour. Quelle horreur!!! Une fois arrivées chez Sylvie et autour d’un petit gueuleton préparé rapidement, Anne admet être complètement déroutée.

Qu’est-ce qui m’arrive, Sylvie? dit-elle avec une voix effacée, presque inaudible.
Il semble que ton Charles soit tout un moineau! On dirait que tu lui servais de paravent pour ses activités illicites. Pour la galerie, Il menait une petite vie bien tranquille avec une conjointe de longue date, un travail régulier, une maison, un train-train assez ordinaire… Et par en arrière, il avait ses petits hobbys, disons. Il cachait bien son jeu! Il a même réussi à te dissimuler tout ça à toi qui vivais avec lui depuis dix ans. Faut le faire!!! Manipulateur, tu disais?!?
Ouais. J’me sens tellement stupide! J’ai rien vu aller. Non mais, j’suis aveugle ou quoi?
Ben non, Anne! En excellent manipulateur qu’il était, il s’est arrangé pour que tu lui fasses confiance et que tu lui donnes une sorte de carte blanche quant à ses comportements, à l’utilisation de ses temps libres, etc. Il était pas mal rusé. Te blâme surtout pas pour ça! T’as simplement eu la candeur de croire en lui. Tu t’es investie dans cette relation en pensant qu’il était, comme toi, une bonne personne. Il en a profité pour s’immiscer dans ta vie afin de te soumettre tranquillement pas vite à sa vision des choses et à sa manière de vivre, dans un rapport de domination subtil qu’il avait finement calculé.
OHrrrr!!! J’en reviens toujours pas de ma naïveté!!!
Ben sûr Anne, tu peux t’en vouloir encore longtemps mais tu l’as simplement imaginé aussi bien intentionné que toi. Et… oublie pas qu’il y a quelque temps, tu t’en es séparée. Donc, t’avais compris qu’il te pourrissait la vie, non? Alors, donne-toi le crédit de cette réalisation. Au fond de toi, tu savais qu’il était toxique et t’as pris le moyen concret de t’éloigner de lui, de son influence néfaste sur ta vie, pour en reprendre progressivement le contrôle. Félicite-toi de ça. J’suis convaincue que c’est pas un move qui était facile à faire après toutes ces années. Alors, t’es géniale!!! Bravo, Anne!
Merci Sylvie. Tu m’fais du bien, tellement.
Après une nuit de sommeil relativement agitée suite aux événements de la veille, Anne se lève, prend un petit déjeuner et un bon café en compagnie de son amie. L’indicatif musical de son téléphone résonne soudain dans la cuisine, brisant ce court moment d’accalmie. Waney, en charge de l’enquête sur l’entrée par effraction et tout le reste, demande à Anne de se rendre au domicile pour la poursuite des investigations. C’est à contrecœur qu’Anne se prépare, s’habille et se met en route vers la maison. Qu’allait-elle encore apprendre?
En arrivant, elle retrouve Waney mais aussi deux autres agents venus prêter main forte à leur supérieur. Ayant en main les outils nécessaires à l’ouverture de la cloison creuse du sous-sol, ils se dirigent illico vers leur cible. Anne demeure en haut, penaude, attendant le “verdict”. Que découvriront-ils encore? se demande-t-elle.
Après un court moment et plusieurs coups de marteau, Anne entend vaguement les échanges de l’équipe d’enquêteurs. Elle descend les rejoindre pour constater qu’effectivement, derrière le mur, existe tout un univers qu’elle n’aurait jamais soupçonné. À leur suite, elle se faufile dans le trou béant du garde-robe; ce qu’elle y découvre la laisse stupéfaite.
En fait, Charles s’était installé une sorte de bureau clandestin qu’il rejoignait par l’intérieur du garage, incognito. Il avait dissimulé une porte derrière la vieille commode dans laquelle il rangeait des petits outils et autres bricoles, lui explique Waney.
Anne regarde tout autour. Dans cet espace exigu trônent un bureau, un ordinateur, des classeurs et du matériel de bureau.
Anne ne s’était jamais, au grand jamais, douté de ce subterfuge. La surprise est totale!
Mais que tramait-il ici, Dieu du ciel?!? de demander Anne.
Pour le moment, nous n’savons pas exactement ce que Charles faisait ici mais il est certain que c’était illégal, d’annoncer l’enquêteur. Nous vous donnerons des nouvelles dès que nous en saurons davantage.
