En route pour la maison d’Alex, je gardais Marie-Sophie tout contre moi et elle se moulait bien, en toute confiance. Nos corps semblaient faits l’un pour l’autre.

Alex et Michel avaient dégoté une longue cape à capuche qui faisait de son mieux pour dissimuler la jeune fille. Avec sa photo dans le journal, il aurait été trop probable qu’on la reconnaisse. On n’avait pas le temps de s’embourber dans des explications sans fin avec un quidam qui se serait étonné de croiser la fille/mannequin de la boutique/attentat…

Arrivés à destination, les trois mousquetaires (quatre, avec Marie-So…) conseillèrent à leur amie de se réfugier dans le garage jusqu’à ce qu’on la rejoigne ou qu’on lui fasse signe qu’elle pouvait entrer en toute sécurité.

Ils arrivèrent chez Mathilde avec la désinvolture qui caractérise les ados, malgré la tension qui les habitait.

- Ah vous voilà les garçons! Venez que je vous présente Xavier, il est à la cuisine à nous préparer les délices de ce soir.

- Salut les gars… Le poulet vous a cuisiné du « Poulet-Pirouette sauce flicarde »

Xavier s’efforçait maladroitement de se mettre à niveau. Pendant qu’Alex tentait de rester stoïque malgré son regard un tantinet exaspéré. On expédia les mondanités, on déboucha des bières et on parla de la pluie et du beau temps jusqu’à ce que Xavier et Alex dérivent presqu’insensiblement vers la chambre de ce dernier.

- C’est quand même quelque chose que nos deux prénoms soient sous le signe de l’X… Amorça Xavier

- Ouais, toi le début et moi la fin, l’alpha et l’oméga, tu crois que ça veut dire quelque chose ?

- Le début, la fin… C’est ce qui se passe entre les deux qui compte. Et, justement, il me semble que ça se passe bien entre nous deux, pas vrai ?

- Ouais, on peut dire ça comme ça.

- Bien heureux de te l’entendre dire. Dis donc, juste comme ça en passant, c’est pas que je veux jouer au flic, mais tu sais qu’on a commencé à enquêter sur le drame de la boutique de fringues et qu’on est passés au lycée…

- Ouais, avec ce type pas brillant, Jacky Néon…

- Léon, Jacky Léon, en effet.

- Ouais, bon, «pas brillant», «néon», tu vois ?

- Ah d’accord, encore un de tes jeux de mots. T’arrêtes jamais toi !

- Alors que toi, c’est ton boulot…

- C’est-à-dire ?

- Ben, arrêter, arrêter les méchants, c’est ton boulot.

- Bah oui, t’as raison.

- Le Jacky, il s’intéressait pas particulièrement à une certaine Marie-Sophie ?

- Ah oui ? Oui, maintenant que tu le dis, je me rappelle, c’est vrai. Ça tombe bien…

- Tu ne peux pas si bien dire. Ça tombe très bien. Elle est dans le garage et elle veut te parler…

Ce sont le bras de Xavier qui tombaient, pendant que se décrochait sa mâchoire de flic ébahi.

Sur un signe d’Alex, j’allai chercher une Marie-Sophie toute tremblante qui, sous le regard compatissant et maternel de Mathilde, se transforma en une jeune femme tout-à-fait sûre d’elle-même au fur et à mesure qu’elle racontait son incroyable histoire à Xavier, le contact de Jacky.

- Jacky Léon ? Vous êtes vraiment sûre et certaine ? Demanda Xavier.

- Écoutez, ces petits yeux de fouine, ce regard perçant, je ne les oublierai jamais. Je suis formelle, c’étaient bien les yeux de ce pervers que j’ai vus malgré son immonde cagoule.

- Un pervers ? Jacky ? Je le connais bien, il ne ferait pas de mal à une mouche.

- Ce n’est pas ce que m’en avait dit cette pauvre Natacha.

- Ce qu’elle vous a dit ? Sur Jacky Léon ? Ah bon… Mais encore ?

- Oh, pas grand-chose… Qu’au début elle le trouvait sympa mais que rapidement elle avait senti quelque chose de faux chez lui. Elle avait trouvé des infos qui confirmaient ses impressions , et elle avait monté un dossier mais elle n’a jamais voulu me les montrer ces infos. Elle craignait pour ma sécurité. J’ai bien compris quand je l’ai vu perpétrer cet horrible attentat. Il était là pour Natacha, par pour Allah.

- Des infos compromettantes sur Jacky ? J’aimerais bien voir ça…

- Vous me croyez ou pas ? On dirait que vous faites tout pour me faire regretter de vous avoir parlé. Vous savez que je me mets en danger ici, moi…

- Mais bien sûr que je vous crois… C’est juste que ça m’étonne, c’est tout. Un gars en apparence sympa, membre de l’escouade anti-terrorisme qui mène lui-même un simulacre d’attentat à cause d’un dossier compromettant… Je suis sonné.

