Chérie, réveille-toi, nous arrivons dans 15 minutes.
En s’étirant, Joanne grommelle d’une voix rendue rauque par le sommeil;
Je savais que c’était loin, mais jamais 23 heures ne m’auront parues aussi longues. Mmmm! Enfin arrivés !

Joanne ouvrit la fenêtre de la voiture pour s’emplir les poumons de cet air chaud du Texas.

Veux-tu que je mette le GPS pour trouver la place car nous avons certainement pris le mauvais chemin vu l’état délabré du quartier.
En effet prend mon téléphone, il est dans ma poche de manteau. L’adresse est le 4266, Finlay Court.
D’accord, donne-moi une seconde.
Voilà tu tourneras à droite au prochain carrefour et ce sera 200 mètres à notre gauche.
En prononçant cette phrase, elle sentit un frisson lui envahir tout le corps. Elle voyait bien que d’après le GPS, leur destination était à moins d’un demi-kilomètre et l’image qui se dessinait devant elle, faisait peur à voir. Les bordures de rues étaient jonchées de débris de toutes sortes. Une carcasse de voiture semblait être stationnée à quelques pas du carrefour depuis des dizaines d’années. Des badauds les regardaient avancer vers leur destination avec un air scrutateur et il y en a même un d’entre eux qui pointa en leur direction une arme de poing avec un air de défi. Arrivé devant le 4266, Luc arrêta le moteur et ni lui ni Joanne ne fit un seul mouvement.

L’agence avait décrit Finlay Court comme étant une rue circulaire bordée de condos avec une piscine centrale. Les photos nous montraient des enfants qui jouaient paisiblement sur la grande terrasse bordant la piscine, en dessous de magnifiques palmiers royaux. Sur le balcon arrière du condo, on pouvait apercevoir de magnifiques couchers de soleil. Quartier modeste et tranquille avaient-ils dit.

Ce n’est pas vrai! Tu ne me feras pas mettre un pied par terre dans ce quartier. Et tu as déjà payé deux mois…
Luc n’arriva même pas à répondre à ce qui ressemblait davantage à une menace qu’à un simple commentaire.
Mais dit quelque chose, s’exclama Joanne.
Écoute, je ne sais pas quoi dire. Je vois la même chose que toi et ma surprise est également complètement déroutante.
Je t’en prie, dis-moi que tu ne me feras pas vivre dans ce trou à rat pour les prochains trois mois. Tout en éclatant en sanglot, Joanne ajouta : et c’était censé être la réalisation d’un rêve, alors qu’il s’agit plutôt d’un cauchemar.

Luc prit la main de sa compagne et lui dit :

Je sais que ça n’arrangera rien, mais essayons de rationaliser la situation. 1- De toute évidence nous nous sommes fait rouler dans la farine par l’agence de location. 2- Nous venons de faire 23 heures de voiture et nous sommes épuisés. 3- Il faut qu’on dorme. 4- Il y a toutes nos choses dans la voiture et compte tenu de l’état du quartier, il n’est pas question qu’on y laisse quelque chose pour la nuit qui pourrait appâter les voleurs. Je te suggère donc que nous montions au condo et s’il est le moindrement salubre on y passera la nuit. On analysera la situation demain matin à tête reposée.
La respiration encore saccadée, Joanne acquiesça d’un signe de tête timide.

La décision était prise, mais il fallut encore plusieurs secondes avant que le premier des deux ouvre la portière de la voiture. Joanne prit la main de Luc et la serra très fort avant d’initier le mouvement vers le 305.

La boîte à clés pendue à la poignée de porte donna un peu de fil à retordre avant de céder. Au premier regard, bien que nécessitant un peu d’amour, le condo semblait acceptable et il est vrai que la vue du côté ouest était bien. Pas autant que sur les photos, mais bon.

Le lit de la chambre principale était confortable et les draps sentaient bon, ce qui les rassura pour le moment. Après une demi-heure à monter les bagages, Luc dit qu’il avait aperçu un Red Lobster à quelques pas du condo et proposa d’aller manger quelque chose avant d’aller au lit.

Après un repas réconfortant, nos deux tourtereaux s’enlacèrent au mitan du lit comme s’ils s’étaient rencontrés la veille et ils firent le tour de l’horloge avant de se faire réveiller par les voitures à pot d’échappement tronçonné circulant sur le boulevard adjacent au quartier.

Au réveil, Luc serra Joanne dans ses bras et lui dit à quel point il l’aimait. Presque réconfortée, elle lui demanda s’ils avaient quelque chose à manger pour déjeuner.