Totalement atterrée par cette nouvelle révélation sur la vie cachée de Charles, elle s’en retourne à la cuisine et, dans un état second, se prépare une infusion.
Après un bon moment passé dans le sous-sol, Waney remonte à la cuisine et s’assoit face à Anne. Il lui dit délicatement:
Anne, je dois vous poser quelques questions. Je comprends que vous soyez brisée par tout cela et je vous crois quand vous dites n’être pas au courant des activités disons surprenantes de votre mari!
Mon ex-mari, répondit-elle brusquement.
Oui, excusez-moi. Donc, je dois vous poser des questions; vos réponses nous aideront à poursuivre l’enquête. Vous dites ne pas avoir eu connaissance de ce que votre ex-mari faisait dans son réduit mais avez-vous une idée du moment où il y travaillait?
J’imagine que c’est la nuit ou les soirs quand je m’absentais pour mes activités de loisirs. Deux soirs semaine, j’sors pour des cours d’anglais et de tai-chi. Et, le samedi matin, deux fois par mois, j’fais du bénévolat à la friperie du Centre communautaire. Lui s’absentait régulièrement, sans me dire vraiment où il allait.
Est-ce que vous avez remarqué des changements dans son comportement ou son caractère dans les dernières semaines, les derniers mois?
Oh! Il était désagréable mais pas plus que d’habitude. Il était cassant et j’avais souvent l’impression de l’déranger. Il ne me montrait pas beaucoup de considération, disons. D’ailleurs, c’est pour cette raison, entre autres, que je l’ai quitté.
Lui connaissez-vous un ou des amis personnels?
Nous avions peu d’amis.es; il les faisait fuir, en général. Il n’est pas particulièrement sociable.
Que fait-il comme travail?
Il est agent d’intégration pour Immigration Canada, depuis 6 ans.
Humm… Vous parlait-il de son travail et de ses exigences?
Il maugréait souvent en pensant à toutes ces personnes qu’il devait aider à s’intégrer. En fait, il n’avait pas vraiment les qualités pour ce travail. Avant que ce nouveau poste s’ouvre, il avait déjà travaillé pour le fédéral pendant 9 ans. Quand le poste a été affiché, il a vu ça comme une opportunité d’avancement, une bonne promotion. Alors, il a posé sa candidature et comme il était le plus ancien, il l’a obtenu.
Anne, en bas, en plus d’autres bijoux et objets de valeur, nous avons trouvé, dans le classeur, une somme d’argent importante. En plus, dans le bureau étaient dissimulés des passeports en blanc et d’autres formulaires menant à l’obtention de papiers canadiens. Vous a-t-il déjà mentionné apporter du travail à la maison?
Oh non! Il en avait assez de ses journées au bureau. Il voulait se reposer à la maison, me disait-il.
Humm. Ce sera tout pour aujourd’hui, Anne. Votre ex-mari semble être le genre d’individu qui trempe dans toutes sortes de petites et grandes magouilles qui lui rapportent beaucoup d’argent. Je crois que nous n’en sommes pas au bout de nos trouvailles.
Et après un moment… “Désolé pour tout cela. Je suis conscient que vous devez être très fatiguée. Merci de votre collaboration.”
De rien. Trouvez-le s’il vous plaît, martela-t-elle. J’ai vraiment besoin de mettre derrière moi et régler tout ça, divorce et compagnie! Je veux plus ou plutôt, je peux plus habiter ici, sachant tout ça.
Je comprends. Nous ferons de notre mieux. Si jamais vous pensez à un endroit où il pourrait se cacher, appelez-nous.
D’accord.
Puis-je vous déposer quelque part?
Oui, merci. Même si c’est tout à côté, pourriez-vous me ramener chez Sylvie, s’il vous plaît? J’suis épuisée.
Certainement.
Merci beaucoup.

Une fois arrivée chez Sylvie, absente, Anne se laisse tomber sur le moelleux fauteuil et appuie la tête sur le dossier. Ouf! Quelle journée, quelle semaine, quel mois!!! En pensée, elle retourne à Lurs et revoit la jolie bouille de Hérisson. Elle respire avec cette image bienfaisante dans sa tête. Elle recontacte toute la beauté et le calme de l’endroit. Humm! “Ça fait du bien!” Elle s’assoupit, en se questionnant tout de même: “Mais où peut-il se terrer, celui-là?” Quelques minutes plus tard, elle se réveille en sursaut avec une idée du lieu possible où Charles s’est peut-être planqué! De son sac à main, elle tire son cellulaire et compose le numéro de Waney.