- Mais c’est la planque idéale ! Intervins-je. Enquêter sur son propre crime…

- Les gars, vous regardez trop de séries tordues où les bons se révèlent être les méchants. C’est du pipeau, la vraie vie c’est pas comme ça. Marie-Sophie, je te jure que je te crois. Mais si tu savais le nombre de personnes honnêtes et sincères qui sont persuadées d’avoir reconnu monsieur X ou madame Y et qui, au final, ont été bernées par leur propre perception… D’autant plus que les responsables de l’attentat ont déjà été capturés…

La stupéfaction prit un siège confortable et s’installa au salon, au milieu de la petite troupe troublée.

- Quoi ? Vous les avez arrêtés ? Déjà ? S’enquit Michel.

- Oui. C’est rapide, je sais. Mais, qu’est-ce que vous croyez ? Tous ces mecs sont fichés ! On les surveille ! On a débarqué chez eux et ils avaient tout planqué dans l’appart : les armes, les cagoules, les gants ; et les tests balistiques comme ceux de l’ADN des cagoules confirment tout. C’est vraiment des p’tits cons, des amateurs, qui voulaient faire un exemple en ciblant l’antre de Satan qui vendait des mini-jupes pour pervertir les filles. Et, en prime, ils ont tout avoué.

- Mais pourquoi alors Jacky s’intéressait à Marie-So au lycée ? Demanda Alex.

- Nous ne sommes pas les seuls à vous avoir identifiée sur la vidéo surveillance qui a tout filmé, Marie-Sophie. D’ailleurs, plus loin dans la vidéo, on vous voit fuir une fois tout le monde parti. Nous voulions vous protéger au cas où les assaillants auraient voulu s’en prendre à vous. Quant à ce supposé dossier… Écoutez, on a passé au peigne fin, trois fois plutôt qu’une, la boutique et l’appartement de cette pauvre Natacha et on n’a rien trouvé qui ressemblerait de près ou de loin à un dossier sur Jacky Léon. Chose certaine, Marie-Sophie, tout danger est maintenant écarté. Bon, il y aura certainement un «buzz» médiatique pendant quelques jours mais je vous suggère de ne pas commenter. Le service des communications du Ministère prendra tout en charge.

- Et Jacky Léon ? Vous n’allez pas l’interroger ?

- Pour lui demander quoi ? Où il était le jour de l’attentat ? Il était avec moi ! On s’est bu quelques bières chez moi pour se remettre d’une journée particulièrement chargée… Et puis, de toute façon, il a été muté et il est déjà parti.

- Muté ? Mais où ? Hasarda Marie-Sophie.

- Oh vous savez, dans le monde de l’anti-terrorisme, il y a beaucoup de secret. Question de sécurité, vous comprendrez. Quand on nous mute, on se fond dans la nature et on devient introuvable…

Il va sans dire que le poulet aux arachides resta seul à table. Personne n’avait envie de manger et la soirée se termina alors que Xavier proposa à Marie-Sophie de la ramener à l’internat du lycée. Il décrirait toute la situation aux responsables et il appellerait ses parents pour tout leur expliquer. Tout rentrerait dans l’ordre.

Mais nous n’étions pas convaincus Marie-Sophie, Alex, mon frère et moi, par cette histoire de jeunes terroristes trop rapidement coincés et de flic s’évanouissant dans la nature. Nous fîmes profil bas mais nous n’en pensions pas moins. Mais que pouvez-vous faire quand toute la machine policière et médiatique décide de soutenir un narratif auquel vous, petits lycéens, ne croyez pas du tout ? Nous fîmes avec et allâmes de l’avant avec notre vie de futurs adultes responsables.

***

Quelques années plus tard, Marie-Sophie et Thomas vivaient une belle histoire d’amour et de complicité. Ils devinrent célèbres avec une série de BD dont le personnage principal était un certain Jacky Néon. Six tomes avaient déjà été publiés :

1. Jacky belle gueule

2. Jacky connard

3. Jacky menteur

4. Jacky ripou

5. Jacky trouduc’

6. Jacky parti

Le succès était tel que Netflix leur avait fait un pont d’or pour produire une mini-série dont on prévoyait déjà la traduction en 12 langues.

Jacky Léon, lui, avait finalement trouvé l’amour dans les bras d’une certaine Yasmina, agent double syrienne, qui causa sa perte. Le service anti-terroriste avait définitivement perdu la trace de Jacky depuis. Son dossier fut perdu aux archives…

FIN (?)