Nous avons toujours le restant des collations de voyage, c’est-à-dire des arachides, des barres tendres et des fruits secs.
Ils se regardèrent un long moment et avec grande douceur Luc dit :
Dans quoi s’est-on embarqué mon amour ? Nerveusement, ils éclatèrent d’un rire contagieux.

Soudain on frappa à la porte.

As-tu commandé de la pizza ? Tu sais bien que je préfère les plats chinois.
Encore sous l’effet de la fatigue, ils éclatèrent à nouveau d’un rire nerveux. La réalité de l’endroit et de leur mésaventure venait, par ces simples petits coups à la porte, de les rattraper. Luc jeta un regard par l’œil magique et vit un homme à la barbe grisonnante et au regard perçant qui souriait comme s’il allait rencontrer de vieux amis.

Hi everybody ! leur lança-t-il avec un fort accent québécois en poussant la porte.
Luc et Joanne le regardèrent avec stupéfaction sans pouvoir ouvrir la bouche.
Je suis le père Robert. Je suis le curé de la paroisse et je viens collecter la dîme. Après une seconde de silence, il se mit à rire en se tapant sur les genoux.

Les nouveaux locataires du 305 souriaient sans trop de conviction tout en fixant le nouvel arrivant avec circonspection.

Je comprends votre étonnement, mais il fallait que je vienne vous voir dès votre arrivée avant que vous ne repartiez les pattes aux fesses comme la plupart des personnes qui louent un condo dans le quartier.
Comment savez-vous qui nous sommes et que nous venons d’arriver?
J’ai mes informateurs dans le quartier. J’imagine que vous avez remarqué que tout nouvel arrivant est sous observation. D’autant plus qu’une plaque du Québec indique presque nécessairement qu’il y a de nouveaux arrivants qui se sont fait embobiner par l’agence de location.
Êtes-vous vraiment le curé de la paroisse?
C’est en tout cas, ce que mon évêque m’a dit lorsque je lui ai parlé la dernière fois.
Mais pourquoi venir nous voir ? Est-ce que vous êtes en manque d’âmes à sauver ? Il ne semble pas en manquer dans le quartier.
Je ne sais pas. Êtes-vous encore récupérables ? Il se remit à se taper sur les genoux en riant à gorge déployée.

Derrière cet air de bouffon, le père Robert projetait un sentiment de sagesse et d’apaisement qui ne manqua pas d’atteindre Luc et Joanne.

Qu’est-ce qui vous amène donc au Texas mes amis ?
Sans même questionner pourquoi cet individu s’intéressait à eux, Luc répondit qu’ils venaient explorer la région pour éventuellement y déposer définitivement leurs pénates, mais qu’étant donné l’état de ce qu’ils avaient vu jusqu’à maintenant, il ne serait aucunement question qu’ils demeurent ne serait-ce qu’une journée de plus ici.

Le père Robert écoutait stoïquement les doléances de Luc et de Joanne qui n’en finissaient plus. Comme s’ils avaient des années de frustration à faire sortir en même temps, tout y passa. De l’enseignante frustrée de leur fille lorsqu’elle était en 3eannée de primaire jusqu’à la couleur des maillots de l’Impact de Montréal, rien ne pouvait plus les arrêter.

Venez faire un tour avec moi, je vous ferai découvrir mon quartier. Vous y découvrirez de si jolies choses.
Comme si leur maître les avait intimés de le suivre, ils s’accrochèrent aux pas de celui qu’on appelait « Bob the priest » qui les fit monter dans son kart de golf à quatre places.
Montez donc dans ma limousine les enfants et attachez-vous bien car j’aime faire de la vitesse!

Toutes les personnes qui semblaient si hostiles la veille, souriaient et envoyaient la main au passage de Bob.

Vous ne craignez pas pour votre sécurité dans ce quartier ?
Vous savez, ils se donnent un air méchant, mais leur allure est davantage un mécanisme qu’une réelle menace. C’est bien certain qu’ils vivent une certaine frustration, vu l’écart qui les sépare de la classe aisée de ce pays, mais ce sont fondamentalement de bonnes personnes.

L’attitude de Bob eut pour effet d’apaiser en grande partie la colère qui animait nos deux nouveaux arrivants. Ils se laissèrent même aller à relever les blagues de Bob et à s’en amuser. Après une heure de visite tout aussi agréable que lénifiante, Bob arrêta sec son véhicule. Il se tourna vers ses passagers et dit très solennellement;

J’ai un projet pour vous…