Le retour fut des plus brutaux. Les derniers mois furent marqués par des hauts et des bas pour tous, particulièrement Augustin qui avait l’impression d’avoir été catapulté sur une autre planète.

À part ce grand homme posé qui se tient debout, il ne reconnait pas les trois femmes dans la pièce. Encore une fois, il cherche à distinguer ce nouvel environnement. Où se trouve-t-il donc ? Il y a un plafond muni de grilles de ventilation, des murs blancs, un vieux calorifère, deux portes, dont une fermée, et une grande fenêtre qui laisse voir des édifices de toutes les tailles. Dans le coin, un vieux fauteuil en cuir usé sert de répit. Une femme au regard songeur y est affalée et elle le fixe calmement. De temps à autre, des branches chargées de bourgeons frottent contre la vitre et, dans un grincement, viennent briser le silence qui règne dans la chambre. Augustin fixe le ciel assombri par une pluie battante comme on en voit souvent au printemps. Il se sent perdu, épuisé, observé mais à la fois considéré par ces gens. Comment l’idée absurde d’avoir été pris en otage avait-elle pu traverser son esprit plus tôt aujourd’hui ? Ses pensées délirantes sont moins fréquentes mais elles le trouble. Sa bouche est pâteuse, sa tête lourde, et il a soif, terriblement soif. Il reconnait bien tous ces visages mais il n’arrive pas à les associer à quelque ordre chronologique que ce soit, ce qui le rend hésitant à demander à boire. En fait, il n’arrive pas toujours à déterminer s’il court un risque ou non et est incapable de se rappeler où il se trouve et depuis combien de temps.

La femme solennelle assise dans le fauteuil est Monique Parent-Desmaures, sa mère. Elle repasse en boucle le fil des événements qui ont secoué leur vie ces derniers mois. Le premier épisode psychotique s’est produit à l’automne dernier, dix jours avant une importante entrevue pour un poste qu’Augustin rêvait d’obtenir. Toute la famille était derrière lui. Son copain Nick avait réussi à le mettre en contact avec le directeur de la Faculté et Augustin semblait emballé, presque fébrile. Solange avait accepté de quitter Fredericton pour s’installer en permanence à Moncton, confiante elle aussi de trouver un emploi dans son domaine d’expertise. Ils avaient même visité quelques appartements et avaient été étonnés des options qui s’offraient à eux.

Malgré cela, le lendemain, Augustin affichait une mise décomposée. Son emballement avait été remplacé par une sorte de frénésie. Il ne cessait de remettre en question le poste, et il s’était mis en tête qu’il ne pourrait assumer convenablement les responsabilités qu’on lui assignait. Il disait avoir sous-estimé la complexité de l’emploi et dès lors, l’une après l’autre, les invitations des amis avaient été déclinées. Il ne retournait plus les appels de sa belle Soso et il avait commencé à prendre son repas du soir dans sa chambre. En quelques jours, il avait cessé de raser sa barbe qu’il entretenait avec un soin quasi obsessionnel et avait porté le même jersey des Canucks de Vancouver pendant 4 ou 5 jours. Sa mère disait l’entendre circuler dans la maison pendant la nuit.

Inquiétés par ce comportement inhabituel, ses parents l’avaient accompagné chez le docteur Seigalovitch, le médecin de la famille. Augustin avait alors été soumis à un éventail de tests médicaux qui se sont révélés catégoriques. Ses symptômes s’apparentaient à une psychose et ce premier épisode correspondait bel et bien à une phase prodrome de la schizophrénie. Dr Seigalovitch a confirmé qu’Augustin avait graduellement souffert de perturbations psychiques qui se sont installées insidieusement au courant de la dernière année et qu’une phase aiguë était envisageable. Chacun s’en voulait d’avoir négligé les signes avant-coureurs de la maladie. Après le choc foudroyant du diagnostic et la culpabilité passée, Augustin avait rapidement été pris en charge et avait accepté un traitement comprenant une médication antipsychotique. Il y eut quelques ajustements posologiques, mais somme toute, le traitement semblait bien toléré par le patient qui pouvait aspirer à une vie passablement normale.

Puis, à peine quelques semaines plus tard, Augustin disparaissait brusquement. Plus aucune trace de lui pendant 19 jours. Les parents avaient signalé sa disparition et les autorités patrouillaient les environs sans toutefois lancer un avis de recherche officiel. C’est un trappeur accompagné de son chien qui l’avait retrouvé en ce matin de mars à 20 km de la maison familiale.

Après une dissociation totale avec la réalité qui a duré presque deux semaines, Augustin refaisait surface. Certains jours, la frustration faisait place à l’espoir. Pour Monique et Jeffrey, ses parents, il était difficile de comprendre ce qui avait déclenché la première psychose plus encore ce qui a causé la rechute. Cette deuxième crise avait été la pire des deux. Les retrouvailles avaient donné lieu à un Augustin au regard hagard, avec la tête rasée. Il était couvert d’ecchymoses et d’un étrange tatouage de lièvre sur l’épaule droite. Il avait particulièrement maigri et il serrait dans ses mains une petite cloche et il marmonnait un dialecte incompréhensible. On avait dû l’hospitaliser durant près d’un mois.

En dépit de tout cela, après trois semaines, Augustin avait une fois de plus rebondi et toute la famille Parent-Desmaures, Solange, ses amis et le directeur de la Faculté l’attendaient avec confiance à sa sortie de l’hôpital.